Le réalisateur algérien Abderrahim Laloui a présenté en avant-première nationale, lundi dernier à la salle El Mougar, à Alger, son premier long métrage, Mémoires de scènes. Rencontré juste après la projection du film, le réalisateur s'est livré à cœur ouvert aux lecteurs d'El Watan. Qu'est-ce qui a inspiré votre film Mémoires de scènes ? Je pense que ce premier long métrage Mémoires de scènes est un devoir de mémoire et de patriote à la fois. C'est un devoir envers la patrie et vers l'histoire. Ce film fait partie de la morale de la société algérienne d'une manière générale. Je suis un acteur de l'histoire, notamment de la décennie noire. Ce film est un projet qui a duré. On devait le tourner en 2007, mais malheureusement il y a eu un contretemps. Nous l'avons présenté dans le cadre de la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe en 2007». Il se trouve que la commission a accepté le scénario, mais le budget était trop cher. J'ai été obligé non seulement de temporiser, mais de modifier le scénario. Car à l'époque il s'agissait des décors de théâtre et la reconstitution. Entre 2010 et 2011, le film a été réécrit et déposé au niveau de la commission de lecture. Il a été bien évidemment accepté. Le film en question a nécessité onze semaines de tournage. Vous greffez à la grande Histoire, à savoir la décennie noire, une petite histoire, celle d'un couple moderne faisant preuve de résistance au quotidien... J'ai voulu parler de la décennie noire à travers notamment ce couple, lui journaliste et elle professeur d'arabe, incarnant la famille moderne. Je pense que l'ambition fait partie de tout être humain. Il y a aussi une passion par rapport au métier de journaliste. Le journaliste, c'est la même pensée que le réalisateur et le metteur en scène. C'est la même famille et la même pensée. Par contre, la manière de penser est différente. Le journalisme c'est le verbe et le cinéma c'est l'image. Au fond, c'est le même objectif. Ce qui est important aussi, c'est un problème de déontologie. Chaque organe peut être subjectif ou objectif. Moi, mon regard est un regard subjectif. C'est pour cela que je dis que je suis un actant de l'histoire. Nous avons vécu dans une époque qui place le courage au-dessus du courage physique Pourquoi avoir choisi Sétif comme lieu de tournage ? Sincèrement, c'est difficile de tourner dans les grandes villes. Disons que c'est surpeuplé. On n'est pas à l'aise. Par contre, dans les petites villes on l'est plus. La population est fluide et disciplinée. Sétif est une belle ville plate des Hauts-Plateaux. De plus, je connais très bien le lieu puisque j'y ai vécu. J'ai fait des repérages. J'ai également choisi Sétif à cause de son splendide petit théâtre et sa belle gare. Mémoires de scènes a reposé avant tout sur un travail d'archives ? J'ai respecté le choix de la documentation. J'ai choisi les moments correspondant à mon film. Je me suis servi des archives des journaux qui avaient annoncé, à l'époque, la mort des regrettés Tahar Djaout et de Abdelkader Alloula. La liste des assassinats à cette époque était extrêmement longue. Je ne pouvais pas raconter tout ce qui s'était passé durant la décennie noire, mais j'ai symbolisé tout cela. J'ai rendu hommage à travers les personnages de Tahar Djaout et Abdelkader Alloula à tous les journalistes et les hommes de culture qui ont été assassinés. En outre, à travers Tahar Djaout, j'ai rendu hommage à la presse algérienne. Je pense qu'il faut absolument écrire l'histoire de notre pays. Votre film s'adresse également à la génération actuelle et à celle de demain... Je pense qu'il faut éveiller les consciences, car quels que soient le cinéma, la littérature, le théâtre, on peut éveiller n'importe quelle conscience. Cela va donner aux gens à réfléchir un peu. Je tiens à préciser que mon film n'a pas d'idéologie. La seule idéologie qui existe, c'est la patrie. C'est un film apolitique. Je suis neutre dans le sens où j'aborde l'histoire et la patrie tout en respectant la religion. Votre premier long métrage se caractérise par un va-et-vient constant entre le 4e et le 7e art... Au début, il s'agissait uniquement de présenter la pièce théâtrale Tartuffe de Molière. Comme je l'avais dit plus haut, le projet avait nécessité un budget conséquent. C'était impossible de mener à bien ce projet. C'est à partir de là que j'ai eu l'idée de reprendre le décor du Cadi et de le transposer dans le cinéma. Sans prétention aucune, je pense que c'est la première fois qu'on marie le théâtre avec le cinéma. Le 4e et le 7e art se sont retrouvés. Il y a une mise en abîme. On a l'impression que c'est une pièce de théâtre, mais qui parfois est jouée presque comme si c'était un film. C'est très difficile de travailler ainsi en mêlant les deux arts à la fois. Le spectateur ne fait pas la différence entre le décor d'un film et le décor de la pièce. Il y a également le paradoxe des comédiens. Les comédiens qui jouent dans la pièce, on les retrouve différemment dans le cinéma car ils interprètent un personnage donné, comme Amel Wahbi. D'où la troupe dans la vie quotidienne, c'est un autre jeu actoral. Mais quand ces comédiens jouent la pièce, ils ne jouent pas réellement le théâtre. On le sent d'ailleurs. Mais il y a tout de même des séquences théâtrales là où c'est voulu. Justement, pourquoi ce choix du metteur en scène et la troupe théâtrale dans votre film ? Tout simplement parce que je pense que toute société se doit de consommer une culture donnée. La culture cultive l'esprit. Avec la culture on peut s'ouvrir au monde en avançant et en évoluant. Je pense que pour pouvoir évoluer, il faut attendre. C'est la base qui compte le plus. Je considère que le sous-développement n'est pas économique, mais mental. Ce n'est pas par nostalgie ou encore par chauvinisme, mais je considère qu'il faut ce qu'il faut. Il ne faut pas que l'on soit ingrat. L'Algérie a toujours été une grande nation moderne. Je ne peux qu'en être fier. Notre nation a tout donné. Depuis l'indépendance, l'Algérie a été bâtie sur de solides bases. Il y a les piliers, mais maintenant il reste à consolider le reste. C'est ce qui a été fait. Il y a eu une excellente formation des cadres. A titre d'exemple, dans mon film il y a un personnage incarnant une femme pilote. L'Algérie est et sera toujours une nation moderne. C'est une société qui a bien avancé. Les mentalités ont changé. Comment s'est effectué le casting des comédiens ? Disons que le casting a été un choix subjectif, vital et inévitable à la fois. J'ai voulu mêler l'ancienne, la deuxième et la troisième générations. C'est extraordinaire. Mis à part la présence de Chafia Boudra et de Farida Saboundji, il y a également Krikèche. Ces choix étaient inévitables. Je ne pouvais pas trouver des femmes de la trempe de Farida Saboundji ou de Chafia Boudra. Elles sont sincères et se donnent avec passion à leur métier. Concernant Krikèche, je pense que c'est un oublié. Il a donné du bonheur à plusieurs générations. La distribution s'est faite par rapport aux personnages. J'ai pris Aziz Boukerouni, car il correspond au personnage d'Arezki. Il me fallait aussi le visage du comédien Abdellah Aggoune (Aziz). Il fallait également que je fasse appel à Amel Wahby pour réunir le couple aziz-Yousra. Justement, quelques maladresses au niveau de la prononciation en langue arabe ont entaché le jeu scénique et cinématographique d'Amel Wahbi... Il ne s'agit pas d'un problème de dialecte, mais d'un problème de prononciation. Pour rappel, Amel Wahbi est originaire de Skikda. Elle a son propre accent. C'est cela la diversité. Cela ne me gêne pas. Même en France ou aux Etats-Unis vous trouvez des accents divers. Mieux encore, quand on revoit certains films algériens, on ne trouve pas cette beauté familiale. Amel Wahby incarne l'harmonie de la beauté algérienne. Le casting joue un rôle important dans la distribution d'un film. Ce n'est pas un caprice que de prendre de grands artistes. Pour rappel, au départ je devais prendre la comédienne syrienne Suzanne Nedjm Eddine. Elle avait lu le scénario et était consentante pour incarner ce premier rôle. Mais ce sont les événements qui se sont déroulés en Syrie qui l'ont poussée à regagner les Etats-Unis en 2011. A l'époque, en 2012, mon projet cinématographique commençait à prendre de l'ampleur. C'est comme cela que j'ai fait appel Amel Wahbi. Je pense que ce n'est pas l'accent qui fait la différence. L'essentiel, c'est que le dialogue soit bien compris. Je tiens à préciser en outre que la séquence montrant le professeur en train d'écrire sur le tableau et où une petite erreur est à recenser ne dérange nullement le film. Vous aspirez à ce que votre film soit vu à l'international, d'où le choix de cette famille moderne... Je dirai que le cinéma est l'image d'une société et d'un pays. Il ne faut pas montrer que le côté négatif. Chaque société dans le monde a ses propres qualités et ses propres défauts. Par contre, il faut parler de ce côté positif. C'est cela mon film, il y a ce côté positif. Chaque cinéaste et réalisateur à son propre regard. Il ramène son sujet à sa manière. Maintenant, il y a une responsabilité morale qui incombe à chaque cinéaste et à cahaque réalisateur. Pourquoi ce film doit être vu dans les festivals ? Pour justement montrer la société algérienne et dire quand même qu'il y a des gens modernes et qu'il y a un équilibre. Avez-vous rencontré des difficultés au moment du tournage de votre film ? Il y a eu des hauts et des bas comme à chaque tournage. Faire un film est très difficile. Construire quelque chose n'est pas aisé. C'est difficile de penser et de créer. Chaque expérience donne naissance à des difficultés. Cela fait partie de la vie professionnelle. J'ai rencontré des difficultés mineures sans importance. Est-ce que cela a été difficile pour vous de passer à la réalisation, sachant que vous avez été comédien par le passé ? Je dirais que c'est difficile de passer à la réalisation. J'ai flirté un peu avec la réalisation puisque j'ai fait pas mal de documentaires. En Amérique, un acteur a le droit à trois longs métrages de premier rôle pour réaliser un film. Je n'ai pas perdu mon temps, car j'étais acteur dans les années 70', j'ai eu la chance de travailler avec de bons directeurs photo. Je n'ai pas perdu mon temps. Aujourd'hui, l'image appartient à tout le monde, surtout avec l'évolution de la technologie. J'ai eu la chance d'évoluer aux côtés de directeurs photo et de réalisateurs de talent. J'avais cette ambition et ce regard vers l'avenir et me dire qu'un jour je réaliserai un film. Avec ce petit film que j'ai fait, c'est le public qui doit juger à présent. Des projets en perspective ? J'ai presque fini un scénario sur le roman du Fils du pauvre de Mouloud Feraoun. Il me reste un ou deux mois pour finaliser le scénario.