- Les cours mondiaux continuent à faire du surplace dans un contexte marqué par la persistance de la surabondance de l'offre en pétrole. Certains analystes s'attendent à ce que le prix du brut tombe aux alentours de 20 dollars le baril, d'autant que l'hiver s'annonce doux cette année. Qu'en pensez-vous ? De manière globale, le modèle classique de formation des prix repose sur des variables structurelles (demande, offre), semi-structurelles (capacités de production et de stockage) et conjoncturelles ou extrastructurelles (géopolitique, financement des économies, marché boursier des matières premières). Cela se traduit par une tendance structurelle du prix du pétrole (moyenne de 50 dollars/b 2015, 55 dollars/b en 2016, etc.), une volatilité des prix comme c'est le cas pour l'ensemble des matières premières. De ce fait, on peut dire oui pour 20 dollars/b, ou oui pour 70 dollars/b durant un jour ou deux. De même, dans le temps, les prévisions sont différentes selon que l'on se situe sur le court, le moyen ou le long termes. Dans l'espace iso-temporel, les prix sont différents suivant les catégories de bruts et les pays. Ainsi un brut à 40 dollars correspond à 30 dollars/b au Venezuela (brut extra-lourd) ou aux Etats-Unis (interdiction d'exporter le pétrole brut intérieur). En résumé, on peut dire que pour 2015-2017 le prix sera proche des 60 dollars/b sur les 3 ans, mais avec une volatilité certaine, au moins selon les conditions géopolitiques (Daech, Libye, Irak...) ou la mise sur le marché du pétrole liquide (brut+condensat) iranien stocké dans les bateaux (500 000 barils, soit presque la moitié de la demande 2016) ou à produire (1 million de barils/jour). - L'Arabie Saoudite pense que les pays producteurs doivent augmenter leur capacité de production de 5 millions de barils par jour pour répondre à la demande mondiale. Quelles seraient les conséquences d'une telle décision sur le marché pétrolier ? En fait, il s'agit des 5 millions barils/jour conséquence de la déplétion pétrolière (le fameux «vieillissement» des gisements) et des nécessaires investissements à réaliser. Le modèle mondial d'offre-demande pétrolière (brut+condensat) montre que, pour la première fois, la demande mondiale hors OCDE a dépassé la demande des «pays riches» (OCDE). Ainsi, près de nous, l'UE voit sa consommation se stabiliser. A moyen terme, le véritable combat, sous l'angle du nouveau paradigme du «price maker» ou modèle de Stackelberg, se joue entre les gisements vieillissants (déplétion) de l'Arabie Saoudite et les gisements non conventionnels américains (tight+shale oils). L'arme des premiers est un coût moyen de 20 dollars le baril ; celle des seconds, un coût de 20 à 60 dollars/b (taux d'actualisation de 10%) ou 30 à 80 dollars/b (taux de 20%). Autre arme des seconds : des réserves assurant le maintien de la production actuelle (soit trois fois celle de l'Algérie ou de la croissance annuelle de la demande mondiale). Ensuite, les ruptures technologiques de récupération, de nano catalyse (gaz naturel comme substitut au pétrole pour la production des carburants). Enfin, la fin de l'OPEP prévue vers 2025 est accélérée par l'erreur de jugement de l'Arabie Saoudite qui, il y a un an exactement, a engagé les pays de l'Organisation dans une «bataille» contre les pétroles américains non conventionnels, perdue d'avance car elle avait omis de bien calculer «les coûts marginaux» de ces tights et shale oils. Le comble est qu'elle a obligé les autres membres de l'OPEP à la suivre dans cette terrible mésaventure, aggravée par les prix d'équilibre budgétaire de 100 dollars et plus, faux «privilèges» des Etats rentiers de 2000-2020. - Que peut faire l'OPEP, aujourd'hui, pour parvenir à un rééquilibrage du marché ? Sur le plan historique, en 2025 on dira que l'ex-OPEP aura vécu (depuis 1960) comme ont vécu les 7 «sœurs pétrolières» (ex-cartel mondial) de 1920 à 1960, ou la compagnie texane des… chemins de fer (ex-cartel américain). Sur le plan de la théorie de la décision, il y a deux OPEP : le CCG et les «fragiles» dont l'Algérie, chacune avec des stratégies totalement antagonistes. Contre les «deux OPEP», il y a la technologie, les réserves américaines en non-conventionnel, l'ambiguïté des producteurs potentiels (Iran, Irak puis Libye), la transition énergétique, etc. Contre les «fragiles», il y a le «Daech intérieur», à savoir le prix d'équilibre budgétaire supérieur à 100 dollars, conséquence de l'Etat rentier, de l'absence de gouvernance, du règne de l'«a-compétence» et de l'absence de rétroviseur. L'OPEP n'a plus qu'à agir sur une variable interne : supprimer les déficits (budget) et s'engager dans l'après-pétrole. Mais n'est-il pas trop tard ? - Que doit faire l'Algérie pour préserver ses intérêts sur ce marché et minimiser l'impact de la chute des prix du pétrole ? L'Algérie est condamnée à effectuer un virage à 180°. Nous avons 2016-2017 pour tout changer (structures, systèmes, politiques, gouvernance, citoyenneté, etc.). Mutatis mutandis, il y a un plan B. Mais l'Algérie a-t-elle encore des oreilles, un cerveau et des bras ? Sur le plan économique, s'abriter derrière le Venezuela, pays rentier en déconfiture certaine ; sur le plan du marché pétrolier, il n'est pas opportun de faire des recommandations car, contrairement à ses deux prédécesseurs, l'actuel ministre de l'Energie, ingénieur et économiste, maîtrise parfaitement le modèle global.