Au deuxième jour de l'audition de l'accusé Mohamed Réda Djaafar, patron de la société de télésurveillance et d'une société algéro-allemande qui a obtenu auprès de Sonatrach des marchés dans le domaine de la surveillance électronique, le procès s'est enlisé dans une valse de montants en devises voyageant d'un compte à un autre, au point de donner le tournis. L'accusé reconnaît avoir transféré des sommes en euros sur les comptes des Meziane, mais nie toute relation entre ces faits et les marchés obtenus auprès de Sonatrach… Le procès de l'affaire Sonatrach 1 a repris hier au tribunal criminel près la cour d'Alger, avec la poursuite de l'interrogatoire de Mohamed Réda Djaafar Al Smaïl, patron de la société privée Contel Algérie et d'une entreprise algéro-allemande spécialisées dans les équipements de télésurveillance et de protection électronique. Dès l'ouverture de l'audience, le président apporte des précisions à propos du débat suscité la veille sur le fait que Sonatrach soit concernée ou pas par la loi sur les marchés publics. Il se réfère à un arrêt de la Cour suprême pour dire que «Sonatrach, étant une société par actions détenues par l'Etat, obéit de fait à la réglementation des marchés publics». Après cette remarque, il appelle à la barre Mohamed Réda Djaafar Al Smaïl, qui lance : «Pour moi, Sonatrach est une entreprise commerciale, elle ne peut en aucun cas obéir à une telle loi. Ce qui importait, pour moi, c'est le contenu du cahier des charges.» Le juge revient à la société Contel, que l'accusé avait créée au début avec Sassi Ouali (fils de l'ancien secrétaire général du ministère de l'Intérieur) et dont les statuts ont été changés. «Lorsque les enquêteurs du DRS sont venus me voir, ils m'ont dit qu'ils avaient besoin des statuts de la société pour une enquête d'habilitation. J'ai tout donné. Je n'avais rien à cacher. Ils sont revenus après pour me parler de Sonatrach et des enfants Meziane.» Le juge : «Avez-vous affirmé avoir créé Contel avec Fawzi Meziane, fils du PDG de Sonatrach, votre frère et la société Sopite ?» L'accusé : «Toutes ces informations se trouvent dans les statuts. J'ai juste expliqué les détails.» Le juge : «Ont-ils falsifié vos propos ?» L'accusé : «Il y a des faits qui sont vrais…» Le président insiste sur la relation de l'accusé avec les deux frères Meziane. Il répond : «Bachir Fawzi était actionnaire depuis 2005 mais Réda, ce n'est qu'en 2007 qu'il a rejoint pour diriger la filiale transport.» Le magistrat revient sur les marchés obtenus par les sociétés de l'accusé. «Il y a eu trois contrats. Le premier a été signé par Hassani Mustapha, d'un montant de 3,1 milliards de dinars. Au début, nous avions présenté deux offres, une de Contel et l'autre de Funkwerk, mais les responsables de Sonatrach nous ont conseillé de faire une seule offre. J'ai convaincu le partenaire de créer un groupement de droit algérien.» Le juge le ramène aux frères Meziane. «Bachir Fawzi m'a proposé de créer une société de transport. J'ai dit pourquoi pas, surtout que je voulais diversifier mes activités.» Le juge veut une confirmation. Djaafar Al Smaïl : «J'ai trouvé son idée intéressante. Il est rentré dans la filiale transport, mais Réda non.» Le président : «Lors de l'instruction, vous aviez dit que c'était votre idée.» L'accusé : «Je lui ai proposé d'être avec moi dans le holding SPA.» Le magistrat l'interroge sur le deuxième contrat. «Pour le premier contrat, nous avions présenté notre offre et Sonatrach était intéressée, d'autant que nous avions proposé la gratuité de la partie engineering. Il y a eu un autre projet de 3,5 milliards de dinars que nous n'avons pas obtenu. Il a été accordé aux Français. Nous avions obtenu le marché d'équipement de 123 sites, avec une caution de garantie de 22 millions d'euros et une visite de tous les sites pour une étude de faisabilité, que nous étions les seuls à avoir accompli.» «65 millions d'euros pour un marché avec Martech et Thales qui n'a pas été réalisé» Le juge : «Avez-vous obtenu ce marché ?» L'accusé : «Oui. C'était le deuxième contrat. Mais Sonatrach a décidé de répartir les installations par système de surveillance à travers les quatre soumissionnaires. Nous avions eu le lot n°2, avec 18 sites, d'un montant de 8,9 milliards de dinars…» Le juge : «Etait-ce votre prix ?» L'accusé : «Non, celui de Sonatrach. Ils nous ont dit que les systèmes ‘détection-intrusion' de cinq sites avaient été octroyés à une société américaine. Ils nous ont proposé de refaire une plateforme, nous avons refusé. Nous nous sommes retrouvés avec 13 sites à équiper pour un montant de 6 milliards de dinars. C'était la consultation restreinte de juin 2005 et les trois contrats ont été signés par Mustapha Cheikh, du côté Sonatrach.» Le juge passe à d'autres contrats. L'accusé : «Sonatrach nous a consultés pour un projet de gré à gré urgent de la base du 24 Février, à Hassi Messaoud, d'un montant de 300 millions de dinars.» Le juge : «Où se trouvait l'urgence ?» L'accusé : «Peut-être à cause du terrorisme. Ces installations sont importantes pour les forces d'intervention en cas de problèmes de sécurité.» Le juge veut connaître le montant des trois contrats, mais l'accusé se lance dans une explication technique avant que le magistrat n'intervienne. «Les trois contrats étaient d'un total approximatif de 11 milliards de dinars…» L'accusé : «Attendez…», mais le magistrat ne l'interrompt : «Ce chiffre vous fait-il peur ?» lui demande-t-il. L'accusé : «Pas du tout. Cette somme n'est rien comparée à la sécurité des installations. De plus, elle ne représente que 7% du budget dépensé par Sonatrach dans la télésurveillance. En 2006, la société TVI a bénéficié d'un marché de 65 millions d'euros avec Thales et à ce jour, ce contrat n'a pas été réalisé.» Djaafar Al Smaïl évoque le quatrième contrat venu, selon lui, après une consultation restreinte à laquelle ont pris part Siemens, Martech, Vsat et Contel Funkwerk. «Nous étions en troisième position, en termes volume, après Siemens et Martech. Dans une autre consultation, Martech, Cegelec, Thales et Alstom avaient des prix plus élevés de 18% alors que la technologie de nos produits était plus pointue», dit-il. Le juge l'interroge sur sa relation avec Mohamed Réda Meziane et l'accusé persiste à affirmer que son premier contact avec lui était «lors de la création de la société de transport et à sa demande». Le magistrat lui fait remarquer qu'il vient de se contredire. Il relit quelques PV d'audition devant le juge d'instruction, où l'accusé déclare avoir proposé à Mohamed Réda d'intégrer Contel. L'accusé se tait. Le juge : «Vous saviez qu'il était le fils du PDG de Sonatrach.» L'accusé reconnaît être au courant de cette situation, mais rappelle que c'est avec lui qu'il allait travailler et «non pas avec son père», précisant dans la foulée que Fawzi Meziane n'est entré dans la société qu'en 2007, après qu'il ait quitté son poste à Sonatrach. «Lorsque j'ai soumissionné auprès de Sonaatrach, j'ai présenté le statut de Contel Funkwerk où étaient mentionnés les noms des actionnaires. Personne ne m'a fait de remarque.» Le magistrat note que les responsables de Sonatrach, notamment celui de l'activité Amont, Belkacem Boumediène, devaient être courant de la présence en tant qu'actionnaire du fils du PDG. Il lui demande : «Est-ce normal ?» L'accusé : «Dans ma tête, c'était normal.» Le juge : «Le père était-il au courant ?» L'accusé : «Logiquement, il devait l'être.» Le magistrat insiste sur les propos de l'accusé devant la police judiciaire et ce dernier éclate : «Les agents du DRS écrivaient ce qu'ils voulaient !» «J'ai travaillé avec Mohamed Réda et non pas avec son père» Le juge : «Funkwerk a attiré votre attention sur Meziane ?» L'accusé : «En 2008, les Allemands ont remarqué sa présence sur le statut. Ils ont dit que cela constituait un conflit d'intérêt. Ils l'avaient rencontré en 2007, lorsqu'il a exprimé son vœu de travailler avec eux. Ils avaient refusé. Mais le groupement devait se faire non pas avec le holding où Reda était actionnaire…» Le juge : «Et Bachir Fawzi, vous saviez qu'il travaillait à Sonatrach ?» L'accusé : «Il a rejoint la filiale transport en 2007 une année après avoir quitté la compagnie.» Le juge : «En 2006, vous êtes parti en Allemagne pour récupérer des commissions en tant qu'intermédiaire.» L'accusé : «Je suis consultant et non pas intermédiaire.» Le juge : «Comment pouviez-vous être consultant alors que vous occupiez le poste de président du conseil d'administration d'un groupement dans lequel se trouvaient les Allemands ?» L'accusé n'arrive pas à convaincre le président du tribunal. «Avez-vous obtenu le montant de 1,7 million d'euros de commissions ?», lui demande-t-il. Djaafar Al Smaïl : «C'était pour les prestations d'étude, de marketing. J'ai obtenu un contrat de consulting pour une période de 24 mois, en contrepartie d'un salaire de 30 000 euros. En 2006, j'ai été en Allemagne pour rencontrer les responsables de Funkwerk en tant que représentant de Contel Algérie. Le montant de 1,1 million d'euros couvrait les dépenses de Contel depuis 2004, pour des opérations de marketing.» Le juge : «Vous avez dit que le groupement ne réalisait pas de bénéfice. Le chiffre d'affaires revenait à chacune des sociétés à hauteur des prestations qu'elle effectuait sur présentation des factures. Pourquoi ces contrats de consulting alors ?» L'accusé : «Contel Algérie a réalisé des bénéfices intermédiaires, les finaux sont liés au délai de garantie. Funkwerk a enregistré de lourdes pertes de 2 à 5 millions d'euros entre 2004 et 2006. J'ai agi en tant que personne physique pour aider la partie allemande.» Le juge : «Le patron du groupe peut-il demander de l'argent à ses partenaires ?» L'accusé : «Pour des prestations, oui…» Une réponse qui ne convainc pas le juge, qui veut des explications sur le crédit ouvert dans un banque parisienne par Funkwerk à son profit. «J'ai demandé, en tant que représentant de Contel, le versement de 650 000 euros à la société Contel.» Le juge : «Contel n'a pas de compte à Paris et ses prestations étaient réalisées en Algérie.» L'accusé : «Je voulais que Funkwerk me rembourse toutes les dépenses afférentes à mes déplacements à l'étranger et les prestations de service. C'était un compte crédit ouvert, débloqué au mois de novembre 2006. En 2007, j ai perçu 40 000 euros et en 2008, 30 000 euros. En 2008, j ai demandé à la société de m'aider à ouvrir une société en France. Elle a utilisé le compte crédit pour me transférer l'argent.» Le juge : «D'un côté, vous dites qu'elle a enregistré de lourdes pertes et d'un autre, vous lui demandez de vous verser plus de 600 000 euros !» L'accusé : «Pour la société, ces montants constituaient un investissement.» Le magistrat lui demande d'expliquer «ce voyage en Allemagne avec El Hachemi Meghaoui (ancien PDG du CPA, conseiller financier et actionnaire dans le holding) où il s'est entendu pour des salaires de 10 000 euros et son fils 8000 euros». L'accusé : «Je ne leur ai pas fait de contrat. Les Allemands voulaient travailler avec lui pour ses connaissances bancaires.» Le magistrat : «Et son fils Yazid, pourquoi était-il avec lui ?» L'accusé : «Ce sont eux qui l'ont réclamé. Nous sommes allés le même jour en Allemagne pour signer. Tous les deux sont actionnaires dans le holding.» «Les 650 000 euros sont un crédit» Le juge : «Pourquoi uniquement ces deux ?» L'accusé : «C'est à Funkwerk qu'il faut poser la question.» Le juge : «Il était directeur du CPA, avait-il besoin de vous pour aller en Allemagne ?» L'accusé : «Nous avions l'habitude de voyager ensemble. Les Allemands nous avaient convoqué le même jour. Nous nous sommes retrouvés sur place. Ce sont les enquêteurs du DRS qui m'ont parlé des contrats de consulting des Meghaoui et je leur ai parlé des miens.» Les questions du juge perturbent l'accusé qui perd le fil. «Vous aviez dit être allé à Nuremberg avec Mohamed Réda Meziane et les deux Meghaoui, pour réclamer des contrats de consulting et les Allemands ont refusé de signer avec Meziane.» L'accusé : «C'est faux. Les enquêteurs l'ont inventé. Mohamed Réda s'est déplacé pour la première fois en Allemagne en avril 2007. Il était seul. J'étais déjà sur place quand il est arrivé. Il voulait travailler avec les Allemands. Mais ils ont refusé son offre.» Le juge : «Le contrat de consulting était sur votre flashdisc, y compris celui de la défunte épouse de Mohamed Meziane.» L'accusé : «Ce n'est qu' un brouillon que je n'ai jamais utilisé.» Le juge lui rappelle que le contenu est le même que celui de son contrat, mais l'accusé persiste à dire qu'il s'agit d'un simple brouillon rédigé à la demande de Réda Meziane. Le juge : «Et le contrat de la défunte Mme Meziane ?» L'accusé se perd et déclare : «Réda Meziane et sa mère voulaient travailler avec Funkwerk.» Le juge : «Le montant écrit était de 5000 euros mensuellement, pour Réda et pour sa mère…» L'accusé : «Ce n'était qu'un brouillon !» Le juge revient sur l'achat d'un appartement de 650 000 euros au nom de Mme Meziane en contrepartie de la cession des parts de Réda Meziane dans la société. L'accusé : «C'est un prêt accordé à Réda Meziane pour qu'il puisse acheter un appartement à sa mère qui se soignait en France. L'opération s'est faite en toute transparence, devant un notaire en présence de la défunte.» Le juge : «Etait-ce votre argent ?» L'accusé : «C'est Funkwerk qui l'a transféré.» Le juge : «La défunte n'avait pas besoin de logement. Elle était prise en charge par Europ Assistance.» A propos de la reconnaissance de dette, l'accusé déclare avoir demandé au notaire de la faire et le magistrat réplique : «J'ai une lettre du notaire qui dit que c'est lui qui vous a réclamé une reconnaissance de dette pour sa comptabilité, parce que l'appartement était au nom de Mme Meziane et que le versement a été fait par vous.» L'accusé : «C'est moi qui l'ai demandé. Le notaire n'a fait que saisir les données.» Le magistrat : «Pourquoi avoir remis un chèque à votre nom ?» La réponse de Djaafar Al Smaïl est évasive. Il nie avoir versé 60 000 euros sur les comptes d'El Hachemi Meghaoui et de son fils Yazid, mais reconnaît avoir transféré à Meziane Mohamed Réda un montant de 12 000 euros et à son père, l'ex-PDG de Sonatrach, 10 000 euros. «J'ai rencontré le père de Mohamed Réda en France. Il avait un problème et son épouse était malade. Il m'a demandé de lui prêter 10 000 euros. Je les lui ai donnés.» Le juge : «C'est le PDG de Sonatrach…» L'accusé : «C'est aussi le père d'un ami…» Le magistrat : «Etait-il au courant de l'appartement de son épouse ?» L'accusé : «Je ne sais pas.» Le juge : «Vous habitiez à Paris en 2008, dans un appartement à Neuilly, saisi actuellement. D'où avez-vous eu l'argent ?» L'accusé : «J'ai acheté ce logement pour en faire des bureaux. C'était un investissement.» Le juge : «Vous avez déclaré que Mohamed Meziane était au courant du fait que son fils travaillait avec vous.» L'accusé confirme. Il avoue avoir proposé à Réda Meziane et à Fawzi de travailler avec lui et que, comme l'a rappelé le juge, cette relation a «facilité son travail» avant de rectifier en disant qu'«elle a facilité la procédure et non l'obtention des marchés. Le rendez-vous que j'ai eu avec les cadres de Sonatrach, le 28 novembre 2004, a été obtenu grâce à Mohamed Réda». Sur tous les biens qu'il a acquis entre 2007 et 2009 pour des montants de 130 millions de dinars, 90 millions de dinars et 45 millions de dinars, Djaafar Al Smaïl nie catégoriquement tout lien avec les marchés de Sonatrach. «Une seule villa m'appartient. Les autres sont des investissements de la société Contel», dit-il. Selon lui, Funkwerk a transféré, durant toute la période où il a travaillé avec elle, 1,65 million d'euros en crédit et un salaire mensuel de 30 000 euros durant 24 mois pour consulting. Le juge l'interroge sur le fait que le contrat de crédit du 7 novembre 2006 ne comporte ni montant ni date des échéances de remboursement. «C'est leur manière de travailler», note Djaafar Al Smaïl.