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Littérature engagée : Un ancrage si fragile
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Publié dans El Watan le 06 - 11 - 2015

La question de l'engagement en littérature est assez complexe en soi. Doit-on retenir l'idée si bien formulée par Pascal que «nous sommes tous embarqués» et qui signifie que l'écrivain doit aussi se sentir concerné par les tourments de la société à laquelle il appartient ?
Doit-on considérer que l'auteur doit «s'engager dans la littérature» ou «s'engager par la littérature», ce qui signifierait que l'écrivain, dans le premier cas, estimerait que son engagement commence et s'arrête à son exercice de la littérature ou, dans le second cas, ferait de la littérature un outil de lutte politique qui trouverait sa suite dans un engagement social et partisan ? Doit-on enfin accepter l'idée que l'écrivain a une «responsabilité morale» (Caillois) à l'égard de sa société, comme tout autre citoyen, et cette responsabilité, il l'assumerait à travers ses écrits ?
Comme on le voit ici, toutes ces questions portent, non sur l'œuvre littéraire, mais sur sa relation avec une certaine «morale» politique ou sociale. Et cela nous amène à nous demander en conséquence si cet «engagement littéraire» n'est pas, au fond, un moyen d'asservir la littérature à une cause politique et/ou morale. Mais est-ce vraiment le but de la littérature ? Naturellement, non. Une œuvre d'art doit répondre à un «l'impératif esthétique» (Sartre) que l'auteur lui-même s'assigne, sans pour autant se couper du monde.
En d'autres termes, si Sartre et Caillois ont considéré qu'un écrivain doit «appeler un chat un chat», l'écrivain doit garder en tête cette formule de Mallarmé : «Celui qui appelle un chat un chat mérite d'en avoir un dans la gorge.» Cela nous incite donc à un équilibre entre la prise de position politique et morale et le travail esthétique de l'artiste qui sait que sans le mystère qui se dégage de son œuvre et sans sa forme travaillée, elle aura vite fait d'ennuyer le lecteur.
Sont posées dans ce qui vient d'être dit un certain nombre de problématiques qui concernent l'écrivain francophone, en général, et l'écrivain algérien, en particulier. En Afrique, après les indépendances, les Etats, par le biais de l'école et des médias, ont perverti l'esprit nationaliste qui avait mené à leur libération. Ils ont donc cultivé un nationalisme fascisant.
En effet, quelle différence y a-t-il aujourd'hui entre la propagande du FLN en Algérie et la propagande du FN en France ? Ce nationalisme perverti a eu recours aux écrivains officiels qu'il a mobilisés et cela a dénaturé l'idée de l'engagement dans la littérature africaine, et en a fait un outil de «terrorisme intellectuel». Comme le dit si bien Mouloud Mammeri dans son entretien avec Tahar Djaout : «En tout cas, c'est ce qui se passe pour l'engagement ; nous l'avons pris à l'Occident comme nous prenons ses usines : clefs en main.
Après il n'y a plus qu'à laisser fonctionner la machine. On a trouvé le sésame. La formule tient lieu de réflexion, à la limite elle en dispense. L'engagement, ainsi, utilisé n'est pas seulement un instrument commode, c'est aussi un bon instrument de terrorisme intellectuel : il permet de condamner ceux qui pensent différemment.» L'engagement est donc un instrument au service d'une idéologie qui est déjà au pouvoir. Reste les écrivains qui, après les indépendances, ont maintenu leur liberté d'opinion. Mammeri, Kateb, Dib, Djebar…
Or, à l'époque, ces écrivains pouvaient avoir une certaine force et agir sur le public. Si l'Algérie n'a pas connu d'«écoles» littéraires –ce qui suscite l'incompréhension de certains critiques français –, il y a eu un certain réseau et de solidarité d'idées. Non seulement les écrivains cités se connaissaient et luttaient, chacun de son côté, pour le même idéal, mais ils étaient conscients de cette solidarité. Celle-ci s'est poursuivie par la suite avec des auteurs comme Djaout et Mimouni. Aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'elle n'est plus. La lutte au sein de la littérature algérienne –et plus largement africaine– ne se fait plus pour les idées mais pour «plaire». Plaire aux médias occidentaux, plaire au pouvoir, ou plaire aux islamistes.
Ce qui met cette littérature dans une situation inédite : si les questions politiques et morales sont abordées et sont même au cœur de cette nouvelle littérature, elles le sont à des fins pécuniaires ou militantes malsaines. Ainsi, certains voient les islamistes dominer le monde, car le thème est vendeur en Occident ; d'autres réécrivent l'histoire de la décennie noire en faveur de l'Etat dédouané de sa responsabilité dans l'émergence des islamistes, du FIS et du terrorisme, ou en faveur des islamistes dédouanés de leurs crimes ; les derniers s'éprennent de thématiques sociales montrant un visage de l'Algérie, ou plus largement de l'Afrique du Nord, qui est un idéal présenté comme une réalité et folklorisent la misère de l'Afrique qu'ils embellissent pour égayer les Parisiens.
À cette situation qui rend la littérature «esclave» des attentes des différents publics, s'ajoute une autre problématique qui est liée au travail esthétique ou formel que nos écrivains ne font plus. En la matière, au risque d'être sévère, je ne me retrouve que rarement dans la littérature francophone actuelle.
J'ai souvent l'impression que, désormais, on réduit l'écriture à la création de personnages–aussi transparents soient-ils– et aux petites aventures qu'on leur ferait vivre et qui tiendraient le lecteur en haleine. La phrase n'est plus travaillée, les mots ne sont pas choisis, le rythme n'est plus utérin. On nous sert une langue qui ne chante plus et le public ne fait plus la différence entre l'écriture d'un chroniqueur dans un journal et l'écriture d'un romancier ou d'un dramaturge.
Des écrivains dont la langue est en soi un signe de liberté, comme Djaout et Mimouni, dont la langue tire des sourires ébahis au lecteur, comme Mouloud Mammeri, dont la langue vous jette dans vos rêves d'enfance, comme Fadéla M'Rabet, dont la langue vous bouscule ou vous découvre un nouveau rythme de vie, comme Nabile Farès, on n'en voit pratiquement plus. En revanche, quand on lit ce qui se produit de nos jours, on entend l'écrivain nombriliste et sa satisfaction d'être un écrivain : «Quel prestige !» La conséquence sur moi est infiniment frustrante : j'ai dans ma bibliothèque un certain nombre de romans achetés en Algérie que j'ai abandonnés au bout de la première ou troisième page.
A la décharge de l'écrivain, un livre travaillé et bien réfléchi est un livre qui a peu de chances d'être publié. En Afrique, les éditeurs publient pour gagner des subventions étatiques. Combien d'éditeurs algériens sont des affairistes serviles qui éditent des livres pour que l'Etat leur achète son quota de mille exemplaires qui seront par la suite jetés dans une cave où il moisiront sans avoir jamais été lus ? Combien d'éditeurs aiment vraiment la littérature et la respecte ?
Cette réalité économique tue la littérature. L'écrivain est alors forcé de faire un choix : satisfaire une attente commerciale ou garder son livre dans son tiroir. J'ai personnellement entendu la représentante d'une éditrice algérienne dire –fièrement– dans une rencontre publique à Marseille qu'elle et le comité de lecture, dont elle fait partie, ont refusé un roman qui était pourtant d'excellente facture. Pourquoi ? L'auteur en question n'est ni un apprenti nazi raciste ni un islamiste coupeur de têtes, et probablement pas une personne qui ferait trembler nos dirigeants attachés à leur pouvoir. Non, «c'est qu'il est une personnalité complète» !
Ce jour-là, la médiocrité algérienne prenait enfin un visage à mes yeux et c'était le visage de cette femme qui, ô stupeur !, est aussi une écrivaine. Il reste donc à l'écrivain engagé pour la libération de son pays et de son peuple, qui est tout aussi engagé pour garder une certaine exigence littéraire dans la production algérienne, ou africaine en général, les éditeurs indépendants. Mais ces éditeurs, parmi lesquels Bouchène ou Arezki Aït Larbi (Koukou Editions), n'ont aucune subvention étatique –ce qui est attendu puisqu'ils font circuler des idées qui dérangent de toute part– sont tenus à une production limitée. Pour qu'ils puissent publier plus, il faudrait qu'il y ait un public intéressé.
Or, en Afrique, comme en Algérie, les gens ne lisent pas. Et c'est là que le serpent se mord la queue. C'est là aussi qu'une nouvelle question s'impose : «L'engagement de l'écrivain n'est-il pas vain dans nos sociétés avant même qu'il ne s'exerce ?» Aujourd'hui, je lis et j'entends souvent des Algériens appeler les intellectuels à s'exprimer sur la situation de l'Algérie ou inciter ce qu'ils appellent «l'élite» à prendre la parole et à les guider.
Etrangement, la plupart des intrigantes sirènes qui lancent ces appels sont des militants du FIS, c'est-à-dire ceux-là mêmes qui ont participé à l'extermination de l'intelligence et de la libre pensée dans notre pays. Aux autres, je m'amuse à leur demander de «nommer» ces intellectuels dont la parole leur manque tant. A ce jour, une seule personne m'a répondu en nommant Rachid Boudjedra –au cœur d'une polémique médiatique à l'époque–, tous les autres sont restés bouche bée. Si la situation était différente, l'Algérie serait-elle dans le marasme moral et politique qu'elle connaît aujourd'hui ?
Si l'attente du public envers ses écrivains et ses intellectuels était sincère et motivée, les Algériens se seraient arrachés le dernier livre de Fadéla M'Rabet, particulièrement les femmes, tant la réflexion qu'elle propose sur le voile et le corps de la femme dans notre société est pertinente et originale. Si l'écrivain ou l'intellectuel algérien avait une valeur quelconque dans notre société où l'on ne sait plus s'écouter, on respirerait la liberté.
Quelques exemples s'imposent : quand dans les années 1980, la députasserie algérienne débattait des moyens d'encourager les femmes à porter le voile, Kateb Yacine s'était insurgé et avait dès lors tiré la sonnette d'alarme contre les dérives intégristes, sa parole a-t-elle eu un poids quelconque quand on sait qu'en 2015, en plus des minables frustrés, même des femmes agressent et insultent celles d'entre elles qui ne sortent pas voilées ?
En 1987, Tahar Djaout s'était jeté jusqu'au cou dans la folie qui minait l'Algérie et la mine toujours : il avait écrit L'Invention du désert où le dangereux Ibn Toumert est –hasard ou pas– la représentation exacte d'Ali Benhadj. Ce roman, très lu dans le monde, est-il lu par tous les Algériens ? Considérerait-on, en 2015, après 200 000 morts, Ali Benhadj comme un héros ? Rachid Mimouni a bien écrit Une Peine à vivre où il analyse très bien l'esprit vindicatif et meurtrier de la junte militaire. A-t-on pour autant une société qui n'est pas fascinée par les épaulettes et les kalachnikoves ?
En vérité, si la littérature engagée pouvait avoir une quelconque utilité politique et sociale, les Algériens auraient largement matière à lire grâce à ce que nos écrivains nous ont laissé comme héritage ; un héritage qui reste d'actualité et qui, au regard de la régression civilisationnelle dans laquelle l'Algérie s'inscrit actuellement, est encore plus urgent à découvrir. Tout cela m'amène à penser que les Algériens aiment envoyer leurs intellectuels et leurs artistes à la mort pour, ensuite, leur rendre hommage.
Comme le chante si bien Aït Menguellet, dans ce pays où cheikh Chemsou est plus connu que Jean Amrouche : «Ils te tueront la nuit/ Au matin, tu seras dans leurs complaintes.» D'ailleurs, souvenons-nous des accusations de trahison et des insultes en tous genres lancées à des écrivains comme Taos Amrouche, Kateb Yacine ou Malika Mokeddem. Les premiers ont eu droit à des hommages après leur mort, la dernière attendra (en lui souhaitant une longue vie).
L'aboutissement de ces échecs (échec de l'écrivain à être à la hauteur des exigences de la littérature, échec de la société à promouvoir et valoriser les œuvres de ses écrivains, échec de l'Etat à respecter la liberté d'opinion…) est l'étouffement de la poésie. Oui, car la prose, sans une écriture poétique, voire la littérature sans la poésie, c'est le chant funèbre de la servilité littéraire. Seule la poésie est capable de faire émerger les symboliques qui nous permettent de gérer la folie à laquelle les idéologues nous programment. Et cette poésie, les éditeurs marchands n'en veulent pas, ni les Etats.
Ils savent que la force de la poésie est de constituer des peuples désintéressés par les biens matériels et par le pouvoir, mais amoureux de l'art et de la liberté. Aussi convient-il aujourd'hui de considérer que la plus grande forme d'engagement pour écrivain est de pratiquer la poésie. Mais tout pour autant n'est perdu. En plus des poètes de la tradition orale qui ont un réel ancrage dans la société, l'Afrique compte des écrivains engagés, comme le Sénégalais Boubacar Boris Diop, le Tchadien Koulsy Lamko, la Malienne Aminata Dramane Traore ou encore l'Algérienne Maïssa Bey.
Mais ce sont des auteurs qui ne sont pas très médiatisés, parce que, justement, ils ne folklorisent pas l'Afrique et ne cherchent pas à faire pleurer le lecteur avec des histoires d'amour entre des enfants persécutés par les islamistes mais dont l'amour est plus fort que tout – un peu comme dans les navets hollywoodiens – mais parce qu'ils interpellent les consciences et ils les poussent jusque dans leurs derniers retranchements pour les forcer à s'interroger sur tout ce qu'elles considèrent comme des évidences et qui ne le sont pourtant jamais.
Que peuvent donc faire les écrivains francophones africains, dont les Algériens ? On doit peut-être commencer par éviter de prendre comme modèle un écrivain parce qu'il est médiatisé ou parce qu'il a été primé. Les écrivains francophones les plus primés le sont – souvent – parce que leur écriture répond à des canons littéraires attendus, notamment les canons du roman français.
On doit ensuite cesser de courir derrière un lectorat pré-défini ou un lectorat national, même si celui-ci est important, car il est naturel qu'un écrivain soit lu par le peuple auquel il appartient ou dont il parle. Enfin, on devrait prendre comme exemple les écrivains haïtiens qui, aujourd'hui, conçoivent la plus grande littérature francophone, sans trahir leurs idéaux, ni leurs valeurs politiques, sans transformer Haïti en une danseuse du ventre pour des spectateurs étrangers en quête d'exotisme, ni négliger l'impératif esthétique qui fait qu'une œuvre est distingue une œuvre d'art des moimoi-ismes insipides.


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