La dépréciation de la monnaie nationale éveille les ardeurs des Algériens pour les devises. Méfiants, ces derniers se ruent sur les marchés informels des devises pour échanger leurs dinars contre des euros et des dollars, plutôt que de s'orienter vers l'épargne, faute d'une politique bancaire attractive en la matière. A deux semaines des fêtes du Nouvel an et quatre mois après l'entrée en vigueur du dispositif d'amnistie fiscale mis en place par l'Exécutif au profit des fortunes qui prospèrent dans les circuits informels de l'économie, la demande en monnaies étrangères n'a jamais été aussi importante. Sur le marché informel des devises — illégal mais qui s'impose en offre classique en l'absence d'un marché de change officiel — les cours des principales devises flambent contre un dinar qui perd et qui inquiète. Jeudi dernier, un euro s'échangeait contre 177 DA à l'achat et 175 à la vente, tandis qu'un dollar valait 162 DA à l'achat et 160 à la vente sur la «place» du square Port Saïd. Sur le marché interbancaire des changes, un dollar s'échangeait contre près de 107 DA, alors qu'un euro valait un peu plus de 117 DA. Il y a bien un écart, et non des moindres, entre les températures de la «place» square Port Saïd et l'agence de la Banque de développement local (BDL), dont la façade donne sur ladite place. Malgré quelques à-coups conjoncturels, la hausse des cours des principales devises contre le dinar est continue depuis maintenant plus d'une année. L'argent de la surfacturation se tarit Dans le même temps, la monnaie nationale a perdu environ 30% de sa valeur officielle depuis juin 2014, passant de 78,87 DA pour un dollar fin juin à 87,95 DA fin décembre et à 107 DA pour un dollar aujourd'hui. Si sur le marché officiel de change, le cours du dinar est la résultante d'un calcul administratif impliquant l'évolution de 14 monnaies, sur le marché parallèle, son prix obéit plutôt au principe de l'offre et la demande ainsi qu'à l'action psychologique de certains acteurs du marché. L'évolution du cours du dinar, ces derniers mois, contre l'euro et le dollar, correspond à une demande qui carbure à toute allure. Il y a un retournement de tendance tant chez les offrants que chez les demandeurs. Du côté de l'offre, s'il est vrai que les revenus de l'immigration continuent à approvisionner le marché local en principale origine des devises, la source délictuelle semble se rétrécir comme peau de chagrin sous l'effet d'un contrôle renaissant du commerce extérieur. Depuis plusieurs années, l'argent de la surfacturation des biens d'équipement et de consommation constituait une part de la masse des devises tournant dans le circuit parallèle. Désormais, la source délictuelle existe toujours, bien qu'elle soit repositionnée par l'origine traditionnelle des devises qui, elle, s'affaiblit face au poids de la demande. Des acteurs de la Bourse informelle des devises lèvent le voile sur de nouvelles tendances peu connues jusqu'ici du marché : la destination des fonds s'est beaucoup diversifiée et enrichie. Il y a au moins trois nouvelles catégories de demandeurs de devises qui font monter d'un cran la demande sur le marché informel. L'effet psychologique de la crise ainsi que la dépréciation de la monnaie nationale ont conduit à l'affermissement des pratiques de thésaurisation. Des détenteurs de fonds en dinars parmi les ménages et les marchands de la sphère informelle en recherche de valeurs-refuges se sont, en partie, reportés sur les devises. Thésaurisation en devises C'est bien parce qu'il y a de plus en plus un défaut de confiance en la monnaie nationale que la tendance vers la thésaurisation en dollar et en euro s'est développée. Pis encore, nous apprenons que des transactions se font en devises parmi les acteurs de la sphère marchande de l'économie informelle. Il faut dire que le risque est double, tant pour le dinar dont la valeur ne fait que faiblir, que pour l'économie puisque les circuits informels représentent décidément un vrai problème de sécurité. Si cette clientèle a particulièrement fait grimper la demande en devises plutôt que de se laisser charmer par les propositions d'amnistie fiscale, le marché valse au rythme d'autres tendances, non moins déterminantes à la fois pour les cours et l'offre. A l'heure actuelle, un besoin pressant se fait sentir sur le marché : celui de la mise en sécurité des fonds en dinars d'origine injustifiable aux yeux de la législation et du fisc. Depuis le lancement du dispositif de mise en conformité fiscale volontaire, certains acteurs de la sphère marchande de l'économie informelle convertissent leurs fortunes dans une monnaie autre que le dinar. Alors que cette catégorie semble méfiante à la fois à l'égard de la valeur du dinar et de la politique de la main tendue du gouvernement, d'autres clients viennent depuis peu garnir le plat des cambistes. Travailleurs chinois et subsahariens, mendiants syriens et autres étrangers légalement ou clandestinement établis en Algérie s'approvisionnent auprès des marchés informels des monnaies pour, ensuite, transférer les devises vers leurs pays d'origine. Ainsi, la demande a explosé ces derniers mois, atteignant des records inégalés, à en provoquer des raréfactions et des tensions. Le marché s'est beaucoup sophistiqué aussi, à en croire quelques cambistes, de sorte que certaines transactions n'enfreignent pas la législation en matière de change. C'est ainsi que des produits sont proposés aux gros détenteurs de capitaux en dinars, dont, entre autres, les virements externes sans passage aux frontières, moyennant un cours légèrement supérieur à celui pratiqué pour le change local. Ce mécanisme permet aux fortunes libellées en dinar d'échapper à toute traçabilité en s'approvisionnant en devises à l'étranger en contrepartie d'un simple règlement de la contrevaleur en dinars à un intermédiaire local. En somme, le marché, comme lorsqu'il s'agit d'une place de valeurs légale, obéit parfaitement au principe de l'offre et de la demande. L'offre s'est rétrécie sous l'effet des contrôles a priori et aposteriori des importations détaxées ou sous taxées, alors que la demande ne s'est jamais aussi bien portée, revigorée essentiellement par la dépréciation du dinar, l'arrivée de nouvelles catégories de demandeurs sur le marché ainsi que par les craintes sur le devenir économique et politique du pays.