La fin qui nous attend (Barzakh, 2015), deuxième roman de Ryad Girod, décrit un mode qui vacille jusque dans ses fondements. D'abord au sens littéral d'une terre qui tremble d'un bout à l'autre du récit. Mais le tremblement va jusqu'aux consciences. Ce sont les fondements moraux qui s'effritent dans le monde hyper-violent imaginé par Girod. Cette société, qui n'est pas sans rapport avec les conflits contemporains vécus en Algérie et dans le monde, est fractionnée en «militaires» et en «religieux». Les premiers ont la puissance armée et la légalité de la violence ; les seconds ont la puissance de la violence symbolique avec l'avantage de se fondre dans la masse. Une masse potentiellement menaçante. C'est là un aspect intrigant du roman. Son personnage principal, un militaire alcoolique et libidineux, ne voit plus dans son prochain que cette masse informe et potentiellement dangereuse. La multitude, les ignorants, les pauvres, le peuple en somme y est présenté comme une incorrigible vermine. Face à un journaliste venu témoigner de leur misère, des specimens de ce peuple revenu à l'état sauvage ne trouvent rien de mieux que de le découper en morceaux pour le manger devant la caméra. La seule bonté que trouve encore notre personnage de militaire est dans ses rapports sexuels avec une certaine Douce qu'il rencontre ponctuellement dans un hammam. Sa famille ? Une femme qui lui est étrangère et un fils de cent kilos qui s'engraisse activement pour tenter de se créer une carapace face aux agressions ambiantes. Ses amis ? Un Ecossais imaginaire et dépressif qui rêve d'Orient en se saoulant comme il rêve, lui, de Highlands en enchaînant les verres de whisky. Vacciné contre toute forme d'empathie, l'humanité que nous décrit Girod ressemble bien plus à une colonie microbienne où chacun lutte pour sa survie, au-delà du bien et du mal. On pourrait reprocher à l'auteur de ne pas dénoncer, mais il s'agit là d'une fiction et l'auteur a tous les droits sur son imaginaire. D'autant plus que le roman ne nomme ni le lieu, ni le temps, ni la religion en question. On peut par contre regretter de rencontrer, dans une écriture romanesque par ailleurs fine et précise, les concepts à «gros sabots» du vocabulaire médiatique : pouvoir, barbarie, religieux, militaire, terroriste… Mais l'intérêt de l'œuvre est peut-être autre part. Ryad Girod, qui est aussi professeur de mathématiques, trace des lignes à partir des courants qui traversent notre monde présent. Exacerbant les extrémismes, le roman aboutit à ce point de non humanité, à cette veille de fin du monde qui se répète ad nauseam de chapitre en chapitre. L'auteur nous projette ainsi vers cette apocalypse, cette révélation et, peut-être, cette fin qui nous attend.