Denis Mukwege est un homme qui mérite amplement le prix Nobel de la paix. Nominé à deux reprises par le comité de Norvège, il ne l'a pas eu. Difficile d'avoir le Nobel de la paix lorsqu'on est Africain, noir de peau. Le comité blanc du Nobel ne regarde que rarement du côté du continent noir. Cet homme courageux fait un travail merveilleux à l'hôpital Panzi, à Bukavu, dans le Sud-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Il soigne depuis la fin des années 1990 les femmes et les jeunes filles victimes de viols. Des viols commis par les rebelles rwandais Hutus. «Arrivés chez nous, fuyant la guerre dans leur pays, ils ont été bien accueillis. Et puis d'un seul coup, ils se sont mis à commettre des actes de violence, à violer les femmes», raconte une victime dans le documentaire L'Homme qui répare les femmes, la colère d'Hippocrate, des Belges Thierry Michel et Colette Braekman, projeté lundi à la salle El Mougar à la faveur du 6e Festival international du cinéma d'Alger (FICA). Les rebelles, les militaires et les policiers congolais, les commandos Tutsi alliés des rebelles congolais de Laurent Désiré Kabila ont également commis des actes de viol lors de la première guerre du Congo (à partir de 1996). Dans le chaos qui avait suivi le départ forcé de Mobutu Sese Seko, tout était permis. Lors de la deuxième guerre du Congo, à partir de 1998, les choses s'étaient aggravées. Durant cette période, des violations massives des droits humains ont été commises dans une impunité totale et dans l'indifférence de la communauté internationale. «Dans les zones de conflit, les batailles se sont déroulées sur les corps des femmes. Je suis témoin d'atrocités commisses sur les corps des femmes», explique Denis Mukwege. Avec son équipe, il ne sort presque pas des salles d'opérations. «Même les enfants de moins de cinq ans n'ont pas été épargnés. Les sexes des femmes sont parfois mutilés avec des objets tranchants», raconte-t-il offusqué. En 2014, Denis Mukwege a obtenu le prix Sakharov du Parlement européen. «Nous voyons ce que même l'œil d'un chirurgien ne peut pas s'habituer à voir. Chaque femme violée, je l'identifie à ma femme. Chaque mère violée, je l'identifie à ma mère», a déclaré le médecin lors d'un discours fait à l'occasion de la cérémonie de remise de ce prix. Thierry Michel et Colette Braekman ont suivi Denis Mukwege partout au Sud-Kivu, à l'hôpital, chez lui, lors de ses déplacements dans les villages. Militant des droits humains, le médecin a créé une fondation aidé par des juristes et des activistes d'associations antiviol. Il a entamé un vaste travail de sensibilisation auprès de la population. «Où sont passés les hommes ? Si nous étions là, rien de cela n'aurait eu lieu», crie-t-il lors d'une réunion avec les familles des victimes des viols organisée par l'association V-Men Congo. «Les femmes violées sont exclues par leur communauté et par leurs familles. Elles se retrouvent souvent seules», confie le médecin à la caméra de Thierry Michel. L'Homme qui répare les femmes a été interdit de projection par le gouvernement congolais. «A une heure de la projection du film devant le Congrès américain et à deux jours avant sa présentation aux Nations unies, les autorités congolaises ont levé l'interdiction. Ces autorités m'avaient poursuivi à Bruxelles pour un autre film sur l'assassinat d'un militant des droits de l'homme. Pour ma propre protection, j'ai logé dans la maison d'un colonel lors du tournage du documentaire. Le réseau organisé du docteur m'a aidé à aller dans les provinces pour filmer», a expliqué Thierry Michel, présent à la salle El Mougar. «J'ai demandé à l'Institut français de Kinshasa de projeter le film, on m'a répondu que ce n'était pas encore à l'ordre du jour. Je trouve que l'ambassade de France en RDC est extrêmement prudente. C'est ce genre de prudence qui fait le lit de la dictature et des crimes de demain», a-t-il déclaré. Selon lui, Denis Mukwege a aidé des jeunes femmes à retrouver la joie de vivre grâce à un soutien psychologique et économique. Denis Mukwege a échappé à un attentat. Le gouvernement congolais ne voulait pas qu'il prenne la parole une seconde fois aux Nations unies. Selon Thierry Michel, les groupes armés présents dans l'est du Congo veulent avoir main basse sur les richesses minières. Le viol est alors utilisé comme arme de dissuasion massive. «Il y a une exploitation maffieuse des territoires miniers. Pour occuper ces territoires, il faut déstabiliser la population de ces zones. Le viol détruit la communauté et le corps des femmes», a-t-il expliqué.