Le procès Sonatrach 1, qui se tient depuis le 27 décembre dernier au tribunal criminel d'Alger, tire à sa fin, avec le début des plaidoiries après le prononcé du réquisitoire. Ainsi, le procureur général a requis 15 années de réclusion criminelle assortie d'une amende de 3 millions de dinars contre l'ancien PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, son fils Réda et Mohamed Réda Djaafer Al Smaïl, patron de la société Contel et du groupement Contel-Funkwerk. Une peine de 8 ans assortie d'une amende de 3 millions de dinars a également été requise contre l'ex-PDG du CPA, El Hachemi Meghaoui, et son fils Yazid, et une autre de 7 ans assortie d'une amende de 3 millions de dinars, contre Fawzi Meziane, le deuxième fils du PDG. Le procureur général a requis des peines de 7 ans de prison contre le vice-président de l'activité Amont Belkacem Boumedienne, 2 ans contre le vice-président du transport par canalisation Benamar Zenasni, 2 ans contre le vice-président de l'activité commerciale Chawki Rahal, un an contre le vice-président des activités centrales, précisant que ces peines sont assorties d'une amende d'un million de dinars, à l'exception de Mohamed Senhadji, concerné par une amende de 200 000 DA, au même titre que les anciens cadres Mustapha Hassani et Mustapha Cheikh, contre lesquels une peine d'un an a été requise. Le procureur général a demandé, par ailleurs, une peine de 3 ans de prison assortie d'une amende de 3 millions de dinars contre Nouria Meliani, gérante du bureau d'études CAD, et réclamé une amende de 5 millions de dinars contre les quatre sociétés poursuivies en tant que personnes morales : Saipem, Contel Algérie, Contel-Funkwerk et Funkwerk-Plettac. Pour ce qui est de Mouloud Aït El Hocine et Abdelaziz Abdelouahab, le procureur général a demandé l'application de la loi. Dès l'ouverture de l'audience, Abdelaziz Boudraa (procureur du tribunal de Bir Mourad Raïs et représentant du ministère public) intervient ; durant près de trois heures, il tente de casser les arguments avancés durant le procès par les 18 accusés. Tantôt il s'appuie sur des documents, tantôt il rappelle les déclarations «contradictoires et non convaincantes» des uns et des autres. Il rend hommage au tribunal, à la défense et à la presse avant d'aller à l'essentiel, «l'affaire Sonatrach et Dieu seul sait ce qu'est Sonatrach», dit-il. M. Boudraa se tourne vers le box des accusés et lance : «Je me sens très gêné, touché, lorsque je me retrouve dans une affaire où des cadres de haut niveau sont cités. Je les vois comme faisant partie de l'élite de notre pays. Ce qui rend ma mission très difficile.» Il met l'accent sur l'importance de la compagnie : «Une entreprise citoyenne qui contribue grandement au développement du pays et nourrit 40 millions d'Algériens», puis il s'interroge : «Pourquoi compromettre le pain des Algériens ?» Il revient sur le statut de Sonatrach, «une entreprise publique économique, créée par des fonds publics et mise au service de la nation. En 1999, elle est devenue une société par actions, toutes appartenant à l'Etat», dit-il. Il répartit l'affaire en trois dossiers : la télésurveillance, le GK3 et la réfection du bâtiment Ghermoul. «Sonatrach a signé avec une société morte administrativement» M. Boudraa détaille d'abord le dossier de télésurveillance, qui a commencé avec «le personnage» Mohamed Réda Djaafer Al Smaïl, «un jeune d'une trentaine d'années à la tête d'une petite société, Contel. Dès que Mohamed Meziane est nommé PDG de Sonatrach, il se souvient d'un Réda Meziane qui a fait le lycée avec lui, en 1992. Il cherche ses coordonnées parce qu'il n'est pas resté en contact avec lui. Une fois le contact établi par Fawzi, le frère de Réda, ce dernier se charge de lui obtenir un rendez-vous avec son père fraîchement installé à la tête de Sonatrach. Al Smaïl écrit un courrier à Mohamed Meziane et décide même de la date du rendez-vous. N'a-t-il pas préparé la route vers Sonatrach à l'avance ? Dans ce dossier, toutes les dates ont leur importance, elles nous permettent de faire les liens et de remonter aux uns et aux autres. Les rendez-vous et les réunions ont commencé en novembre 2004, alors que l'instruction du ministre sur la généralisation de la sécurisation des sites a été faite en janvier 2005». Le procureur fait le lien entre le rendez-vous avec le PDG et la création, 40 jours plus tard, du groupement Contel, dans lequel Fawzi Meziane possède «le taux le plus élevé d'actions, alors qu'il n'a déposé aucun dinar. Après avoir présenté les équipements de TVI, avec laquelle il était associé, il revient pour une présentation, mais cette fois avec le matériel de Funkwerk. Il dit qu'il a changé de société parce que TVI voulait l'utiliser comme sous-traitant. Est-ce logique comme réponse ?» Le procureur général se demande «comment autant d'argent et de biens ont été acquis en trois ans seulement». Le holding Contel-Funkwerk, rappelle-t-il, a été créé pour une période de deux ans seulement et Sonatrach a signé avec lui sans savoir que sa validité avait expiré. «Une telle erreur peut-elle échapper à une aussi grande entreprise que Sonatrach», s'interroge le représentant du ministère public. Il cite les cinq contrats signés entre 2006 et 2008 par Al Smaïl, dont quatre avec Mustapha Hassani et un avec Mustapha Cheikh, d'un montant global de 11 milliards de dinars. «Comment évoquer l'urgence alors que le dernier contrat a été signé en 2008 et que l'instruction du ministre date de janvier 2005 ?» s'interroge-t-il. «C'est du blanchiment légalisé» Le procureur général continue : «De 2006 à 2008, nous remarquons des achats de villas en Algérie et d'appartements en France, des transferts de fonds par millions en devises, etc. Est-ce des rémunérations ou des commissions ? Des contrats de consulting au profit de Meghaoui El Hachemi et son fils, de Al Smaïl Djaafer, de Réda Meziane et même de sa défunte mère qui n'avait, la pauvre, aucun lien avec cette affaire. Comment peut-on croire qu'il s'agisse de brouillons de contrats alors que ces derniers comportent les numéros de compte des concernés et leur RIB ? Funkwerk refuse de signer avec Réda Meziane, qui s'énerve et demande le paiement d'un appartement à Paris. Un virement de 650 000 euros est effectué sur son compte et le logement est acquis au nom de sa défunte mère. Nous trouvons un seul document signé devant notaire en novembre 2008, au moment où un autre marché est obtenu par Contel-Funkwerk.» Le procureur général revient sur le holding Contel, constitué à 90% de Contel-Funkwerk et à 10% par Al Smaïl, et met en exergue les mouvements de fonds entre les entités et les actionnaires, notamment Al Smaïl Djaafer, dont les virements ont dépassé les 2 millions d'euros. «A quel titre la société Funkwerk accorde-t-elle autant d'argent si ce n'est pour les contrats qu'il a obtenus auprès de Sonatrach par le biais des enfants du PDG ? Comment peut-il dire que le montant de 650 000 euros est un crédit accordé par Funkwerk, alors qu'aucun document le prouve ? L'attestation trouvée chez le notaire comporte juste une mention marginale écrite au stylo, qui fait état d'un remboursement dans les 90 jours qui suivent. Est-ce logique ?» Le magistrat exhibe un listing des virements effectués par Funkwerk sur le compte d'Al Smaïl et demande : «Comment peut-on nous convaincre que les 30 000 euros perçus chaque mois constituent le revenu du consulting alors que le salaire d'un ministre, en Allemagne, est de 12 à 13 000 euros ? C'est de la corruption légalisée. C'est du blanchiment légalisé.» Le procureur général cite une à une les dispositions de la R15 qui, selon lui, ont été violées, précisant qu'au niveau de l'activité Aval, les mêmes contrats ont été signés mais dans le respect de la réglementation. «Comment le PDG a-t-il obtenu la carte de visite de Contel-Funkwerk pour l'envoyer au vice-président de l'Aval alors que la première présentation de Contel à Sonatrach a été faite avec TVI et non avec Funkwerk ? Y a-t-il des choses qui se passent en dehors de la compagnie ?» «Assez de corruption !» Le représentant du ministère public fixe Mohamed Meziane et lance : «Avez-vous dit au ministre que votre fils était actionnaire dans cette société et que vous aviez des intérêts dans ces contrats ? Tout était préparé dès le départ. Est-ce que Contel aurait réalisé l'étude gratuitement si elle n'était pas assurée de l'obtention des contrats ?» Sur les prix «exorbitants» des équipements, le procureur refuse de croire qu'il s'agit de matériel «extraordiaire», même s'il reconnaît sa «performance» : «Oui, ces caméras sont développées, mais pas plus que les autres. J'ai vu celles de Bosch qui ont une résistance à la chaleur de 65°C, alors que celles de Funkwerk sont à 55°C. S'il n'y avait pas le gré à gré, nous aurions évité cette situation de surenchère dans les prix.» Le magistrat hausse le ton : «Vous vous rendez compte, Al Smaïl Djaafer loue pour deux mois un chalet entre l'Italie et la France pour 100 000 euros, juste pour y rester quelques jours, et voir la neige, comme il nous l'a expliqué. Est-ce normal pour quelqu'un qui n'avait même pas de logement puisqu'il habitait avec sa mère ?» Le procureur général passe au dossier GK3 et précise qu'une consultation qui se termine avec deux sociétés doit être annulée. «Or, pour le GK3, il y a eu Spie Capeg et Saipem. Pourquoi avoir continué et négocié le prix avec le moins-disant», s'interroge-t-il. Encore une fois, il lance à Mohamed Meziane : «Par expérience, vous saviez qu'avec deux sociétés le risque qu'elles s'entendent pour augmenter les prix était important. C'est vous qui avez rédigé la R15, pourquoi l'avoir violée en négociant un rabais avec Saipem ? N'y a-t-il pas un lien avec le contrat de consulting de votre fils, qui n'a rien à voir avec le gaz et le pétrole ? Pourquoi Saipem lui a-t-elle donné 4 millions de dinars pour s'acheter un Q5 ? Juste par charité ? Je ne le pense pas !» Le procureur dément «toute pression» exercée sur les accusés durant l'enquête préliminaire, menée par le DRS : «Personne n'a été maintenu en garde à vue. Tous regagnaient leur domicile après leur audition par la police judiciaire. Ils avaient même leurs téléphones et, devant le juge, ils étaient tous assistés par leurs avocats. Comment peuvent-ils arguer le changement de la version des faits par des pressions qu'ils auraient subies ?» A propos des prix de Saipem jugés «excessifs», le représentant du ministère public rappelle les propos de M. Zerguine, ancien PDG, mais aussi de Benamar Zenasni, avant de parler de «hausse terrifiante». Il s'adresse cette fois-ci à Réda Meziane : «Parlez-nous de vous et non pas du fils de Zerguine. Dans ce procès, c'est Réda Meziane qui est poursuivi et qui doit se défendre.» Le procureur général passe au dossier de réhabiliation du bâtiment de Ghermoul qui «a bien débuté», dit-il, avec une consultation ouverte pour l'étude, avant de se terminer par un gré à gré au profit du bureau d'études CAD. Pour la réalisation, même scénario, précise-t-il, avant qu'«Imtech n'obtienne le marché de gré à gré pour 73 millions d'euros, le prix d'un nouveau siège. La négociation aboutit à un prix de 64 millions d'euros, avant d'être annulée lors de l'éclatement de cette affaire». Le procureur cite le coût de quelques constructions : le ministère de l'Energie 9,5 milliards de dinars, l'hôpital des urgences de Jordanie 40 millions d'euros, l'hôpital du Caire 45 millions d'euros... Il reconnaît que le code des marchés ne s'applique pas aux entreprises économiques, mais celles-ci doivent avoir une réglementation interne conforme à leurs principes, sinon cela conduit au favoritisme. Or, la R15 n'a pas été respectée, il y a eu violation de ses clauses. Il précise à ceux qui ont affirmé que les études ne sont pas quantifiables qu'«elles le sont en vertu d'un arrêté interministeriel qui a défini les prix». Il finit par interpeller «la conscience du tribunal» en disant : «Ne brimez pas les droits de la société qui poursuit les accusés. Je suis là en tant que représentant de Sonatrach et du peuple. Celui qui a commis un méfait doit payer. Assez de corruption !»