Hasni Abidi est politologue, spécialiste du Monde arabe. Il dirige le Centre d'études et de recherche sur le Monde arabe et méditerranéen (Cermam1) à Genève. Il enseigne également au Global Studies Institute de l'université de Genève et a travaillé comme consultant auprès de plusieurs institutions internationales, dont le CICR, l'Unesco et la Cnuced. Ses travaux portent sur l'évolution politique au Proche-Orient et au Maghreb. M. Abidi nous apporte son éclairage sur la crise qui oppose, depuis trois jours, l'Arabie Saoudite à l'Iran. - Pour vous, quel était le but recherché par Riyad en exécutant un dignitaire religieux chiite ? Pour Riyad, la patience a des limites. Le dignitaire chiite en question était un cauchemar pour la famille Al Saoud. Son opposition a franchi la ligne rouge. Ses revendications vont des demandes sociales au droit à l'autonomie de la région est du pays. L'actuel prince héritier et ministre de l'Intérieur n'a jamais pardonné au cheikh Al Nimr ses diatribes contre son père, ancien véritable gardien du temple saoudien, le prince Nayef. Exécuter le dignitaire religieux, c'est décapiter cette communauté et tuer dans l'œuf toute tentative de construire une nouvelle opposition. Le nouveau pouvoir à Riyad est confronté à une série de défis internes et externes inédits. Pour lui, agir avec fermeté face à la contestation chiite, c'est consolider son pouvoir et s'offrir une nouvelle légitimité. - A travers cette exécution, l'Arabie Saoudite voulait-elle aussi provoquer l'Iran ? Les deux pays ne sont ni amis ni ennemis. Ils sont dans une compétition à somme nulle. Un faux pas de Téhéran profiterait à Riyad qui pourrait ainsi dire : voilà, le pays réhabilité par Washington est désormais une menace pour la sécurité régionale. Le président Rouhani est un homme pressé, mais qui reste sous la pression des radicaux qui ne sont pas enthousiasmés par une ouverture qui menacerait leurs intérêts. Dans les deux pays, les enjeux internes sont les premiers destinataires de cette escalade. - Faut-il craindre maintenant une confrontation directe entre Téhéran et Riyad ? La configuration actuelle échappe au contrôle des grandes puissances tentées par un isolationnisme sans précédent. Le retrait des Américains signifie une nouvelle époque dans le Monde arabe. Les chefs d'Etat sont devenus des «commentateurs sportifs» sans aucune vision politique. Les dossiers syrien, yéménite et irakien et la lutte contre Daech vont déjà faire les frais de cette confrontation. - Qu'est-ce qui motive la politique étrangère saoudienne ? Il y a un sentiment d'inquiétude qui s'empare de l'Arabie Saoudite. Narguée à la frontière et défiée par le régime syrien soutenu par Téhéran, l'Arabie Saoudite endure aussi les critiques acerbes des Occidentaux l'accusant de soutenir le terrorisme. C'était la critique de trop. Riyad décide donc de sortir de sa réserve et d'affronter les défis avec ses propres moyens. Une coalition militaire et une diplomatie active. L'Arabie Saoudite veut montrer qu'elle est en mesure d'exercer sa nouvelle fonction de leader dans une région livrée à ses démons.