A une semaine de l'expiration du délai du mandat de dépôt, le juge d'instruction n'a toujours pas achevé l'enquête complémentaire ordonnée le 12 novembre dernier par la chambre d'accusation près la cour d'Alger. Celle-ci avait, faut-il le rappeler, confirmé la correctionnalisation du dossier et instruit le magistrat de vérifier s'il n'y a pas eu de blanchiment d'argent en enquêtant sur les biens acquis par les prévenus en France et en Algérie durant la période des faits. A ce titre, deux commissions rogatoires, l'une en France et l'autre en Algérie, avaient été délivrées pour procéder à une vérification approfondie de toute acquisition foncière, immobilière, financière ou automobile par les prévenus et leurs proches en Algérie et à l'étranger. Dans son arrêt du 12 novembre dernier, la chambre d'accusation a également demandé au juge de saisir Sonatrach, en tant que partie civile, pour procéder à une comparaison entre les contrats de même nature que ceux objets de l'enquête, signés avant 2004 et après l'éclatement de l'affaire afin de déterminer s'il y a eu préjudice financier et d'en évaluer le montant. La réponse devait être rendue dans un délai de 45 jours. Selon des sources proches du dossier, Sonatrach n'a rien transmis à ce jour pour des raisons qu'on ignore. Le 13 janvier 2012, le délai accordé par le code de procédure pénale à la détention provisoire expirera, et de ce fait, le juge sera obligé de transmettre avant cette date le dossier à la chambre d'accusation. Force est de constater qu'après 24 mois d'instruction, le magistrat instructeur n'a toujours pas≤ livré la vérité sur ce scandale. Il a commencé par vider l'affaire de sa substance, en la correctionnalisant à travers l'annulation de la charge «d'association de malfaiteurs» pour les 15 inculpés (dont 8 en détention provisoire depuis 24 mois). Une manière d'éviter d'aller chercher les vrais responsables de ces malversations, au-delà de la personne du P-DG. Le juge n'a fait en fait que banaliser le dossier comme à l'accoutumée dans les scandales politico-financiers. Les auditions des 15 prévenus et d'une vingtaine de témoins à charge et à décharge ainsi que les confrontations ont pourtant levé le voile sur une partie des zones d'ombre qui entourent l'affaire, notamment dans son volet relatif aux marchés de télésurveillance d'un montant de 11,100 milliards de dinars (1100 milliards de centimes). Si l'on se resitue dans le contexte de l'époque, c'est le ministre de l'Energie, Chakib Khelil, qui a fait de la sécurisation des sites de la compagnie une priorité. Il a même instruit (par une circulaire datée du 24 janvier 2005, puis par d'autres, le 6 septembre 2005 et le 28 décembre 2005) le P-DG de la compagnie, Mohamed Meziane, et les patrons de ses filiales, de doter les structures de Sonatrach de systèmes de vidéosurveillance dans un délai de 6 mois (à compter du 24 janvier 2005). Durant cette période, les contrats avec les sociétés de gardiennage, qui appartiennent à d'ex-officiers de l'armée, de la police ou à d'anciens walis sont résiliés pour privilégier la diversification, dit-on. C'est alors qu'une vingtaine d'entreprises sont préqualifiées pour la signature de fournitures d'équipements de surveillance. Mais, c'est Contel-Funkwerk qui va être la plus chanceuse, grâce surtout au carnet d'adresses de son gérant, Al Smaïl Djaâfer Mohamed Réda, né en 1975. Les révélations contenues dans le dossier judiciaire n'expliquent pas vraiment comment un jeune d'une trentaine d'années à peine a pu investir aussi facilement un secteur aussi fermé que celui de la sécurité. à 22 ans, il équipe 100 agences du CPA On sait juste que Al Smaïl a commencé dans le monde de la télésurveillance vers 1997, alors qu'il avait à peine… 22 ans. Avec sa société Sopite, il décroche un important marché auprès du CPA (Crédit populaire d'Algérie) pour équiper en vidéosurveillance une centaine d'agences. A l'époque, le P-DG de cette banque était Hachemi Maghaoui (en détention). L'a-t-il aidé à bénéficier de la procédure de gré à gré ? On n'en sait rien. Ce qui est certain, c'est qu'une relation assez étroite lie les deux hommes. En 2004, Al Smaïl, principal actionnaire de la Sarl Contel Algérie (et président de son conseil d'administration), était le représentant de TVI, une firme allemande de commercialisation d'équipements de télésurveillance. La nomination à la tête de Sonatrach de Mohamed Meziane, père de son camarade de lycée, Réda Meziane, lui ouvre d'autres perspectives. Réda l'aide à obtenir un rendez-vous avec le nouveau patron de la compagnie. La rencontre a lieu au bureau de ce dernier et en présence du staff dirigeant. Al Smaïl présente sa société et les produits qu'elle commercialise. Les relations se tissent et sa qualité de fournisseur privilégié fait son bout de chemin, surtout qu'il est présenté comme une connaissance du P-DG. Entre-temps, Hachemi Maghaoui se fait notifier sa fin de mission en tant que P-DG du CPA. C'était en 2005. Il rejoint Contel Algérie en tant que conseiller financier. Son fils, Yazid, y exerce depuis des mois déjà. Avec Sonatrach, les affaires sont sur la bonne voie. Des exposés sur les équipements sont organisés au profit des dirigeants des filiales au sud du pays, alors que des voyages en Allemagne sont effectués. En janvier 2005, Fawzi Meziane, l'autre fils du P-DG, entre dans le capital de Contel, avec comme objectif la création d'une société de transport de carburants. En avril 2005, celle-ci est créée par Yazid Maghaoui. Quatre camions citernes sont alors acquis par Contel, dont deux au nom de All Road. Vers la fin de 2005, une délégation de cadres de Sonatrach se déplace au siège de l'usine en Allemagne. Dès son retour, un projet pilote dans le domaine de la télésurveillance est retenu par la compagnie à Hassi Messaoud. En 2006, Al Smaïl obtient son premier contrat de gré à gré d'un montant de 1,960 milliard de dinars. Au même moment, un protocole de représentation de Funkwerk par Contel est signé et les statuts de cette dernière changés pour créer Contel-Funkwerk, une Sarl de droit algérien, détenue à 27% par Contel et 73% par Funkwerk. Les choses évoluent rapidement. En 2007, Fawzi Meziane se retire de la filiale transport de Contel Algérie. En janvier 2008, Al Smaïl Mohamed Réda, Hachemi Maghaoui, Mohamed Reda Meziane, Ali Dorbani, Monsef Al Smaïl et Rachid Ourabah, créent le holding Contel, constitué de trois filières : construction, agriculture et mines. Au mois de février 2008, Contel Algérie achète 20 camions citernes au profit d'All Road, (dirigé par Yazid Maghaoui) pour un montant de 200 millions de dinars. Durant la même période, lors de l'assemblée générale des actionnaires de Contel, le commissaire aux comptes de la Sarl demande le rattachement d'All Road au holding Contel, dont la création n'a pas tardé à donner ses fruits. Les marchés qu'il décroche se multiplient. Les contrats arrachés atteignent un montant de 11, 100 milliards de dinars, pour lesquels les responsables allemands reconnaissent (lors de leur audition en tant que témoins), avoir versé 4,5 millions d'euros de commissions. Selon eux, celles-ci auraient été accordées sous forme de crédits et de contrats de consulting d'une durée de deux ans pour une rémunération allant de 10 000 jusqu'à 30 000 euros, pour Al Smaïl, Maghaoui Hachemi et son fils Yazid, ainsi que pour Mohamed Meziane. 4,5 millions d'euros de commissions Les représentants de Funkwerk apportent de nombreuses précisions sur Al Smaïl, le dirigeant de Contel-Funkwerk. Tout en niant être au courant de cette commission de 6,5 % (1,100 million d'euros) qu'Al Smaïl dit avoir négociée avec eux, ils précisent cependant que lors de la réunion avec ce dernier en Allemagne, ils ont accepté de prendre en charge les dépenses effectuées entre mars, avril, juin et novembre 2005, dans le cadre des démarches entreprises pour l'obtention de contrats comme la prise en charge de 400 participants à une conférence à l'hôtel Sheraton, à Alger, et les frais de voyage en Allemagne et à Hassi Messaoud. L'ensemble de ces factures sont évaluées dans un premier temps à 881 320 euros. Pour justifier ces dépenses, un crédit de 650 000 euros a été accordé à Al Smaïl, en tant que personne physique et non en tant que P-DG de Contel. Pour la partie allemande, il est plus facile de procéder à des virements vers le compte d'une personne physique que celui d'une société, relevant au passage que la Sarl Contel d'Al Smaïl n'avait pas de compte en euros. Les virements sont effectués en deux parties : l'une en octobre, et l'autre en novembre 2008. Plusieurs autres sommes sont par la suite transférées sous forme de prêts sans que le taux d'intérêt ou l'échéance de remboursement soient définis. Ils citent : 45 000 et 40 000 euros en 2006, 120 000, 100 000 et 60 000 euros en 2009. D'après les responsables de Funkwerk, ces fonds devaient servir à la création par Al Smaïl d'une société en France. Pour ce qui est du contrat de consulting de deux ans, établi avec ce dernier, pour un salaire mensuel de 30 000 euros, les responsables de Funkwerk précisent qu'il a été signé après l'obtention de trois marchés en septembre 2007. Il s'agit en fait de la contrepartie des services qu'il a effectués en son nom et non au nom de Contel. Ces prestations sont estimées à 200 jours d'exercice, en Allemagne et en Algérie. De ce fait, il a reçu 15 virements : 2 en 2007, 11 en 2008 et 2 en 2009 d'un montant de 30 000 euros chacun. D'autres virements ont été effectués : 60 000 euros en septembre 2008, 50 000 et 50 000 euros en octobre 2008, 60 000 euros un mois après et 60 000 autres en janvier 2009. En tout, Funkwerk a viré sur le compte de Al Smaïl, sous forme de prêts ou de rémunération, un montant de 2, 385 millions d'euros. Pour ce qui est du contrat de consulting, qui fait état d'une commission de 6,5% sur les marchés obtenus, Funkwerk révèle que cet accord a été signé (en application de deux autres) entre la société allemande et Contel Algérie. Le premier en 2007 porte sur les services entre les deux parties, suivi d'un autre en 2008 relatif aux travaux supplémentaires (au contrat). L'objectif est de prendre en charge toutes les prestations de service accomplies par Contel dans le cadre du marché qu'elle a obtenu en payant toutes les factures présentées d'un montant global de 237 500 000 DA. Des crédits pour justifier les commissions Les contrats de consulting biannuel, avec Hachemi Maghaoui, pour une rémunération mensuelle de 10 000 euros, ont-ils expliqué, ont été accordés pour sa qualité d'ancien P-DG d'une banque publique, ayant une connaissance en matière de transfert de fonds vers l'étranger. Ils révèlent que les virements effectués sur son compte à Paris ont atteint 300 000 euros. Son fils, Yazid, a obtenu le même contrat, mais pour un salaire de 8000 euros. Il était chargé de la procédure de dédouanement et de transfert des équipements (depuis leur arrivée à la frontière tuniso-algérienne jusqu'à Hassi Messaoud). Le montant total transféré à son compte à Paris est de 230 000 euros. Sur la somme de 650 000 euros versée par Funkwerk au compte d'Al Smail en France et qui a servi à l'achat d'un appartement à Paris, au nom de Mme Meziane, épouse de l'ex-P-DG de Sonatrach, les Allemands notent qu'il s'agit d'un prêt accordé à Al Smaïl, dont ils ignorent la destination. Des déclarations qui suscitent de lourdes interrogations. Comment se fait-il que des contrats en dinars signés en Algérie aboutissent à des commissions en devises, versées dans des comptes à l'étranger ? Comment expliquer qu'un contrat pour un montant total de 105 millions d'euros décroché par Sarl Contel Funkwerk (détenu à 70% par Funkwerk et 30% par Contel) réalise un bénéfice de 8 millions d'euros pour Funkwerk et 20 millions d'euros pour Contel sans compter les salaires à l'étranger et les commissions ? Peut-on croire que les Allemands ont pu être aussi généreux ? Autant de questions auxquelles le juge n'a pu apporter les réponses et qui laissent croire que la vérité est ailleurs que dans le dossier judiciaire…