Les acquéreurs des logements à la cité El Amel, à Ouled Fayet, à l'ouest d'Alger, ne trouvent pas d'oreille attentive pour relancer leur chantier à l'arrêt ou même récupérer leurs clés. Les entreprises ne sont pas payées, le bureau d'études reste absent. Les bénéficiaires dénoncent «l'abandon des autorités». «Nous avons achevé les travaux de réalisation de notre quota de logements depuis plus d'une année. Depuis, on n'arrête pas de saisir l'Entreprise nationale de promotion immobilière (ENPI, ex-EPLF), qui nous a commandé les logements, afin de les réceptionner ou d'émettre des réserves sur les travaux afin de les refaire et réceptionner finalement le chantier. Mais toutes nos tentatives sont restées sans suite», regrette Mourad Habbak, directeur technique de la société Serouch qui a achevé les travaux de réalisation d'un bloc depuis 2014. Depuis que le gouvernement a mis en place les dispositifs d'accès au logement en les inscrivant dans son discours politique avec une intense publicité, les autres dispositifs lancés en dehors des programmes AADL et LPP traînent. Les acquéreurs de ces logements se disent «délaissés» par les autorités qui ne répondent plus à leurs doléances. Les travaux de réalisation de la résidence Amel, aux 116 logements à Ouled Fayet, Alger-Ouest, par exemple, lancés depuis huit ans, s'éternisent. Certaines entreprises ne peuvent plus continuer à travailler à cause des «contraintes techniques», d'autres «ne sont pas payées», et une entreprise, qui a «finalisé les travaux, mais le maître d'ouvrage, l'ENPI, ne veut pas réceptionner le chantier et récupérer les clefs», selon son directeur technique. Les propriétaires des logements et appartements commencent à perdre patience car «les logements et villas sont payés. Nous avons eu les actes de propriété en 2014, mais le chantier n'avance plus», dénonce Mounir, membre d'un collectif qui a été constitué par les propriétaires. «Le maître d'ouvrage doit assumer et honorer son engagement avec les acquéreurs de logements qui attendent leur livraison depuis longtemps», ajoute la même source. Les personnes qui ont acheté des villas et qui devaient être livrées en semi-fini dénoncent aussi «la qualité des travaux réalisés ainsi que la non-réalisation de la clôture murale qui doit être construite». Les entreprises de réalisation n'arrivent plus à contenir leur colère envers la direction de l'ENPI qui «souvent ne répond même pas aux écrits officiels de la part des entreprises», ajoute l'entrepreneur Mourad Habbak. Plusieurs tentatives de négociations avec l'ENPI de Koléa (Tipaza), qui est maître d'ouvrage, n'ont pas abouti. «La dernière remonte au 19 novembre dernier en présence des entreprises concernées, le maître d'ouvrage et deux directeurs de projet», nous confie Nacer T., directeur technique de la société ETPBH Djilali Mustapha, chargée de la réalisation des travaux Voirie et Réseau Divers (VRD). Otage Sur le PV de la réunion, l'ENPI reconnaît qu'«aucune solution ne sera trouvée à court terme et ne sera trouvée prochainement». Pourquoi un tel blocage ? Selon une source bien informée à l'ENPI de Koléa, «le bureau d'études étatique CNIC est la source principale du chaos dans ce chantier. Il a refusé de signer les situations des entreprises, de notifier les ordres de démarrage des travaux (ODS), et suite à ça, le projet est pris en otage par ce bureau d'études dont le contrat a été résilié par la suite». En réponse à nos questions, les responsables du bureau d'études en question se sont contentés de nous de dire : «Certes, nous avons réalisé l'étude du projet, mais le contrat qui nous lie avec l'ENPI a expiré il y a longtemps, donc, nous ne sommes plus responsables du suivi des travaux», répond la direction du CNIC. Mais selon notre source auprès de l'ENPI, «le bureau d'études est un handicap majeur, car l'étude initiale du projet est défaillante, ce qui a engendré des doubles facturations. Si nous avons suivi l'étude, le réseau d'assainissement est parallèle à celui de l'AEP, chose qu'on n'a pas toléré, il est aussi important de noter les défaillances lors du calcul des espaces entre les villas». Les acquéreurs des appartements et des villas se demandent : «Comment serait-il possible qu'il y ait un problème de financement alors que tout le monde a payé son logement, même les locaux commerciaux ont été vendus aux enchères, où est notre argent ?» Si Nacer T., directeur technique de la société qui a réalisé les travaux VRD, s'inquiète quant aux «42 millions de dinars impayés par l'ENPI» jusqu'aujourd'hui. Mourad Habbak, dont la société Seruch a achevé les travaux à 100%, il estime qu'«il ne s'agit plus d'une simple question d'argent, c'est une question de dignité, car l'ENPI que nous n'avons pas cessé d'aviser à travers des écrits officiels n'a même pas répondu à nos demandes», confie-t-il. «Ce n'est pas à notre société d'assumer des charges de gardiennage de logements achevés depuis plus d'une année. Qui va aussi assumer les frais des travaux de peinture qui doivent être refaits, car les logements n'étaient pas habités?», s'interroge-t-il encore. «Les autorités disent qu'il n'y a pas d'entreprises algériennes qui sont aptes à satisfaire les besoins des marchés, mais nous avons devant nous un exemple concret des blocages qu'on subit en tant qu'entrepreneurs nationaux», s'indigne notre interlocuteur. Certains pointent du doigt aussi la direction de l'ENPI «qui n'arrête pas de changer les directeurs à la tête du bureau de Koléa. Depuis 2005, sept directeurs sont installés l'un après l'autre à la tête de cette administration. Donc, chaque directeur qui arrive ne prend pas en charge le dossier, car ce n'est pas lui qui a lancé les travaux», précise un autre entrepreneur. Sabotage Notre source au sein de l'ENPI, de son côté, assure que «tout ce qui se passe actuellement n'est que le résultat d'une très mauvaise gestion. Les directeurs successifs n'ont pas donné d'importance à la gestion de ce projet qui normalement est achevé depuis longtemps». Hocine Bettache, chef de projet fraîchement installé au sein de l'ENPI de Koléa, explique à son tour : «Effectivement, après le départ du bureau d'études CNIC, il y avait une période creuse. Le bureau d'études Cetam a été engagé pour relancer le chantier. Durant cette période, certains responsables croient que c'est un projet qui marche bien. Juste après mon installation, deux entreprises m'ont envoyé des mises en demeure, et suite à cela, nous avons contacté le nouveau bureau d'études, afin de faire le nécessaire pour libérer les entreprises. Dans la situation de l'entreprise Seruch, il y avait des petites erreurs dans la situation qu'ils doivent rectifier et lever les réserves. La situation sera avisée et il aura l'appel de fonds afin de régler sa situation dans un délai de trois jours. Pour l'entreprises des VRD, il y a un avenant qui n'est pas conforme, car il était en hors délai. J'invite ces entreprises à nous faire parvenir les pièces qu'il faut, et je m'engage à régler le problème dans un temps record, afin que les acquéreurs puissent rejoindre leurs logements.» En attendant une solution concrète pour ce chantier à l'arrêt, certains acquéreurs souhaitent «que leurs logements soient livrés même si les travaux ne sont pas achevés. Dans tous les cas, nous allons refaire les travaux même s'ils seront achevés. Qu'ils nous donnent les clefs et c'est à nous d'achever ce projet qui traînent depuis huit ans.» Mais malgré les promesses de l'ENPI, quelques entrepreneurs refusent de continuer de discuter «avec une administration qui les a méprisés depuis plusieurs années», estime Mourad Habbak. «Nous avons répondu officiellement sur le sujet du rejet de la situation. On ne vérifie pas une situation huit mois après son dépôt. C'est tout simplement un sabotage. Effectivement, il y a une erreur de 15 000 DA, mais ce n'est pas après tout ce temps qu'ils vont nous faire parvenir cette remarque», dénonce-t-il. Ce projet devait être livré dans un délai de 18 mois de travaux, mais vu l'étude «ratée», les entreprises étaient obligées «d'attendre à chaque fois un nouvel avenant de la part du maître d'ouvrage qui à chaque fois était obligé de revoir les estimations», regrette notre interlocuteur. Les entreprises ont perdu beaucoup d'argent dans ce chantier, ce qui a été confirmé par un expert-comptable agréé par l'Etat. «Notre entreprise a employé 80 salariés déclarés, mais vu la lenteur de l'ENPI, nous étions obligés de licencier une bonne partie d'entre eux, car la société n'arrivait plus à supporter les charges. Nous avons au moins perdu 60 millions de dinars entre frais de jardinage et autres» conclut l'entrepreneur de Seruch.