La première personnalité française à reconnaître que l'ingérence dans les affaires intérieures des Etats n'était finalement pas une bonne idée est l'ancien ministre des Affaires étrangères sous Nicolas Sarkozy, Alain Juppé. Celui-là même qui voulait envoyer Bachar Al Assad au TPI et qui avait dit, en novembre 2011, que les jours du régime syrien étaient comptés. Depuis les attentats qui ont endeuillé Paris vendredi dernier, la France ne conditionne plus le règlement de la crise syrienne par le départ de Bachar Al Assad. Pour le président français François Hollande, la priorité sera désormais donnée à l'anéantissement de l'organisation terroriste autoproclamée Etat islamique (EI/Daech), responsable du massacre commis en région parisienne. Dans sa volonté d'en finir au plus vite avec l'EI, le chef de l'Etat français ne voit plus d'inconvénient à participer à une coalition internationale anti-Daech dans laquelle feraient partie la Russie et l'Iran, deux pays auxquels il reprochait pourtant il y a peu de chercher à sauver la tête de Bachar Al Assad. Le président Hollande, comme d'ailleurs tous ses autres homologues occidentaux, évoque dans le même temps la nécessité d'engager sans plus attendre des négociations avec tous les acteurs concernés pour trouver au plus vite une solution politique au conflit syrien. La situation dicte en effet d'éteindre de toute urgence le brasier proche-oriental avant qu'il n'incendie l'Europe. Surtout qu'avec les attentats de Paris, Daech affiche clairement son intention d'élargir le théâtre de ses opérations au monde occidental. Le drame des réfugiés syriens et les attentats de Paris ne semblent être à ce propos qu'un petit aperçu des dramatiques conséquences qui peuvent découler des conflits syrien et irakien. L'importante inflexion que vient de subir la politique syrienne de l'Elysée s'explique, bien évidemment donc, par les pressions de plus en plus fortes d'une opinion française qui ne veut pas voir la France se transformer en une terre de «djihad» à cause de l'«aventurisme» du gouvernement français au Proche-Orient. L'autre raison de ce recentrage politique découle certainement aussi de la prise de conscience, autant par L'Elysée que par le Quai d'Orsay, que dans leur empressement à vouloir renverser à tout prix Bachar Al Assad et son régime — comme cela s'est produit en 2011 avec Mouammar El Gueddafi en Libye —, ils ont favorisé la prolifération d'organisations terroristes. Des organisations qui cherchent aujourd'hui à faire basculer l'Europe et le Maghreb dans la peur et l'horreur. C'est ce qui pourrait s'appeler un effet boomerang ou un retour de manivelle. Mais concrètement, les faits sont là : la fulgurance du phénomène Daech contraint aujourd'hui les Occidentaux à modifier leur agenda proche-oriental. La France s'est trompée La première personnalité française à reconnaître que l'ingérence dans les affaires intérieures des Etats n'était finalement pas une bonne idée est Alain Juppé, l'ancien ministre des Affaires étrangères sous Nicolas Sarkozy. Celui-là même qui voulait envoyer Bachar Al Assad au TPI et qui avait dit, en novembre 2011, que les jours du régime syrien étaient comptés. Lors de son passage hier sur la chaîne d'information française BFMTV, M. Juppé a reconnu clairement que la France avait fait totalement fausse route. «Aujourd'hui, quelle est la priorité ? Se débarrasser de Bachar ou écraser Daech ? La réponse est tout à fait claire : écraser Daech», a-t-il estimé. Cela après avoir reconnu que la France s'est trompée, y compris quand il dirigeait la diplomatie française. «Donc le président de la République (François Hollande) a raison d'essayer de constituer une coalition unique : Américains, Russes, Français, Iraniens. (...) C'est vrai que c'est un changement dans la ligne que nous suivons depuis 2011 pratiquement, mais le monde a changé», a-t-il expliqué. Il n'est pas faux de dire maintenant que la menace Daech — qui a connu cette semaine son point d'orgue avec les attentats de Paris — a permis une conjonction des intérêts occidentaux, russes, iraniens et sans doute chinois et va aussi rendre possible un règlement politique rapide de la crise syrienne. C'est, en tout cas, le point de vue défendu hier par le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, lors de son passage dans la capitale française. La Syrie est peut-être à quelques «semaines» seulement d'une «grande transition» politique entre le régime de Damas et l'opposition, a jugé le chef de la diplomatie américaine, dans la foulée du compromis international conclu à Vienne. «Nous sommes à des semaines, en théorie, de la possibilité d'une grande transition en Syrie» et «nous allons maintenir la pression sur ce processus (...). Nous ne parlons pas de mois, nous parlons de semaines, espérons-le», a déclaré M. Kerry à quelques journalistes voyageant avec lui. Faisant allusion au texte de Vienne qui prévoit une réunion entre le régime syrien du président Bachar Al Assad et des membres de l'opposition syrienne d'ici au 1er janvier 2016, M. Kerry a ajouté que «maintenant, tout ce dont nous avons besoin, c'est le début d'un processus politique et que le cessez-le-feu soit instauré. C'est un pas gigantesque». Un éventuel cessez-le-feu, des élections et une nouvelle Constitution sont effectivement prévus par le compromis de Vienne signé samedi par une vingtaine de puissances, dont la Russie, les Etats-Unis, l'Iran, les pays arabes et européens. Mais pour qu'une solution politique à la crise syrienne puisse tenir la route, il est important que la Turquie et la petite poignée de monarchies du Golfe arabo-persique — qui coachent, financent et arment actuellement l'«opposition» syrienne parmi laquelle se trouve une kyrielle de groupes extrémistes pour ne pas dire terroristes — acceptent de retirer leurs billes de l'échiquier syrien. C'est même une condition sine qua non pour que la paix revienne dans ce pays.