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L'état des lieux de la débidonvillisation
Eradication de l'habitat précaire à Alger
Publié dans El Watan le 17 - 12 - 2015

Depuis le 21 juin 2014, les opérations de relogement vont bon train dans le cadre d'une vaste campagne d'éradication de l'habitat précaire menée par la wilaya d'Alger. Un programme de construction de plus de 84 000 logements sociaux a été lancé pour accueillir plus de 72 000 familles issues des bidonvilles, immeubles menaçant ruine et autres taudis indécents et insalubres moisissant dans l'Algérois. Plus de
30 000 familles ont d'ores et déjà été relogées dans les nouvelles cités en attendant la réception des autres sites de recasement. A quoi ressemble la nouvelle vie des ex-habitants des bidonvilles ? Qu'est-ce qui a changé pour eux ? Comment se reconstruisent-ils? Comment sont accueillis ces nouveaux locataires ? Sont-ils totalement satisfaits ? Qu'est-ce qu'ils aiment, qu'est-ce qu'ils n'aiment pas dans la vie de cité ? Reportage à Sidi-Hamed (Meftah), Bentalha et Souidania.
Adossé au muret d'un petit jardin surélevé, Ammi Ahmed prend allègrement un bain de soleil au bas de son immeuble. Ahmed Bouchareb de son nom complet, 72 ans, briquetier à la retraite, s'habitue peu à peu à sa nouvelle adresse. Il semble avoir déjà pris ses marques dans cette cité à la peinture toute fraîche érigée sur les hauteurs de Sidi Hamed, petite localité agricole située à environ 4 kilomètres au sud-ouest de Meftah, dans la wilaya de Blida.
Ici, nous sommes à une trentaine de kilomètres à vol d'oiseau de la capitale. Ammi Ahmed est l'un des plus anciens habitants de Haï Remli, le fameux bidonville de Semmar (Gué de Constantine) réputé pour être le plus grand bidonville de la capitale, voire du pays tout entier, avec plus de 4000 baraques. 2390 familles issues de ce bidonville ont été relogées à Sidi Hamed depuis le 7 octobre dernier, selon les statistiques officielles. «El Hamdoullah, nous avons tout ce qu'il faut.
Le quartier est agréable. J'ai un F3. Nous avons dû refaire tout de même les finitions, mais pour le reste, rahmat rabbi. Nous avons toutes les commodités : l'eau courante, le gaz, l'électricité», se réjouit le vieux retraité. C'est la première fois que Ammi Ahmed loge dans un immeuble. «Je ne me suis pas encore habitué à la vie en hauteur, surtout que je loge au 5e étage», confie-t-il dans un sourire, des sacs de victuailles posés à ses pieds. Il reprend son souffle avant de faire monter les courses.
Une ville clés en main
Force est de le reconnaître : pour un urbanisme de l'urgence, le site est assez bien aménagé, avec des espaces verts, des sentiers dallés, des allées gazonnées, des aires de jeu… Les façades sont de différentes couleurs où se mêlent le jaune pâle, le vert olive, l'ocre et l'abricot. Les immeubles s'étalent à perte de vue. 3555 logements au total, un chiffre qui donnera fatalement son nom à une énième cité anonyme, et qui donne surtout le tournis. En empruntant la RN29, celle qui passe par Bougara, Larbaâ et Meftah, on aperçoit de loin l'imposant ensemble immobilier qui trône sur les piémonts de l'Atlas blidéen. Le bouquet de cités flambant neuves écrase littéralement le paysage. A 4 km avant Meftah, nous bifurquons à droite pour monter vers Sidi Hamed.
Une toute nouvelle route, pavée de lampadaires et de petits palmiers, grimpe jusqu'aux hauteurs du nouveau site. Outre les blocs d'habitation, plusieurs équipements viennent compléter le décor : établissements scolaires (5 écoles primaires, deux CEM et un lycée de 1000 places), un bureau de poste, un marché de proximité, des locaux commerciaux…
Sont prévus également une antenne APC, un commissariat de police, un centre commercial et un dispensaire, l'idée étant d'assurer le maximum de services in situ. Cela renseigne sur le désir des concepteurs du programme de mettre en place une «cité intégrée» pour couper avec la «doctrine» des cités-dortoirs et de «l'urbanisme ghettoïque».
Le nom de Sidi Hamed claque d'emblée comme une réminiscence des cauchemars des années 1990. Le village était sorti de l'anonymat suite à un massacre que les habitants de la région ne sont pas près d'oublier : celui perpétré dans la nuit du 10 au 11 juin 1998, et qui avait fait 103 morts selon le bilan officiel. Aujourd'hui, c'est une véritable ville clés en main qui a pris forme à la place du petit bourg d'autrefois. De fait, le contraste est saisissant entre l'ancien petit hameau agricole, à la physionomie typique des villages de la Mitidja, avec leurs fermes coloniales, leurs vergers, leurs bassins d'irrigation et le nouveau pôle urbain.
Un demi-siècle à Haï Remli
Revenons à Ammi Ahmed. Le néolocataire de la cité des 3555 logements nous racontera sa vie par le menu, avec truculence, et, parfois, amertume. Le moins que l'on puisse dire est qu'il aura tout vu. Ammi Ahmed est originaire de la wilaya de M'sila, précisément de la commune de Maadid (qui abrite notamment la fameuse Qalaâ des Béni Hammad fondée en 1007 par Hammad Ibn Bologhine). Dans sa jeunesse, il est marqué par le massacre de Mellouza. «J'y ai perdu des cousins, affirme-t-il. C'était terrible, les frères tuaient les frères, comme aujourd'hui nos partis s'écharpent entre eux.
Pourtant, Messali était un grand moudjahid, Bellounis était moudjahid aussi (commandant en chef de l'armée du MNA, ndlr)… Les frères s'entretuaient et la France se frottait les mains». Ammi Ahmed se marie très jeune. «Je me suis marié durant la Révolution. A l'époque, il n'y avait ni contrat de mariage ni rien. A 17 ans, j'avais déjà deux ou trois enfants». En tout, il aura 12 enfants, Allah ibarek. «La plupart d'entre eux sont nés à Remli», dit-il. Ahmed Bouchareb aura passé près d'un demi-siècle dans ce bidonville tentaculaire. «Je me suis installé à Remli en 1966, raconte-t-il. J'avais 21 ans à l'époque. J'avais été embauché dans la grande briqueterie du coin.
L'usine m'avait assuré un petit logement. Comme nous étions à l'étroit, j'ai construit une baraque. J'étais parmi les premiers occupants de Haï Remli. A l'époque, il y avait de l'espace, nous étions à peine une cinquantaine de familles. La mairie n'interdisait pas aux gens de construire, autrement, il n'y aurait pas eu autant de monde. L'un ramenait son cousin, l'autre son beau-frère, l'autre son oncle… Personne ne leur interdisait de construire. Après, ils (les autorités) ont été débordés.»
«Nous avons bénéficié de 8 logements»
Le vieux patriarche a de la chance : ses enfants, devenus chefs de famille à leur tour, sont tous logés sur le même site. «On nous a attribué, en tout, huit appartements pour moi et mes enfants. El Hamdoullah, on n'a pas eu de problème lakhater ladrissa mafhouma (parce que nous sommes réglos)» assure Ammi Ahmed. Son seul regret est que sa femme ne soit plus de ce monde pour profiter de la nouvelle maison. «Elle est morte il y a deux ans», soupire-t-il. «Je suis aujourd'hui à la retraite, j'ai une pension correcte.
El Hamdoullah cheft'ha (j'ai vécu assez longtemps pour voir le logement). Je vivrai quelque temps et je rejoindrai ma femme à mon tour, mais au moins je suis tranquille pour mes enfants.» Ammi Ahmed a une pensée aussi pour ses anciens voisins, au bidonville Remli, laissés en rade. «Il y a quelque 1800 familles qui n'ont pas bénéficié de logement. Pourtant, la majorité d'entre eux sont en règle, ils ont leurs papiers.» L'iniquité dans la répartition des logements revient comme un leitmotiv dans toutes les bouches. C'est le point noir qui gâche la fête. Que ce soit à Sidi Hamed, à Baraki, à Souidania, l'exclusion d'une partie des occupants des bidonvilles alimente le mécontentement, pas seulement des concernés eux-mêmes, mais aussi des bénéficiaires.
Le témoignage de Ammi Ahmed recoupe celui d'autres relogés qui affirment à l'unisson que des gens parvenaient toujours à s'insinuer dans la liste des bénéficiaires moyennant «maârifa» (relations) voire «tchippa». «Je connais personnellement quelqu'un qui était fraîchement débarqué à Remli, il n'avait ni résidence, ni rien, et que j'ai retrouvé ici alors que des familles qui moisissent là-bas depuis 25 ans sont laissées sur le carreau», s'indigne M. Bouchareb. «Le plan (de relogement) n'est pas juste.
La corruption s'en est mêlée avec la complicité de certains chefs de clans au bidonville. Ils ont tripatouillé la liste». Abdelkader Zoukh, le wali d'Alger, avait récemment déclaré lors d'un point de presse que l'opération Remli a permis de reloger 4487 familles «dont 2390 recasées à la cité des 3555 logements de Meftah (Blida)», rapporte l'APS du 29 octobre. Le wali avait précisé que «1800 recours ont été introduits par les occupants de ce site dont 200 ont été traités et 37 dossiers acceptés».
«Qu'est-ce qu'on va faire de tous ces jeunes?»
Ammi Ahmed regrette, par ailleurs, l'isolement du site. Le transport est encore insuffisant pour une démographie aussi dense. La population attend avec impatience l'ouverture, comme promis, d'une ligne de l'Etusa à destination de la capitale. «J'ai une de mes filles qui est femme de ménage dans une unité de la Sonelgaz à Semmar. Pour aller tous les jours là-bas, c'est pénible. Le transport manque cruellement. Il y a au moins 500 personnes qui pointent à l'arrêt chaque matin.
Elle doit se lever, la pauvre, à 5h du matin pour rejoindre son lieu de travail, et le soir, c'est encore pire. Elle rentre parfois tard. Depuis qu'elle sort le matin, je reste éveillé jusqu'à ce qu'elle revienne», s'émeut Ammi Ahmed. A un moment donné, le vieil ouvrier nous surprend par cette confidence : «Si ça ne tenait qu'à moi, je n'aurais pas quitté Semmar. Ici, je me sens à l'étroit, les pièces sont petites. Et puis, je ne suis pas habitué à la vie dans un immeuble. Là-bas, j'avais de l'espace. J'ai dépensé beaucoup d'argent pour aménager mon ancienne maison.
Chaque année, j'y mettais 20 à 30 millions pour l'arranger.» Ammi Ahmed s'inquiète également pour les jeunes chômeurs de la cité. «Ici, il y a une forte population. Nous sommes à peu près 5000 familles. Si tu as uniquement un jeune désœuvré par famille, cela nous fait 5000 jeunes sans occupation et sans avenir. La plupart d'entre eux ont entre 17 et 25 ans. Qu'est-ce qu'on va faire de tous ces jeunes ? Si tu les abandonnes, ils peuvent faire des dégâts, et tu ne vas quand même pas les tuer ; alors que faire ? Aucun d'eux ne travaille, il n'y a rien par ici, alors qu'à Semmar tout le monde se débrouillait. Il y avait toujours moyen de gagner sa vie.»
«On n'a pas de profs»
13h passées. Mohamed, 21 ans, lycéen, prend un bol d'air dans les allées de la cité en compagnie d'un de ses camarades. Mohamed a vu le jour à Theniet El Had, dans la wilaya de Tissemssilt. Sa famille avait dû quitter précipitamment la ville boisée, érigée à l'ombre de l'Ouarsenis, au début des années 1990. «C'était déjà chaud à l'époque dans notre région. Le terrorisme faisait rage», raconte le jeune lycéen. Mohamed garde un très bon souvenir de Remli. Il en parle même avec un soupçon de nostalgie. «C'est normal, j'ai passé l'essentiel de ma vie là-bas. D'ailleurs, j'y retourne très souvent pour revoir mes copains», confie-t-il.
Il se désole au passage pour ceux qui sont restés là-bas. «Il y a encore beaucoup de familles qui n'ont pas bénéficié d'un logement alors qu'elles le méritent au même titre que nous tous», plaide-t-il. «Nous-mêmes ça a failli nous arriver. Quand l'opération de relogement a commencé, notre nom n'est pas sorti sur la liste. J'en étais malade. Nous avons déposé un recours et ça s'est réglé au bout de trois jours.
Mais il y a plusieurs autres familles qui sont dans l'incertitude. Certains se sont retrouvés à la rue.» Quid de sa nouvelle vie ? «Les premiers jours après ‘‘errahla'' (déménagement), c'était la folie. Je n'en croyais pas mes yeux. On était fous de joie. L'émotion était tellement forte que je n'ai pas dormi pendant trois nuits.» Mohamed et les siens ont bénéficié d'un F3 comme tout le monde. «Il y a toutes les commodités, El Hamdoullah. Nous avons l'eau H/24. Il manquait des trucs au niveau des finitions, mais on s'en est occupé. On a refait le carrelage, la peinture...
Ce n'est pas très grand, mais c'est correct. Nous, on est une petite famille de cinq membres, donc ça va. Mais il y a des familles nombreuses qui sont quand même à l'étroit», fait-il remarquer. Mohamed insiste sur une chose : la mosquée. «Il y a une mosquée en bas, mais elle est relativement éloignée. Et puis, elle ne suffit pas avec tout ce monde.» Le jeune lycéen nous signale une autre carence, et plutôt de taille : le manque d'encadrement pédagogique dans les nouveaux établissements scolaires. «Je passe mon bac cette année, en série Lettres.
J'ai suivi ma scolarité dans un lycée à Aïn Naâdja, un excellent établissement. Après, on nous a transférés au nouveau lycée d'à côté. Il est vraiment magnifique, mais nous manquons de profs pour certaines matières. Il y a des profs qui ont entamé les cours, puis ils ont lâché.» Il nous apprend au passage que «parmi les enseignants, il y en a qui vivaient avec nous, à Haï Remli. Ils ont été transférés avec nous et ont été intégrés dans les nouveaux établissements.»
«Nous avons été très bien accueillis»
Alors que dans certains autres sites de relogement comme à Birtouta, à Baraki, ou encore à Ali Mendjeli (Constantine), des guerres de gangs ont défrayé la chronique ces dernières années sur fond de rejet épidermique des nouvelles populations issues des bidonvilles, à Sidi Hamed cela se passe plutôt bien. Evoquant son intégration dans son nouveau quartier, Mohamed souligne : «On a été très bien accueillis par les gens d'ici. Rahbou bina.» Il faut croire que l'homogénéité sociale des nouveaux résidants et le retrait de la cité vis-à-vis des grands centres urbains explique en partie cette tranquillité.
Pour l'heure, la plupart des relogés sont issus du même quartier. Ils se connaissent déjà entre eux, partagent les mêmes codes. Si bien que la «communauté» s'est remarquablement reconstituée. «Nous sommes comme une seule famille, car on se connaît tous entre nous», atteste Mohamed. «Il va y avoir encore de nouvelles vagues de populations issues d'autres quartiers, j'espère qu'il n'y aura pas de problème.» Mohamed indique qu'il y a eu tout de même quelques escarmouches très vite contenues. «Il y avait des problèmes, au début, autour des étals du marché. Certains vendeurs de Larbaâ et d'ailleurs ont installé leurs étals. Les nôtres les ont chassés.
Maintenant, les vendeurs que vous voyez sont tous issus de Semmar.» Mohamed cite également quelques petites tensions entre jeunes, généralement provoquées par des histoire de «drague» : «Certains nous provoquaient, taâ machakel (à problèmes), ils embêtaient nos filles. Yetbellawhoum (ils les importunent)». Et de relater dans la foulée cette scène cocasse : «Il y a quelques jours, un type en moto a débarqué dans le quartier avec une fille. Surpris de se retrouver au milieu d'une nouvelle cité, il ne savait pas où aller, telfetlou (il était perdu). Il voulait monter là-haut, dans la forêt. Apparemment, il ne savait pas que les choses ont changé, et que désormais il y a des gens qui habitent ici. Des jeunes du quartier l'ont pris en grippe et ont confisqué sa moto. Il a déguerpi avec la fille. Les jeunes conservent toujours sa moto.»
«Je retourne souvent à Semmar»
Moins drôle : la réaction des populations précaires de Sidi Hamed elle-même et des quartiers pauvres de la commune de Meftah. «Certains ont mal vécu notre venue parce qu'ils s'estiment prioritaires. On ne peut pas leur donner tort. Une fois, ça a carrément tourné à l'émeute. Ils ont bloqué la route (la RN49, ndlr) et ont brûlé des pneus.» Mohamed évoque aussi des exclus de la «rahla» à Semmar qui se sont déplacés à la cité pour exiger une solution : «Ils ont forcé les blocs vides, ceux des cités qui n'ont pas encore été livrées, ils ont tout saccagé et sont partis avant l'arrivée des forces de l'ordre.» Mohamed les comprend : «Il y a beaucoup de hogra.
Un type est resté à peine quelques jours à Semmar et il a obtenu un logement. Et tu as des familles qui sont à Remli depuis les années 1960 et qui sont sur la paille.» Passée l'extase des premiers jours post-rahla, manifestement Mohamed cultive le spleen des déracinés. Son ancienne vie lui manque. «Walefna (On s'est habitués) à Semmar. J'y ai quand même passé l'essentiel de ma vie. D'ailleurs, j'y retourne souvent. Le problème est que le transport est très insuffisant. Il y a un bus qui va là-bas le matin. C'est un transporteur de Semmar. Il vivait avec nous, à Remli, et il a été relogé ici. Il fait la ligne Gué de Constantine-Birkhadem. Le matin, il nous prend avec lui à Semmar, et le soir il nous récupère. Mais il y a un monde fou en fin de journée. Il faut se bagarrer pour avoir une place.
Certains étudiants de mes amis ont abandonné leurs études faute de transport, surtout ceux qui sont à Ben Aknoun et Bouzaréah. Quand on était à Semmar, tout était à portée de main. Tu prends le train et en quelques minutes tu es à Alger. D'ici, tout paraît loin, surtout avec les embouteillages.» Comme Ammi Ahmed, Mohamed met l'accent sur l'oisiveté massive des jeunes. «Ici, il n'y pas de travail. A Semmar, le travail ne manquait pas. Tout le monde pouvait se faire de l'argent. Qalb el hadath fe Semmar (Le cœur de l'activité est à Semmar). Tu travailles où tu veux, il y a des grossistes, des entreprises, il y a le marché…
Tu décharges un camion, tu te fais 1000 DA. Maintenant, pour aller là-bas à partir d'ici, c'est difficile, il faut un véhicule.» Et de lâcher : «Celui qui n'a pas fait d'argent dans les baraques à Semmar, il n'en fera jamais !». «Ici, même si c'est mignon, on est quand même serrés. A Semmar, chacun avait sa baraque. Tu peux étendre ton espace d'habitation à ta guise. Certaines baraques étaient soigneusement construites, avec faïence et dalle de sol. Tu rentres à l'intérieur, tu n'en crois pas tes yeux.»
«Hydra» et «Colombia»
Le pari maintenant est de faire de la cité anonyme des «3555 Logements» un vrai quartier. Un écrin habité. Passer du… «déplacement de population» vers un destin personnalisé. La réalisation de soi. Les jeunes de la cité s'y emploient déjà. A défaut d'un nom de baptême, ils ont inventé des sobriquets sur mesure pour désigner leurs blocs.
Il faut savoir que le site est physiquement coupé en deux blocs d'immeubles séparés par une route. «Cette partie où on se trouve, on l'a surnommée ‘‘la Colombie'', et l'autre c'est Hydra», ricane Mohamed. Il faut savoir que Remli était administrativement subdivisé en plusieurs îlots désignés par de simples lettres alphabétiques : A, B, C… «Dans cette aile, ils ont relogé principalement les gens du ‘‘A''. Et c'étaient les plus actifs à Remli, les plus vindicatifs, taâ dmig (de choc). C'est nous qui faisions le plus de bruit. On faisait parler de nous, on manifestait, on organisait les émeutes du relogement.
Nous étions des durs à cuire. C'est pour ça qu'on nous a collé ce sobriquet : ‘‘Colombia''. Ceux de l'autre côté sont des gentils. A Remli, c'étaient des gens sans histoires, âqline (tranquilles), alors on les a surnommés ‘‘Hydra''. Mais c'est juste pour rigoler, on s'apprécie tous au fond. Houma wahda. On est une seule famille.» Mohamed ne cache pas son désir de mettre les voiles : «Hagrouna ki djabouna lahna», peste-t-il (On nous a lésés en nous mettant ici). On peut prendre cela pour de la coquetterie, mais c'est ainsi.
Mohamed poursuit : «J'aurais préféré qu'on reste dans la zone ‘‘16''. On aurait dû reloger ici les gens de Meftah et des villes voisines et nous mettre à El Harrach, Baraki ou Bentalha. On est coupés du monde, ici. Certes, c'est très agréable, la montagne, la forêt... C'est un très joli coin pour un vieux retraité, mais pour un jeune, on s'ennuie. D'ailleurs, je ne compte pas rester. Je ne viens que pour crécher. Heureusement qu'il y a les études. J'ai intérêt à avoir mon bac pour me barrer d'ici.»


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