Plus de trois ans après la création de Nidaa Tounes par le président Béji Caïd Essebsi, en juin 2012, le parti n'a pas encore tenu son congrès constitutif. Toutes ses instances sont provisoires, en attendant ce congrès qui ne cesse d'être reporté sine die par les instances dirigeantes du parti. Toutefois, si ces reports étaient compréhensibles durant la période des élections de 2014, ils posent désormais des interrogations auprès des bases du parti, sorti vainqueur des élections parlementaires et présidentielle, ainsi qu'auprès de l'opinion publique. «En 2014, la principale tâche était de gagner les élections et de contribuer à l'édification du gouvernement et au roulement dans les structures de l'Etat, après le départ de la troïka», explique Mustapha Ben Ahmed, membre du bureau politique de Nidaa Tounes et député à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Le député s'interroge toutefois sur le fait qu' «une année après les élections, rien de tangible n'a été réalisé en matière d'adhésions au parti ou de tenue des congrès des structures de base, phase essentielle pour la préparation du congrès». Interrogation à laquelle répond Khemaies Ksila, autre député de Nidaa Tounes à l'ARP : «Mais c'est le bureau politique qui n'a rien fait pour le congrès, tâche pour laquelle il a été élu.» Ben Ahmed et 23 autres membres ont été élus en mars dernier lors de l'élargissement de la commission constitutive de Nidaa Tounes, formée de 11 membres, en bureau politique de 34 membres, afin de préparer le congrès. L'élargissement a été justifié par le fait que cinq membres de la commission constitutive occupent désormais de hauts postes (le président de l'ARP, Mohamed Ennaceur, et les ministres Taïeb Baccouche, Lazhar Karoui Chebbi, Slim Chaker et Selma Rekik). Ils sont trop occupés pour assurer le cumul, d'où l'élargissement. Différends Deux conceptions du congrès constitutif opposent aujourd'hui les membres dirigeants de Nidaa Tounes. La tendance de Hafedh Caïd Essebsi, fils du Président, prône un congrès avec les structures existantes. «C'est un congrès constitutif. Nous le tenons avec les structures provisoires constitutives», pensent les ténors de cette approche, comme Khemaies Ksila ou Ridha Belhaj, membre fondateur et directeur du cabinet présidentiel. «Les élections des structures se feront après», explique Ksila. L'autre tendance, incarnée par le secrétaire général Mohsen Marzouk, défend des élections de la base au sommet pour «édifier un parti moderne sur des bases démocratiques». Cette tendance comprend le président de l'ARP et le ministre des Affaires étrangères, Taïeb Baccouche. Tous les trois ne se sont pas présentés à la réunion de la commission constitutive, tenue avant-hier, à laquelle avait appelé Hafedh Caïd Essebsi. «Il n'y a plus d'instance dans l'organigramme du parti, appelée commission constitutive», remarque Mohsen Marzouk pour expliquer son absence, au-delà du fait qu'il rejette son invitation via un huissier ! Désaccord visible Le différend entre les deux tendances est visible pour les observateurs. Il occupe les plateaux télévisés et les tribunes des journaux. La réunion de dimanche dernier, à Hammamet, du bureau exécutif de Nidaa Tounes a été même marquée par des échanges de violences. Ce conflit a même impacté le bloc parlementaire du parti. Sur les 86 membres du bloc parlementaire de Nidaa Tounes, 47 ont répondu favorablement à l'appel de Béji Caïd Essebsi pour se réunir, lundi dernier, au palais de Carthage, suite aux incidents de Hammamet. Lors de l'élection du président du bloc parlementaire, Mohamed Fadhel Ben Omrane a devancé d'une tête Abderraouf Cherif (39 à 38). C'est dire que les deux tendances se valent pratiquement. Il est toutefois vrai que 32 députés seulement ont signé, avant-hier, la pétition annonçant le gel de leur adhésion à Nidaa Tounes. Hier et avant-hier, le président de l'ARP et président intérimaire de Nidaa Tounes, Mohamed Ennaceur, ont multiplié les contacts avec les deux camps pour trouver un compromis. Mohamed Ennaceur essaie de trouver un consensus autour des modalités de tenue du congrès constitutif de Nidaa Tounes, notamment un comité indépendant pour l'organisation et un accord sur la liste des congressistes. Le parti de Béji Caïd Essebsi a fait un parcours exceptionnel. Nidaa Tounes a fédéré le rejet populaire et gagné les élections législatives. Béji Caïd Essebsi, crédité d'un bon parcours en 2011, est parvenu à damer le pion au président en exercice, Moncef Marzouki. En deux ans, le parti a gagné toutes les échéances électorales, aidé, il est vrai, par l'échec cuisant de la troïka au pouvoir et la faiblesse structurelle de l'opposition. Nidaa Tounes est aujourd'hui face à son destin. Sa division risque d'impacter le paysage politique en Tunisie. Ennahdha risque de redevenir le premier parti chargé, en vertu de la Constitution, de nommer le chef du gouvernement. La Tunisie n'en finit pas de digérer sa transition.