L'ex-PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, n'a cessé de clamer son innocence devant le tribunal criminel d'Alger. Poursuivi dans le cadre de l'affaire Sonatrach 1, il nie tous les faits qui lui sont reprochés, précisant que les décisions sont prises de manière collégiale. Il affirme que le ministre, qui présidait l'assemblée générale, avait de l'influence. Il accuse le DRS d'avoir voulu le faire témoigner contre des personnalités, mais il a refusé. Sans le coût de réfection des installations, Tiguentourine a causé une perte de 9 milliards de dollars. Le procès Sonatrach 1, qui se tient au tribunal criminel d'Alger, a entamé hier sa troisième semaine avec l'audition de Mohamed Meziane, ex-PDG de Sonatrach, poursuivi pour le crime de «direction d'une association de malfaiteurs» et les délits de «passation de marchés en violation de la réglementation dans le but d'octroyer d'indus avantages à autrui», «corruption», «dilapidation et tentative de dilapidation de deniers publics», «abus de fonction», «conflit d'intérêt» et «blanchiment d'argent». Il est le seul accusé poursuivi pour des faits relevant de la criminelle qui n'a pas fait l'objet de la procédure de prise de corps. Mohamed Meziane commence par un bref aperçu de sa carrière, commencée en novembre 1967 pour s'arrêter brusquement en 2010, à la suite de cette affaire, après avoir occupé le poste de PDG de Sonatrach durant sept ans. «Après 40 ans de carrière, je me retrouve sans travail, sans protection sociale et sans mon droit à une retraite», lance-t-il. Il ajoute : «Sonatrach n'est pas une simple société. C'est un groupe présent dans 15 pays où il fait la commercialisation du pétrole, le stockage et la vente du gaz liquéfié. Il est tout le temps en situation d'alerte. C'est cela, l'urgence.» Il cite l'accident de la raffinerie de Skikda qui a fait 27 morts et coûté à la compagnie 4,5 milliards de dollars, en disant que «ce genre d'accident est la hantise» des dirigeants. Le juge l'interroge sur la «notion d'urgence» qui, dit-il, au vu de la loi, concerne la nature du projet et non pas son exécution. Selon l'accusé, «l'urgence, c'est de faire dans la prévention prospective afin d'éviter des situations à risque. Les projets de télésurveillance en font partie». Il explique : «Des gens franchissaient les bases et faisaient des discours, puis il y a eu l'accident de Skikda. Allions-nous rester les bras croisés ?» Le juge lui demande où se trouve l'urgence à partir du moment qu'entre l'instruction du ministre et la réalisation du contrat, il y a eu presque trois ans. L'accusé : «Nous avions commencé par les unités de production qui assurent 78% de nos recettes. Hassi Messaoud représente 40% de la production et Hassi Rmel produit 40% de celle du gaz. Je suis discipliné. Mon ministre m'a donné un ordre, je l'ai exécuté.» Le juge l'interroge sur la R15 qui régit les marchés. L'accusé : «Mon prédécesseur, Bouhafs, avait instauré en 2001 la R14, et moi-même je l'ai revue et corrigée pour devenir la R15, qui a été modifiée en 2012 pour devenir la R16. Il s'agit d'un travail collégial, avec l'ensemble des cadres dirigeants de Sonatrach. Par exemple, la R14 prévoyait deux solutions ; la R15, en propose trois afin de promouvoir la concurrence et la R16 est revenue à deux. Le temps, c'est de l'argent. Les procédures évoluent selon les situations.» «Je n'ai jamais donné d'ordre ou d'orientation» Le juge : «Cette procédure consacre le principe de l'élargissement des soumissions. Or, cela n'a pas été le cas.» Mohamed Meziane réplique : «J'avais à peine un an à la tête de la compagnie, il y avait nécessité de sécuriser rapidement les installations.» Le juge revient sur le premier rendez-vous obtenu par Al Smaïl avec le PDG de Sonatrach pour faire connaître sa société Contel, sur recommandation de Réda Meziane. L'accusé : «Mon fils m'a dt qu'un de ses amis qui travaille dans le domaine des équipements de sécurité voulait me voir. J'ai demandé qu'il me fasse une lettre. A l'époque, j'étais confronté à plusieurs accidents.» Le président lui rappelle que l'instruction de 2004 n'évoquait pas la télésurveillance ; elle faisait état de la gestion du personnel et de l'anarchie dans l'organisation. Il accule l'accusé sur son premier contact avec Al Smaïl, le patron de Contel Algérie. Meziane répond : «Il m'en a parlé au mois de novembre 2004. Je l'ai vu en présence des membres du comité exécutif. Nous avions un problème de sécurisation des installations. Il a fait une présentation de ses équipements.» Le juge : «Pourquoi est-il venu vous voir directement ? N'est-ce pas une manière d'orienter l'octroit du marché ?» Les avocats contestent la question, arguant du fait qu'à ce stade, «il n'est pas encore question de marché». Le président : «Le tribunal est souverain. Il pose la question qu'il juge nécessaire.» Il se retourne vers l'accusé qui lui répond : «Il a fait une présentation de ses produits, en mettant en exergue les marchés qu'il a obtenus auprès du ministère de la Défense et de banques. Je n'ai jamais donné d'orientation au comité exécutif, qui était souverain dans ses décisions. Je gérais en toute transparence, avec traçabilité. Je n'ai jamais donné d'ordre verbal ou d'instruction par téléphone. Cette présentation n'avait aucune arrière-pensée.» Le juge lui demande si, «habituellement», il recevait les repréntants des sociétés. L'accusé : «Cette pratique est courante. Je ne suis pas n'importe qui. Je suis le PDG de Sonatrach.» Interrogé sur la suite de cette réunion de présentation, Mohamed Meziane répond qu'«il n'y a rien eu. Al Smaïl est reparti. J'en ai entendu parler en 2005». Puis il indique qu'à la suite de l'instruction du ministre, en janvier 2005, «une autre présentation a eu lieu au Sud, avec nos ingénieurs. Les solutions proposées les ont épatés». Le juge : «Voulez-vous dire que le projet-pilote a démarré de la base ?» L'accusé : «Ce sont les ingénieurs qui ont pris la décision. Il y avait urgence à sécuriser nos installations. Ils étaient épatés par les équipements de Contel Funkwerk. J'ai transmis cette information à l'activité Amont. C'était en septembre 2005. Mustapha Hassani a signé le premier contrat, après avoir obtenu une délégation de signature.» Mohamed Meziane nie tout lien entre son fils et l'obtention du contrat par Contel, tout comme il dit ignorer que son fils exercait au sein du groupement algéro-allemand. Pour convaincre le tribunal, il révèle avoir refusé d'accorder une promotion à son fils Fawzi, qui travaillait à Sonatrach. «Un jour, le ministre m'a appelé pour m'insinuer que j'avais accordé une promotion à mon fils. Je lui ai dit que j'allais vérifier. J'ai appelé la directrice des ressources humaines, qui m'a affirmé que c'est elle qui avait pris cette décision. J'ai exigé qu'il soit rétrogradé. Quelques jours après, on m'a contacté pour m'annoncer que mon fils avait fait un malaise cardiaque à cause de cette rétrogradation. Il a fini par quitter Sonatrach pour ne pas me créer de problème.» Le juge : «Al Smaïl a dit que tous les cadres de Sonatrach savaient que le nom de Fawzi Meziane était dans les statuts du groupement Contel.» L'accusé persiste à affirmer qu'aucun des responsables ne l'en avait informé. Le juge rappelle les propos de Fawzi Meziane selon lesquels il aurait été informé. «Il m'a informé de la création d'une société de transport avec son frère. Mais je ne savais pas qu'il était actionnaitre dans la société d'Al Smaïl», répond Meziane, qui évoque des «pressions morales» qu'il aurait subies lors de l'enquête préliminaire : «Un des officiers m'a parlé du fait que mon fils travaillait à Contel. Il a même usé de menaces.» Le juge le ramène au deuxième contrat de télésurveillance. «Les rapports sécuritaires faisaient état de graves menaces. Ce qui a poussé le ministre à exiger la sécurisation des unités avant le 31 décembre 2006. J'ai fait en sorte qu'elle le soit dans les délais. On m'a parlé de la publication sur le Baosem, j'ai dit non parce qu'il fallait faire vite. Huit sociétés ont été consultées, entre autres Vsat, Imtech, Contel Funkwerk, Siemens, Martech, Lind, TVI. Finalement, seules quatre ont été retenues.» L'accusé affirme que la décision de lotir le projet en quatre a été prise par le comité exécutif : «Une des sociétés qui s'est retirée voulait prendre les 123 unités. Nous avons refusé. Avec ce partage, Contel Funkwerk n'a pris que 7% des installations. C'est la commission des marchés qui a tout géré. Je n'ai joué aucun rôle.» Le juge interroge Meziane sur les quatrième et cinquième contrats. Il commence par revenir sur «l'importance» de la base de vie de Hassi Messaoud, puis déclare : «L'attaque de la base de Rhourd Ennous par des terroristes qui l'ont occupée durant plusieurs jours nous a convaincus de la nécessité de sécuriser les bases de vie. Les équipements proposés offraient de bonnes solutions.» Le juge insiste sur le non-recours à une large consultation et l'accusé ne cesse de répéter qu'il s'agissait de la sécurité : «J'ai été confronté à la faillite d'une des sociétés qui nous a laissé plus de 7 millions de dollars d'équipement sur les lieux et à Thales & Lind qui étaient défaillantes. Contel Funkwerk est la seule qui a respecté ses engagements.» Le président confronte l'accusé aux propos de Réda Meziane qui affirmait avoir informé son père de son statut d'actionnaire dans le groupement Contel. Meziane nie tout, tout comme il nie avoir connu Al Smaïl avant sa rencontre en 2004. «Pourtant, vous lui avez vendu une maison à Kheraïcia...» L'accusé : «Personne ne voulait habiter cette villa. C'est Réda qui l'a vendue, je ne sais pas à qui.» Le magistrat l'interroge sur l'appartement acheté par Al Smaïl à sa défunte épouse. «Je n'en ai jamais été informé. Je ne l'ai su que lors de l'enquête.» Mohamed Meziane s'énerve et lance : «Un des officiers du DRS est venu me dire ‘témoigne contre des responsables' dont je ne citerais pas les noms, ‘en contrepartie, toi et tes enfants ne risquez rien'. Je ne pouvais pas le faire. La pression était très forte. C'est au mois de novembre 2009 que mon épouse m'a parlé de l'appartement et j'étais hors de moi. Je n'avais pas besoin que quelqu'un m'achète un logement !» Le magistrat : «Les vice-présidents disent ne rien entreprendre sans votre accord...» L'accusé : «Chaque année, je reçois 11 000 correspondances auxquelles je dois répondre. Toutes les décisions sont collégiales. Toutes les instructions du ministre sont répercutées sur les vice-présidents. Je n'ai jamais donné ordre pour quoi que ce soit. Contel a eu 7% des marchés et qui a été le meilleur ? Contel-Funkwerk. Les autres comme Thales, Vsat, Martech, Cegelec, Lind, etc. font l'objet de contentieux.» Revenant sur la personne d'Al Smaïl, l'accusé déclare : «Je ne lui ai accordé aucun avantage.» Sur la non-publication des marchés sur le Baosem, il déclare que cette tâche relève des prérogatives de la direction juridique. «Les cinq contrats de télésurveillance n'ont pas été publiés», lance le juge et l'accusé répond : «J'ai moi-même donné des instructions en 2007 pour qu'il y ait régularisation…» «CAD était recommandé, y compris par le ministre» Le juge passe au dossier Saipem, et Meziane affirme qu'il y a eu une consultation pour les lots 1 et 2, qui s'est bien déroulée ; mais pour le lot 3, après le retrait d'un des soumissionnaires, Petrofac, il ne restait que deux sociétés, dont Saipem qui était la moins-disante. «Nous avons opté pour des négociaitions sur les prix, tel que proposé par Benamar Zenasni, le vice-président de l'activité transport par canalisation. Mais chacun proposait un taux. Yahia Messaoud a proposé 40%, ce qui était impossible», explique l'accusé. Le juge : «La négociaition vous met en situation de gré à gré…» L'accusé : «Nous n'avions pas le choix. Nous étions pris par le temps…» Meziane dément avoir été mis au courant du contrat de consulting de son fils Réda avec Saipem ni des 4 millions de dinars que la société italienne lui a offerts pour l'achat d'une voiture. Le juge évoque Tullio Orsi, le responsable de Saipem Algérie, qui avait été parmi les invités au mariage de Réda Meziane en Tunisie. «Il était présent. Je l'ai juste salué. Moi-même j'étais invité», dit-il. Le magistrat lui rappelle que Réda Meziane a reconu avoir intercédé auprès de lui au profit de Saipem. L'accusé confirme, en précisant que son fils lui a parlé du contentieux lié aux pénalités de retard de Saipem et «je lui ai répondu que Sonatrach n'est pas un héritage de mon père». Il ne cesse d'évoquer «les pressions» exercées sur lui par le DRS, sans aller dans le détail «par respect à l'obligation de réserve». Sur la cherté des prix de Saipem, il précise avoir décidé de négocier une baisse de 12%, 12,5%, 13% jusqu'à arriver à 15%, au point où, dit-il, le représentant de Saipem, s'est levé pour annoncer son retrait. Le président revient sur le logement de la défunte épouse de l'accusé, lui demandant pourquoi un tel achat alors que Europ Assistance lui avait loué un appartement. L'accusé : «C'est moi-même qui avais demandé la location d'un appartement. C'est moins cher que les nuitées dans un hôtel. Europ Assistance a accepté de payer 2000 euros.» Le président appelle Mohamed Réda Djaafer Al Smaïl et lui demande pourquoi avoir dit que Mme Meziane avait besoin d'un logement. Al Smaïl dit l'ignorer. Mohamed Meziane : «Ce qui n'a pas été évoqué, c'est la suspension de la prise en charge et sa reprise bien après.» Le juge passe au dossier du siège, à Ghermoul. L'acusé confirme que le ministre de l'Energie avait refusé de remettre le siège de Ghermoul au ministère des Transports et l'a instruit d'occuper les bureaux et d'entamer les travaux de réfection. Il affirme ne pas se rappeler si Chawki Rahal, vice-président de l'activité commerciale, l'a sollicité sur la consultation. Le président appelle Rahal, qui confirme avoir transmis un courrier dans ce sens. Interrogé, Mohamed Senhadji, vice-président de l'activité centrale, confirme avoir transmis au PDG une correspondance demandant son accord pour le gré à gré avec le bureau d'études CAD. Mohamed Meziane est confus : «J'ai donné mon accord pour Mohamed Senhadji, mais je n'ai pas reçu de lettre évoquant une consultation.» Meziane fait l'éloge du bureau d'études en soulignant qu'il a été recommandé par de nombreux cadres, y compris par le ministre. Sur le rôle que Réda Hemch aurait pu jouer, il déclare : «Il était le conseiller du ministre. C'est lui qui l'a ramené. Moi, je suis discipliné.» Pour ce qui est de la réalisation du siège, Mohamed Meziane indique : «Imtech était moins-disant. Le comité exécutif a trouvé le montant de 73 millions d'euros élevé. Le ministre a donné instruction pour négocier. J'exécute. Je suis discipliné.» Sur l'étude de comparaison des prix effectuée par OHL, qui a arrêté le montant de réalisation à 48 millions d'euros, l'accusé précise l'avoir lue sans toutefois la commenter. «Le ministre donne ordre de négocier, j'exécute» «Pourquoi avoir gelé le contrat», demande le juge. L'accusé : «Le lendemain de la signature du contrat, j'étais en déplacement, on m'a appelé pour me dire qu'il y avait une enquête sur le marché. J'ai appelé Chawki Rahal pour lui demander de le geler. L'annulation de ce dernier a été sans conséquence. J'ai été étonné de voir que deux ans après, Imtech réclamait 17% du montant du marché et les a obtenus. Il y a anguille sous roche. Si la société avait demandé 2%, je peux comprendre, mais 17%, c'est du jamais vu !» Le juge donne la parole à la défense et au parquet général pour poser des questions à l'accusé. Le procureur général demande à Meziane pourquoi cette préférence pour Saipem alors qu'elle avait un contentieux de pénalités de retard. L'ex-PDG rappelle le soutien du groupe ENI à la Révolution algérienne et l'aide qu'il lui a apportée. «Il a même aidé à la création de Sonatrach», ajoute-t-il. Pour ce qui est du montant de 10 000 euros viré sur son compte en France par Al Smaïl, l'accusé répond : «J'ai demandé cette somme à mon fils. Je ne sais même pas que c'est Al Smaïl qui l'a fait.» Le juge : «Ce n'est pas Réda qui l'a virée, mais Al Smaïl.» L'accusé persiste à dire que cet argent, il l'avait demandé à son fils. Mohamed Meziane déclare que Sonatrach n'a subi aucun préjudice, précisant avoir refusé de payer à Contel-Funkwerk un avenant de 500 millions de dinars qu'elle voulait faire passer. Interrogé sur la relation entre le ministère et Sonatrach, il répond : «Le ministre préside l'assemblée générale. Il exerce une influence. Tous les ministres font de même sans exception.» Sur le fait que le ministre recevait les vice-présidents sans en référer au PDG, Meziane lance : «C'est la pratique. Il y a le respect de la hiérarchie, pourvu que je sois informé.» A popos de l'urgence, l'accusé note : «Si nous étions préventifs, il n'y aurait pas eu Tiguentourine ni les accidents de Skikda. Des étrangers faisaient pression sur moi en tant que PDG pour leur permettre d'assurer eux-mêmes la sécurité de leurs installations. L'impact de Tiguentourine a été important. Sans la réfection des installations, nous avons perdu 9 milliards de dollars. Aujourd'hui, nous sommes en train de revenir à la situation des années 1990.»