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"2015 et 2016 seront des années difficiles" Dr Mourad PREURE, Expert Pétrolier International, Président du Cabinet EMERGY International Strategic Consulting, à "Liberté"
Le spécialiste en énergie aborde dans cet entretien l'évolution des prix du pétrole à court et moyen terme et ses répercussions sur l'économie nationale. Quelle lecture faisez vous de l'évolution du marché pétroliet et comment voyez-vous la durée de la crise pétrolière actuelle et l'évolution des prix du pétrole d'ici à 2019? Globalement le marché pétrolier, dont les forces de rappel semblent inopérants, apparait erratique, livré à la spéculation, et sans direction de prix claire à court terme. Depuis la mi-mars, les cours, qui avaient chuté de plus de moitié à un peu plus de 40 dollars depuis juin 2014, ont nettement rebondi et pris environ 40% à New York à 62,58 dollars, un sommet en cinq mois. Le prix du baril de Brent ont atteint en mai en cours d'échanges européens 69,63 dollars, son niveau le plus élevé en cinq mois. Quatre types de raisons (i) L'annonce par Washington, mercredi, d'une baisse des réserves américaines de brut, la première depuis quatre mois de hausse continue, (ii) L'annonce par la Chine d'importations à un niveau record en avril, (iii) (iv) Le nombre de forages aux USA diminue très rapidement. Baisse de 41% en une année du nombre des puits en activité qui est passé de 1800 en avril 2014 à 800 en avril 2015. (v) Baisse du dollar depuis la mi-avril. Corrélation inverse entre prix du pétrole et dollar L'année 2015 restera marquée par une tendance baissière prononcée du fait d'un équilibre Offre/demande défavorable et d'une croissance encore atone avec un fléchissement, selon moi conjoncturel, des pays émergents. La croissance économique mondiale devrait être de 3.7 en 2015. Avant la crise de 2008, la croissance mondiale était de 5% durant 5 ans. La demande mondiale a été de 92.5 Mbj en 2014 et devrait se placer à 93.4 en 2015 selon l'AIE. La production des pays NOPEC devrait progresser de 0.42 Mbj contre 0.85 prévu. La demande adressée à l'OPEC devrait se placer à 29.2 Mbj en 2015. Or l'OPEC produit plus de 31 Mbj et les stocks restent élevés. Il y a donc structurellement un excédent d'offre sur le marché de l'ordre de 1.3 Mbj. Je pense qu'il devrait céder la place à un léger déficit d'offre le deuxième semestre, aux Etats-Unis, les raffineries en maintenance reprendront car on entre dans la « driving season » où la demande explose. La demande chinoise semble par ailleurs reprendre aussi.
Les perspectives à moyen terme du marché sont contrastées : Au cours des six prochaines années la demande devrait progresser plus vite que l'offre avec un affaiblissement de la position des schistes US. Mais le marché doit faire avec une production, les schistes, plus élastique par rapport au prix, plus flexible ce qui va en accroitre la volatilité. Pour que les prix s'orientent à la hausse, il faut que la production des Etats-Unis se stabilise, puis commence à baisser. Mon sentiment est que nous entrons doucement dans cette phase. On peut prévoir, sur la base de l'évolution des forages, que la stabilisation s'engage vers mai – juin. La pression baissière de l'offre américaine est encore portée par des projets en production ou en cours de développement et qui ont été lancés avant l'été 2014. La production commence à reculer légèrement en mai par rapport à avril, a annoncé, l'EIA, une première depuis décembre 2011. La baisse de la production US pourrait être attendue entre juillet et septembre. L'impact sur le prix devrait se manifester vers octobre - novembre où le WTI remonterait vers 70 $ et le Brent vers 80 $. Avec cependant quelques incertitudes : (i) A quelle vitesse remonteront les prix ? (ii) Réaction du marché à cette tendance haussière et de la spéculation dans l'amplification des tendances et la volatilité des prix ? Une remontée forte, vers 80 $, suivie d'une correction brutale, liée à la liquidation des stocks importants qui existent actuellement, n'est pas à exclure avant que l'on retrouve un cours d'équilibre autour de 70 $ pour 2015. (iii) Quel rôle jouera le facteur géopolitique ?
Selon moi, 2015 et 2016 seront des années difficiles et de forte incertitude pour l'industrie pétrolière, particulièrement pour les producteurs même si le rééquilibrage offre/demande commencera à s'opérer en 2016. Avec deux risques majeurs : (i) En cas de crise des schistes US, les banques assumeront le risque financier (entre 250 et 400 G$ de dettes). 5 000 G$ ont été investis par les banques dans les non conventionnels. Le dollar devrait s'en ressentir, et baisser à nouveau à partir de juillet-septembre 2015. Risque fort d'une décélération brutale de l'économie américaine et un collapsus mondial en perspective. Mais en même temps, une baisse du dollar aura un effet haussier sur les prix. Donc grande volatilité en perspective. (ii) Une arrivée simultanée des pétroles iraniens (+ 1 Mbj au minimum puis jusqu'à 2 Mbj car la production iranienne était de 4 Mbj avant l'embargo, elle n'est que de 2.8 Mbj aujourd'hui), Libyen (+0.5 puis 1 Mbj, la capacité libyenne est de 1.5 Mbj en temps normal. La conclusion d'un accord politique en Libye risque d'avoir un effet baissier dès 2015), irakien (1.5 à 2 Mbj). C'est au total près de 4 Mbj qui pourraient arriver sur le marché alors que l'excédent de capacité de production est déjà de 1 Mbj. Pour toutes ces raisons, cette crise peut durer plus longtemps que les crises de 1986 et 1998 qui ont toutes été résolues par un effort de l'OPEC. En est-elle capable aujourd'hui alors que la position de l'Arabie Saoudite est précarisée vis-à-vis des Etats-Unis désormais indépendants du Moyen Orient et davantage intéressés par un deal avec un Iran qui a les moyens et surtout la volonté d'une ambition de puissance dans la région ? En 2017/2018 le prix devraient prendre franchement un sentier haussier sous le double effet de : (i) La reprise de la demande encouragée par un retour de la croissance des émergents. (ii) Les effets du ralentissement des investissements pétroliers depuis 2013 induiront une baisse de la production, notamment en mer profonde et très profonde, dans les sables asphaltiques, mais aussi dans les gisements matures de la Mer du Nord et d'autres zones NOPEC. Depuis la baisse des prix, les investissements ont chuté de 100 G$ selon l'AIE, soit une baisse de 20% que n'avait même pas provoqué la crise de 2008. Les compagnies US ont baissé leurs investissements de 41%. Plus fondamentalement, il me semble que nous entrons dans un nouveau paradigme pétrolier dont il faut s'accommoder désormais. D'une part, la demande est inélastique par rapport aux prix à court terme et élastique à long terme. Contrairement aux attentes de l'OPEC, les prix bas n'ont que peu d'impact sur la demande. Or pour que les prix s'engagent sur un sentier haussier robuste, il faut qu'ils soient tirés par une dynamique de demande. Dans le contexte de crise économique mondiale, qui atteint aujourd'hui les pays émergents, cela ne va pas être possible. Quant à un ralentissement structurel de l'offre, notamment des tight et shale oil américains, il faut compter aussi avec le progrès technique qui permet un abaissement des coûts, ce qui est le cas aujourd'hui, et les productions américaines résistent remarquablement au choc. La chute des prix va surtout accélérer la restructuration du secteur avec une évolution darwinienne où les plus fragiles et les plus exposés seront mangés par les plus forts. Il y a eu une franche accélération des acquisitions en 2014. La hausse a été de 41% pour un montant de 177 G$, ce qui est énorme. Nous irons vers une concentration (et je ne comprends pas que l'Algérie n'en profite pas pour acquérir des compagnies en difficulté). Les acteurs pétroliers plus gros, appuyés par le progrès technique vont rendre possible une plus grande flexibilité de la production qui s'adaptera aux prix. Et aucune guerre des prix ne pourra faire gagner, alors, à l'OPEC des parts de marché. Bien au contraire elle l'affaiblira chaque fois davantage. Autre paramètre non négligeable, toute hausse des prix va remettre en selle les tight oil américains et injecter une offre additive sur le marché. Ce mouvement de balancier sera notre paysage pétrolier de demain. Il faut désormais faire avec.
Mais, comme je l'ai toujours dit, la tendance à long terme est haussière. Elle prend en compte l'épuisement des réserves car nous sommes dans le peak oil, le pétrole de demain sera plus technologique, plus difficile à découvrir et produire. Et tout cela, le marché l'intègre aujourd'hui puisque déjà les prix à moyen terme sont en contango, c'est-à-dire orientés à la hausse. D'autre part, du coté de la demande, les nouvelles sont tout aussi alarmantes. La population mondiale augmentera de 2 milliards d'habitants d'ici 2035, particulièrement dans les pays émergents. Or aujourd'hui seulement 27 Chinois sur 1000 et 11 Indiens ont une automobile contre 721 américains sur 1000 et en moyenne 500 européens. La demande augmentera exponentiellement et sa croissance est incompressible car partant de très bas. La croissance attendue, tirée par l'Asie-Pacifique est de 1.1 Mbj/l'an jusqu'en 2030, où selon nos prévisions, elle devrait dépasser les 110 Mbj. C'est-à-dire qu'il faudra découvrir deux Arabies Saoudite pour satisfaire la demande alors que le déclin des gisements de l'ordre de 5% l'an atteint maintenant 10 à 11% du fait du désinvestissement. Le modèle de consommation énergétique occidental n'est manifestement pas généralisable à la planète. S'en approcher seulement est un cataclysme.
Que pensez- vous de la riposte du pays face à la chute des prix du pétrole et que préconisez-vous pour amortir ses effets sur l'économie nationale? Je dirais tardive du fait d'un déficit d'anticipation de la part des décideurs. Nous voyons ici les effets du non fonctionnement du Conseil National de l'Energie. Je pense aussi que nous surréagissons au phénomène de baisse des prix que nous percevons sous le seul angle de la baisse de nos recettes. Je dirais même plus, il y a une dramatisation de cette crise, voire même un effet de panique qui nous empêche de voir que d'autres que nous vivent aussi la crise, que comme toute crise, celle-ci est révélatrice de vulnérabilités de notre économie, de menaces mais est aussi riche en opportunités. Il y a des bêtes blessées qui sont bonnes à prendre si on se met en position offensive. Je prends toujours l'image du chasseur et du gibier. Tout est question de posture stratégique. Si nous nous mettons dans la posture du gibier, nous passerons notre temps à fuir le chasseur. Mais si nous nous mettons dans la position du chasseur, alors multitude de gibiers s'offrent à nous et nous nous prémunirons des mauvaises surprises. Ceci dit, les dernières positions et orientations du Premier ministre sont encourageantes. Il a focalisé sur Sonatrach en lui demandant de se recentrer sur son métier de base et consacrer son énergie à découvrir et produire des hydrocarbures. Il y a une prise de conscience de l'efficacité énergétique et une option claire pour engager notre pays dans la transition énergétique. Il y a aussi un patriotisme économique enfin affirmé avec un accent mis sur la préférence nationale. Tout ceci se conjugue avec les efforts fait par le ministre de l'industrie pour mettre de l'ordre dans la maison, donner une impulsion à l'industrie nationale en l'inscrivant dans un nouveau paradigme, entrer dans les chaines de valeur globales en convoitant les segments nobles, ceux à forte intensité technologique tout en engageant une dynamique d'import substitution et de modernisation de l'appareil productif. Je pense que tout ceci est bon mais demande du temps pour produire ses effets. Il faut être patient et, comme le boxeur Joe Frazier, être un bon encaisseur, résister à la tempête pour remporter le match. Je pense aussi que le gouvernement doit revoir sa démarche en matière de communication pour fédérer autour de ses objectifs le plus grand nombre. La réponse à la crise doit être avant tout une réponse citoyenne. Ce n'est pas bien grave ce que nous vivons, cela ne va pas durer plus de deux ans, trois tout au plus. Il faut garder son sang froid et réagir efficacement.
Le secteur des hydrocarbures est-il en train de réagir face aux menaces liées à la libéralisation du marché européen du gaz ? La consommation gazière européenne décline depuis 2011. En 2014, avec 11.2% de baisse, ce déclin s'est particulièrement aggravé. Les raisons sont doubles : (i) une croissance économique faible (ii) une concurrence forte du charbon américain et des énergies renouvelables. Cette situation est aggravée par l'arrivée de nouveaux entrants qui disputent à l'Algérie ses parts de marché en Europe. Les approvisionnements gaziers européens tendent à se diversifier au détriment de la source algérienne. Cela alors que l'Algérie ne dispose pas de volumes pour défendre ses parts de marché. Mais le marché gazier européen est riche, néanmoins, de grandes opportunités. L'Europe importe plus de 50% de ses approvisionnements gaziers. A l'horizon 2030 sa dépendance gazière dépassera les 80%. L'Europe est donc un enjeu majeur pour les producteurs gaziers. Les Etats-Unis sont un redoutable concurrent pour les exportateurs de gaz vers l'Europe. L'arrivée d'importants volumes gaziers provenant des Etats-Unis va avoir une action baissière forte sur les prix spots et gravement fragiliser les contrats de long terme. Sur le marché européen le processus de libéralisation engagé en 1995 sous l'égide de l'Union européenne a conduit à l'émergence d'un marché spot qui coexiste avec les contrats de long terme avec clause de take or pay, les mettant ainsi en péril. Aujourd'hui les acheteurs européens de gaz veulent imposer par le recours à la négociation et à l'arbitrage une baisse des prix, l'abandon de l'indexation sur les prix du pétrole et l'alignement sur les prix spot. La place de l'Algérie est fortement compromise sur le marché gazier européen. La renégociation des contrats gaziers qui se profile à l'horizon risque de se faire dans les pires conditions pour l'Algérie. Mais l'Algérie, fournisseur historique, fiable et nécessaire à l'équilibre gazier européen, a un pouvoir de négociation et peut, vu aussi le potentiel de notre sous-sol, notamment en non-conventionnels, imposer une nouvelle place dans je jeu gazier européen. En accédant vers l'aval de la chaine gazière et à la génération électrique en Europe, où la marge est la plus élevée et où elle maitrisera le risque volume et le risque marché. En vendant au client final molécules de gaz et Kwh elle accroit ses profits, sécurise ses débouchés, mais plus encore, se met en position de tirer profit des nouveaux volumes de gaz qui affluent en Europe au lieu de les craindre et de les subir. En contre partie elle ouvre (ce qu'elle fait déjà avec GDF-Suez) son amont gazier aux acheteurs qui partageront avec elle le risque amont. La négociation avec l'Europe ne peut, en outre, se limiter aux seules relations gazières mais doit se placer résolument dans une perspective plus large : la transition énergétique. Que peut-on attendre des changements à la tête du Ministre de l'énergie et de Sonatrach et suffit-il de nommer de nouveaux responsables pour que le secteur puisse réussir à engager une nouvelle dynamique dans la branche énergie et relever ses défis ? Pensez-vous aussi que ces changements signifient un changement de cap dans la politique du secteur de l'énergie ? Permettez-moi de lancer un cri du cœur : pourquoi notre pays se voit-il seulement comme une source, des réserves, d'hydrocarbures et non comme un acteur énergétique à par entière. Un acteur qui participe à la reconfiguration de la scène énergétique mondiale. Je pense que le plus grand acquis de l'histoire militante des pays producteurs est aujourd'hui l'existence de compagnies pétrolières nationales. Sonatrach a fait entrer l'Algérie dans l'ère des technologies pétrolières les plus modernes. Elle est animée par des femmes et des hommes formés à l'école algérienne. Elle recèle une expertise réelle qui lui a permis de résister aux malheureuses convulsions qu'on lui a fait subir ces dernières années. Je ne connais aucune compagnie pétrolière qui a vécu aussi longtemps la crise que vit Sonatrach depuis 2010. Cette compagnie a été dépouillée de ses meilleurs cadres qui ont été humiliés et poussés à partir. La richesse de cette entreprise ce sont ses cadres, ses techniciens qui sont encore là, qui n'ont pas répondu aux sollicitations des concurrents. Il faut leur redonner espoir, les réhabiliter même. La tâche est ardue pour les nouveaux dirigeants, et je leur souhaite tout le succès. La puissance d'un pays pétrolier aujourd'hui ne réside pas dans le niveau de ses réserves mais dans l'expertise et la compétitivité de sa compagnie nationale. Sonatrach doit être renforcée, il faut que toute l'intelligence algérienne, qu'elle soit ici ou à l'étranger puisse mettre ses talents au service de cette tâche sacrée, stratégique comme le fut l'étincelle de Novembre. Sonatrach doit se recentrer sur son métier de base, l'amont, devenir un grand découvreur d'hydrocarbures, elle doit renforcer son cœur technologique, les géosciences, elle doit détenir des réserves en Algérie et hors d'Algérie. Elle doit pouvoir acquérir des actifs en international, prendre le contrôle de compagnies pétrolières ou de service en difficulté pour les articuler avec son cœur technologique, avec l'université et la recherche algériennes. Pour tout cela, il faut que le management nouveau soit responsabilisé et libre de prendre des initiatives, sous le contrôle, bien entendu de l'Etat, mais dans les formes en usage dans le métier. Il faut aussi un contrôle citoyen pour la gestion de nos ressources en hydrocarbures et que surtout soit réactivé le Conseil National de l'Energie. D'autre part, le gaz est la source d'énergie qui connaitre la plus forte croissance dans les prochaines années. D'ici 2040, il passera de 21% à près du quart d'une consommation mondiale qui, elle aura augmenté de 37%. Et l'Algérie a une expertise réelle dans la chaine gazière, particulièrement dans la liquéfaction où notre pays a été le pionnier et longtemps le premier producteur. Or le marché mondial du GNL explose littéralement. Il passera de 322 Gm3 en 2013 à 450 Gm3 en 2019 pour dépasser les 600 Gm3 vers 2030 selon nos estimations. Nous devons saisir notre chance et profiter de fenêtres d'opportunité qui sont encore ouvertes, mais, dès lors qu'elles se fermeront ne nous laisseront plus que nos yeux pour pleurer. Evolution des prix pétroliers en dollars constants et courants Anticipations américaines très pessimistes quant à l'évolution de leur production de tight et shale oil