La perte terrifiante des mots...du langage, est l'événement qui marque le début de ce roman. Publié en 2008 par les éditions José Corti en France, Ravissements, le premier ouvrage de Ryad Girod a été réédité il y a quelques mois par les éditions Barzakh. Tout commence dans les bureaux du département national de linguistique, où un spécialiste en discours politique perd ses mots lors d'une séance de travail. Une étrange, effrayante et inexplicable aphasie s'empare de lui. Il s'efforce de poursuivre la discussion avec ses collaborateurs et essaie de remédier à la situation. Mais il échoue et décide finalement de rentrer chez lui. «Il y avait juste eu cette dernière réunion durant laquelle les mots ne m'arrivaient pas...pas suffisamment vite, pas suffisamment juste et puis...plus du tout et s'en était alors suivie cette sensation désagréable, fatigante, de ne pas être tout à fait là, d'être pour ainsi dire à côté et de m'entendre parler...insuffisamment». Une fois dans sa voiture, le personnage, quelque peu secoué, se retrouve dans l'impossibilité de démarrer. Encore un autre échec qui vient s'ajouter au précédent. «Je devais rencontrer une autre lassitude devant l'obstination de ma voiture à ne pas démarrer.» De guerre lasse, il va tenter de trouver un taxi pour rentrer à la maison. Il monte le long d'une «ruelle sinueuse» et, soudainement, il découvre un jardin d'une beauté déconcertante. Stupéfait devant les fleurs bleues d'un arbre, il y reviendra le lendemain pour découvrir ce qui se cache derrière ce jardin à la flore éblouissante. Le nom du personnage? On l'ignore. On sait seulement que c'est un linguiste, père de deux filles et mari d'une femme dépressive, souvent internée dans une maison de repos. Le lieu où se déroule cette déroutante histoire n'est pas indiqué. Les nombreuses descriptions pour ce qui est des vents de sable et du déchaînement de la mer nous porte à croire qu'il s'agit d'une région qui se trouve entre le désert et la mer. Le Nord de l'Afrique sans doute. Ce qui s'est passé lors de cette journée va provoquer une certaine fracture entre le passé et le présent du personnage narrateur. Cet expert de la langue, abandonné par ses mots, va nous entraîner par effraction dans un monde étrange et envoûtant. Au fil des pages, ce linguiste replonge dans sa mémoire et convoque des souvenirs d'enfance. Mais le lecteur est parfois dérouté et souvent perdu. En effet, dans ce court récit, tout se mêle et se confond; rêve et réalité, légende et souvenirs familiaux. Perçu au début comme une malédiction, un drame, une défaite, cette perte va lui permettre tout de même d'échapper à «la monotonie, la répétition, (à) un quotidien bien installé...». Cette disparition soudaine et inattendue des mots va l'aider en quelque sorte à se réapproprier sa liberté. Ce qui devait être, pour ce linguiste, une expérience douloureuse et même tragique, s'avère être une aventure exaltante. «Mon exclusion, je ne la conteste pas...mais j'aimerais bien savoir ce qui a motivé cet arbitraire, de se porter sur moi...Mais d'une certaine façon, je suis fier que ce qui arrive...m'arrive à moi, je suis dans un certain sens le choix d'instances supérieures et dissimulées qui président à la destinée de nos devenirs.» L'écriture du jeune auteur, Ryad Girod, enseignant de mathématique dans un lycée à Alger, est aussi originale que l'histoire du récit. Elle donne au lecteur cet étrange et hypothétique impression d'être en train de lire les pensées du personnage. Un homme frappé brusquement d'un mutisme qui s'avère, d'un côté destructeur, et de l'autre libérateur.