Ce que Amar Saadani, secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), est à la vie politique nationale est ce que l'éléphant est à un magasin de porcelaine. Il casse tout sur son passage, il avance tête baissée. C'est visiblement grâce à ce profil qu'il a été désigné d'abord à la présidence de l'Assemblée populaire nationale (APN) en 2004, puis au poste de secrétaire général de l'ex-parti unique en août 2013. Amar Saadani en a donné encore la preuve, hier, dans une interview diffusée sur la chaîne de télévision Ennahar. Il est du genre à aller, sans vergogne, à l'encontre de la logique et dire des monstruosités sans en rougir. L'ancien ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, contre lequel le procureur général du tribunal de Sidi M'hamed avait lancé un mandat d'arrêt international, est «le meilleur ministre de l'histoire de l'Algérie», a lâché le patron du FLN avant de l'innocenter en soutenant que le ministre fugitif, qui a été l'invité de l'ambassade d'Algérie à Washington le 4 novembre dernier, est «victime des rapports des officiers» du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) qui ont tenté «de mettre fin à sa carrière politique» à lui aussi. Sur la mise à la retraite du patron des services de renseignement, Saadani – qui menaçait dernièrement l'opposition de «répondre aux dépassements par des dépassements» – ne mâche pas ses mots et précise aux plus sceptiques que le départ du général-major Mohamed Mediène, dit Toufik, a été décidé par le président Bouteflika lui-même. Inutile donc de chercher une autre explication ni de spéculer sur la façon dont celui qu'on qualifiait de faiseur de Présidents a été éconduit. Amar Saadani, sous le contrôle de ses parrains, ose tout, remet en cause ce que tout le monde sait, lance des piques à ses adversaires et recadre même les soutiens du chef de l'Etat. Le patron du FLN explique ses rapports aussi bien avec le chef d'état-major et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, qu'avec le frère-conseiller du président de la République, Saïd Bouteflika. Ni le premier qui, selon lui, est «un moudjahid dont la mission est de défendre le pays et le peuple algérien, ne lui donne des ordres», ni le second, «un patriote qui ne s'immisce pas dans les affaires du FLN, encore moins celles de l'Etat», ne lui dicte ce qu'il doit faire. Amar Saadani, qui réplique aux 19 personnalités ayant demandé audience au chef de l'Etat, est catégorique : «Le président Bouteflika dirige, prend des décisions et seul.» L'invité d'Ennahar qualifie, en effet, la démarche «d'unique au monde». Il accuse même ses initiateurs de «vouloir défendre des intérêts personnels». «Ils habitent au Club des pins, roulent en véhicules de luxe et jouissent d'une protection.» Le patron du FLN considère, par ailleurs, ce qui se dit sur le Président et son entourage comme du «bavardage». Mais de sa diatribe et son impudente réponse à des questions qui font débat sur la place publique — à savoir la capacité du chef de l'Etat à gouverner le pays, la gangrène de la corruption qui a bloqué le développement national, le dysfonctionnement des institutions et l'émergence d'une oligarchie sans foi ni loi qui s'est visiblement emparée des leviers du pouvoir — Amar Saadani offre une grille de lecture inespérée aux analystes. L'on comprend bien que les prétendues «restructurations» qui ont touché les services du renseignement et le départ du patron du DRS n'ont obéi à aucune logique de réforme, mais ont un lien direct avec les dossiers de corruption qui ont ébranlé Sonatrach et mis en cause l'ancien ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil. Ce dernier est «innocent», a affirmé Amar Saadani, qui donne une abondante matière à même de comprendre ce qui se passe dans le pays depuis de longs mois. N'est-ce pas lui qui, selon le témoignage de l'ancien ministre de la Justice, Mohamed Charfi, le jour même de son installation à la tête du FLN, lui a proposé «amicalement» de préserver son poste de ministre de la Justice en s'engageant à extirper Chakib Khelil de l'affaire Sonatrach 2 comme on extirpe un «cheveu d'une pâte» ? En filigrane de ses déclarations, le patron de l'ex-parti unique dessine même une certaine architecture du pouvoir et des nouveaux rapports de force. En suivant l'adresse des éloges qu'il sert allègrement à un Président qui «gère et prend les décisions», à un chef d'état-major, vice-ministre de la Défense qui «respecte la loi, défend le pays et le peuple», et enfin à un frère-conseiller «patriote», l'on comprend bien que la réalité du pouvoir est entre les mains de ce triumvirat et, bien évidemment, de ses relais politiques et leurs ramifications dans le monde des affaires. Amar Saadani s'inscrit même dans la perspective des prochaines élections présidentielles, en coupant l'herbe sous le pied du secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND), Ahmed Ouyahia, néanmoins chef de cabinet de la présidence de la République, qui n'arrête pourtant pas de montrer patte blanche. Selon lui, c'est d'ores et déjà tranché : le FLN ne le soutiendra pas. Reste maintenant à connaître le scénario définitif qui semble réserver un rôle prépondérant à un responsable politique controversé qui attaque, tous azimuts, sans mettre de gants.