Un homme au cours d'une réunion de travail perd l'usage des mots. La parole refuse de concrétiser la pensée du linguistique. Notre héros qui est le narrateur, se retrouve subitement dépouillé de la substance même de ce qui est un être humain, la parole, le langage qui nous est destiné à communiquer avec l'autre. La maladie qui n'est pas une pathologie en elle-même l'affecte d'un côté mais leu permet de ressentir autrement le monde qui l'entoure. Il se met à formuler ses pensées mentalement, témoignant d'une nouvelle perception des choses de la vie. Il passe de l'autre côté du miroir avec nombre d'appréhensions le mettant face à face à des situations étranges et inaccoutumées. La ville envahie par des nuages de sable, le figuier aux feuilles bleues, portant destinée et vie , la maison et le jardin sortis du rêve, les êtres énigmatiques, le retour à l'enfance par le chemin à rebours, toute une atmosphère vivante, palpable, de folie presque décrite avec minutie et poésie. Franchir l'autre côté du miroir, c'est voir, ressentir les personnes, les paysages, les objets, l'abstraction des vocables aidant, avec une pensée créatrice. C'est entendre les sons et les bruits de l'autre rive de l'univers avec une toute autre réceptivité que lorsque le langage est là pour gérer la pensée. C'est s'unir en silence par la contemplation et la sagesse à la vie intérieure et complexe de notre monde. Une grande force émane du récit de Ryad Girod où l'étrange et la poésie se côtoient, se donnant la main en une libération du corps, qui ne se retrouve que dans cette faculté du blocage de la parole, lui ayant permis de franchir le seuil des ailleurs que seuls peuvent atteindre les êtres touchés par la Grâce ou…par la folie. Mais le linguiste a toute sa raison. Il est dominé par le mystère et le mystique «Je tenais entre mes doigts l'univers entier tant je me sentais adhérer à tout ce qui en émanait Il a seulement fini par découvrir l'essence des choses silencieuses que l'on croit inertes, la sève de leur intelligence. Un livre remarquable de par l'idée originale, le choix des mots et des expressions et une écriture physique jusqu'aux « ravissements» .Un roman qui renvoie à l'extase et aux sensations inspirées par la disparition du langage « …J'arrivais près des branchages où…une odeur indescriptible m'avait sérieusement détourné du cheminement …de mon existence». Le figuier aux feuilles bleues ne serait-il pas l'arbre de la connaissance de la philosophie soufie… • «Ravissements» de Ryad Girod, Edtions Barzakh, 133 pages, prix public : 500 DA