Ce ne sont pas les feux tricolores ni les agents de police qui interdisent la circulation sur cette principale artère de l'une des plus grandes villes d'Algérie, la plus dense et la plus agitée. Grouillante d'activité, la chaussée est devenue le souk le plus impopulaire de toute la région. Un mélange pittoresque de commerçants et de vendeurs à la sauvette offrant « l'affaire du jour » ou encore un bric-à-brac d'objets hétéroclites neufs ou vieillots, de la friperie et des produits textiles made in China. « Il ne s'agit pas d'un signe de prospérité », affirment des habitués du coin. C'est beaucoup plus une tacite volonté des animateurs de tenter de désactiver localement une vie économique paralysée ces dernières années par une baisse constante du pouvoir d'achat. Les perspectives ambitieuses que laissait apparaître le plan de relance économique sont mises de côté. Dans la 4e wilaya du pays, les jeunes chômeurs n'évoquent plus le départ vers l'étranger en cette période de jeûne. Ce n'est plus à la mode à leurs yeux. La création d'ateliers de couture, d'unités de conditionnement de divers produits agroalimentaires et ceux chimiques dont le ciment pour le compte d'employeurs au noir, l'ouverture de petites échoppes de buralistes, boutiques de pâtisserie traditionnelle… donne l'illustration de cette tendance grandissante au sein de la population juvénile. « Pour casser les prix, il faut renouer avec le système employé par les passeurs de cabas des années 1980 sans pour autant renoncer aux aspirations socio-économiques nationales », considère Abdelatif. Agé de 32 ans, universitaire, il s'est spécialisé dans le commerce des produits textiles chinois. Le marché local en est inondé. Les prix, très abordables, appliqués sont à la portée de toutes les bourses. Annaba, Ramadhan 2006, c'est le retour aux belles années d'apparente opulence des années 1980. C'était le temps où la wilaya comptabilisait dans ses murs 200 000 travailleurs tous secteurs confondus. Plusieurs milliers arrivaient de Guelma, Tarf et Souk Ahras. Ils rentraient en début d'après-midi, les bras chargés de victuailles des régions limitrophes. Avec la fermeture des entreprises publiques économiques, des conserveries, l'abandon du travail de la terre, on parle d'à peine 20 000. Hormis les 8700 de Mittal Steel, 600 de Fertial et quelques autres centaines activant dans des petites et moyennes entreprises publiques et privées, beaucoup occupent la voie publique dans le centre urbain, dans les quartiers et cités ainsi que dans les périphéries de la commune dans la vente à la sauvette. Des policiers en tenue civile leur font quotidiennement la traque tout autant que les délinquants et les repris de justice aux aguets, les yeux fureteurs à la recherche d'une poche, d'un sac ou d'un portable « distrait » à voler. Durant ce Ramadhan, la plupart des habitants de la wilaya semblent se préoccuper plutôt de leur niveau de vie. Certes, le chômage continue d'imposer à la majorité l'austérité. Mais çà et là, les chansons malouf, chaâbi, raï, rap, les chebs et les chebate font oublier les exigences de la vie. Des chansons qui, également, assourdissent les appels à l'aide matérielle et financière des familles nécessiteuses qui par dizaines occupent les trottoirs et les abords de magasins d'alimentation, boulangerie, boucherie… Rencontré à l'entrée du marché d'El Hattab, Mourad, un fonctionnaire, admet : « Les gens sont fatigués des promesses des pouvoirs publics. Cette fatigue est plus perceptible durant le Ramadhan où la misère est plus perceptible. Rien ne bouge et les responsables semblent incapables de faire démarrer le processus de relance économique initiée par le président de la République. » A proximité du marché El Hattab, piétons et automobilistes n'arrivent pas à circuler. Le rond-point pourtant très large et les trottoirs des cinq rues adjacentes sont squattés par les camelots et vendeurs à la sauvette. Initialement limité à la rue Ibn Khladoun, le commerce informel a conquis tous les espaces jusqu'au Cours de la Révolution. Du côté de la Colonne, aux alentours du rond-point Stambouli, l'endroit est envahi par les charrettes chargées de fruits et légumes. Des jeunes très mal payés par les propriétaires des étalages et magasins montrent du doigt les riches. Sans hésiter, ils expriment spontanément leurs frustrations. « J'ai appris que, dans ce pays, je ne peux que compter sur moi-même pour survivre. Les responsables politiques mentent tout autant que les responsables et élus locaux », avoue Abdehamid Nouari, 22 ans, vendeur à la sauvette. Lors de rencontres formelles ou informelles, des avocats, médecins, opérateurs économiques et universitaires appartenant à la génération actuelle se révèlent politiquement critiques à l'égard des pouvoirs publics. Cette aigreur, qu'ils chuchotaient jusqu'ici, est exprimée de plus en plus ouvertement. Et lorsque à l'approche de l'heure du ftour, les uns et les autres commerçants, vendeurs à la sauvette et consommateurs désertent les lieux, laissant des tonnes et des tonnes de déchets, ordures et immondices un peu partout dans la commune, chef-lieu de wilaya.