Il y a une année, la population d'In Salah se soulevait comme un seul homme contre l'exploitation du gaz de schiste dans sa localité. D'autres régions ont rejoint la contestation, créant ainsi un front populaire contre ce projet. Mohamed Gasmi, qui a représenté le mouvement à la COP21 organisée début décembre à Paris, revient sur sa participation et analyse l'expérience algérienne en la matière. - Vous avez pris part à la COP21 dans son volet des organisations non gouvernementales en tant militant algérien anti-gaz de schiste. Quel était l'intérêt de votre participation ? Personnellement, je partage les mêmes convictions que celles des personnes que j'ai rencontrées durant cet événement. Ce sont de militants qui viennent du monde entier. Ils font partie de mouvements et d'organisations non gouvernementales, de gauche, réellement libres. Ce sont des anticapitalistes, anti-impérialistes, contre la dominance des multinationales et œuvrent pour un changement à un niveau mondial. La question du gaz de schiste était au centre des débats, car les participants s'opposent aussi à la fracturation hydraulique et à l'exploitation du gaz de schiste dans le monde entier. J'ai raconté, pour ma part, notre expérience que j'ai partagée avec l'ensemble des participants. De retour en Algérie, j'ai décidé de parcourir toutes les wilayas du Sud, région par région, village par village, même les plus reculés, et partager avec les habitants mon expérience et celle des autres pays en la matière. Le projet durera une année. Je leur expliquerai où est arrivé le monde et comment il nous voit. Nous sommes une partie de lui. Nous devons nous ouvrir aux autres, car s'isoler nous éloignera des réalités et nous affaiblira davantage. - Quel est le cas qui vous a le plus marqué durant cet événement ? J'ai connu les membres d'une organisation non gouvernementale américaine qui s'oppose elle aussi au projet du gaz de schiste. J'avoue que leur rencontre m'a fait énormément plaisir. J'ignorais qu'un pareil groupe pouvait exister dans un pays aussi libéral et grand producteur du gaz non conventionnel comme les Etats-Unis d'Amérique. Ils sont intervenus pour exposer le cas de la Pennsylvanie, un Etat du nord-est des USA, où l'exploitation du gaz de schiste a détruit les nappes phréatiques, généré plusieurs problèmes de santé dont le cancer et forcé plusieurs habitants à quitter leurs villages, à la recherche d'un environnement meilleur. Sauf que lorsqu'ils se sont soulevés contre ce projet, ils n'étaient pas nombreux, contrairement à nous. Dans cet Etat, la loi permet aux propriétaires de terrains qui renferment du gaz de schiste de les vendre aux entreprises privées. C'est donc le droit à la propriété privée qui a freiné la contestation, car beaucoup se sont enrichis grâce à ce procédé. - Et qu'en est-il de la question environnementale dans le Sud de l'Algérie ? Les multinationales qui travaillent dans le domaine énergétique dans le Sud algérien n'ont aucune politique environnementale. Elles n'ont aucun respect pour l'écologie. De plus, nous n'avons pas d'organisme de contrôle sur ce qu'elles font. J'avoue que je n'ai pas traité la question des conséquences du gaz de schiste, car les Américains, qui sont intervenus avant moi, ont tout dit. Mais j'ai néanmoins évoqué le cas de l'immense trou causé par l' énorme explosion de plusieurs tonnes de CO2 enfouies sous la terre par des multinationales qui croyaient avoir trouvé la solution aux émissions des gaz à effet de serre et éviter ainsi de payer les taxes convenues par la convention de Kyoto. Vous voyez la catastrophe ? Et qui sait, peut-être qu'il y a encore d'autres quantités enfouies quelque part dans nos régions ! - Revenons à la question du gaz de schiste. Où en est-on actuellement ? Les habitants d'Adrar ont reçu récemment une correspondance du wali qui les informe de l'arrivée de deux entreprises, une italienne et une autre émiratie, qui exploiteront un gaz dont la nature n'a bizarrement pas été indiquée. Elles doivent agir à Akebli Sahari, une zone isolée et inhabitée située entre In Salah et la wilaya d'Adrar. Pour convaincre les habitants que l'Etat veille sur leur santé et leur avenir, on a fait signer la lettre en question par la direction de l'environnement et de l'hydraulique. Les autorités tentent la ruse pour faire passer ce projet, mais elles n'y parviendront pas tant qu'elles ne nous dévoileront pas la nature du gaz. En même temps, je me demande pourquoi toutes ces combines ? Et que veulent-elles nous cacher exactement ? Au vu de ces nouvelles méthodes, beaucoup pensent que c'est encore une histoire de gaz de schiste, car nous savons bien que l'Etat peut toujours anticiper ce projet si les prix du baril continuent à dégringoler. Quant aux deux forages d'In Salah, nous savons qu'ils ont été mis en veilleuse. - Une année après In Salah, quel bilan faites-vous des contestations contre le gaz de schiste ? Le fait de pouvoir rassembler des personnes âgées, des jeunes, des femmes et des hommes autour de la même cause en même temps et au même endroit est déjà un grand exploit. Socialement, nous avons créé une cohésion malgré toutes les divergences et nous avons réussi à rapprocher les gens et à les pousser à s'ouvrir aux autres. Nous avons été interconnectés malgré les distances qui séparent nos régions et nos wilayas. Je pense que nous avons établi une bonne stratégie de communication, que ce soit avec les autorités locales, la classe politique ou le pouvoir central. Nous avons bien géré les contestations en maintenant le caractère pacifique de notre lutte, contrairement à l'Etat qui a été agressif et impulsif. Nous avons acquis une belle expérience que nous allons sûrement mettre en œuvre dans nos prochains combats. Je sais que nous serons mieux organisés et nos actions mieux réfléchies. - Selon le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, l'exploitation du gaz de schiste a juste été reportée à l'horizon de 2022. Que comptez-vous faire d'ici-là ? Qu'importe le temps que nous devons attendre ni l'endroit où seront implantés les forages du gaz de schiste en Algérie, nous serons toujours là pour faire barrage à ce projet qui menace notre survie. Nous savons que ce pouvoir, qui s'appuie sur la rente, peut pousser la situation au chaos pour arriver à ses fins et mener à bien ses projets. Car on ne comprend pas pourquoi il insiste après tout ce qui s'est passé ! Donc, d'ici 2022 nous avons assez de temps pour mieux nous préparer. - Le Sud n'en est pas à son premier mouvement social. Les membres du mouvement des chômeurs ont même encadré la contestation anti-gaz de schiste. Ne pensez-vous pas pouvoir capitaliser autour de tous ces combats ? Justement, je n'ai pas arrêté de rappeler qu'il est temps d'unir toutes les forces actives du pays, et non seulement celles du Sud autour du même projet. Mener des actions de rue sans proposer d'alternatives ne sert à rien. Nous sommes dans une période où il est nécessaire de multiplier les rencontres et encourager les alliances où peuvent se rejoindre toutes les idéologies et toutes les franges de la société. Seule la convergence des luttes peut nous sortir de la stagnation vers un Etat de droit qui combattra la corruption et instaurera la justice sociale. Un Etat démocratique qui garantira toutes les libertés et réunira le peuple autour des mêmes valeurs. L'élite doit aussi s'impliquer non autour de personnes, mais autour des idées. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons réaliser le changement tant attendu.