Certains secteurs porteurs qui ont aidé à la résorption du chômage ces dernières années, notamment dans le bâtiment, risquent de ne plus être en mesure de le faire dans une période où les allocations budgétaires de l'Etat aux projets d'investissement seront de plus en plus sélectives. Grâce ou à cause de la crise, on se surprend à redécouvrir les vertus de l'agriculture, du tourisme, ou encore de l'industrie. Trois secteurs sur lesquels on mise désormais pour porter l'économie post-pétrole quand le BTP et l'auto-emploi risquent d'être plombés par la crise. Selon les statistiques de l'ONS, le secteur du BTP a évolué plus vite que les autres en fournissant davantage de possibilités d'emploi aux chômeurs ces dernières années. Entre 2012 et 2015, le rythme de progression de la population occupée dans ce secteur a évolué de 6,7% quand le rythme global évoluait à 4,1%. A titre de comparaison, cette évolution a été de 2% dans le secteur de l'agriculture. Au fil des années, les secteurs de l'agriculture et de l'industrie ont été de moins en moins pourvoyeurs d'emplois et cédaient du terrain face la montée du commerce qui absorbe aujourd'hui plus de 60% de la population occupée. Les chiffres de l'ONS sur l'emploi donnent à ce titre une idée sur ce déclin. En 2001, une personne occupée sur 5 (21%) travaillait dans le secteur de l'agriculture (voir graphe). Trois quinquennats plus tard, cette part est à moins de 9%, alors que durant cette période la population occupée a augmenté de plus de 40% et que le taux de chômage en 2001 culminait à 27% (11% aujourd'hui). Parallèlement, la part de la population occupée dans le secteur du bâtiment a augmenté des deux tiers quand la part de l'industrie a stagné. Le boom du secteur du bâtiment s'est vérifié dans les projets d'investissement financés dans le cadre l'ANDI, dont près de 20% sont allée au BTP entre 2002 et 2012. Les emplois créés par ce secteur ont représenté, selon les statistiques de l'agence, un tiers de l'ensemble des emplois créés. Quand le bâtiment ne va plus En tout état de cause, la situation économique actuelle pourrait bien redistribuer les cartes. Le gel, le report ou l'abandon de certains projets en matière d'infrastructures commencent à peser sur les entreprises du bâtiment. Selon Djamel Mezine, secrétaire général de l'Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA) «70% des travailleurs du secteur ont soit déjà perdu leur emploi ou travaillent au ralenti». Sur 1700 entreprises que compte l'association, entre 1200 à 1300 seraient à l'arrêt. «Les grands projets, il y en a plus. Même ceux pour lesquels il y a eu des bons de commande l'Etat les a retirés», dit-il. «Dans mon entreprise, on employait 50 à 60 personnes, mais depuis 4 à 5 mois, nous sommes à 15. Nous n'avons gardé que le bureau d'étude». De son côté, Habib Yousfi, président de la CGEA, estime tout à fait logique qu'à partir du moment où des projets vont être «retardés», cela se répercutera sur les entreprises qui sont déjà en difficulté en raison de la dépréciation du dinar. «Il faut faire des sacrifices», avoue-t-il, tout en assurant «comprendre ce besoin de rationalisation du budget de l'Etat.» Il n'y aurait pourtant pas de fatalité. Mohamed Skander, chef d'entreprise et fondateur de Jil FCE, estime que même si le budget de l'Etat se rétrécit, il est possible de poursuivre les investissements dans les gros projets d'infrastructures, à condition que l'on «réfléchisse à d'autres modes de financement, de type partenariat public-privé. Il faut assumer ce changement de modèle.» Maintenir le secteur du bâtiment en vie tout en développant d'autres secteurs porteurs pour l'emploi constitue l'une des solutions au problème. Le secteur des nouvelles technologies est, selon Mohamed Skander, l'un des mieux indiqués pour cet objectif. «La révolution numérique a créé beaucoup d'emplois ailleurs dans le monde, et en Algérie il y a des milliers de jeunes capables de s'insérer dans cette dynamique à condition de les accompagner.» Les nouvelles technologies, mais pas seulement. «Nous devons concevoir une relance basée sur des atouts internes : l'agriculture, l'industrie, le tourisme», explique Habib Yousfi. Autant de gisements d'emplois sous-exploités. Les statistiques de l'ANDI couvrant la période 2002-2012 démontrent une orientation des investissements vers des secteurs peu créateurs d'emplois. Près de 60% des projets réalisés l'ont été dans le secteur des transports qui n'a pourtant créé que 15% des emplois globaux. En revanche, l'industrie qui a été à l'origine de 35% des créations d'emploi n'a bénéficié que de 11% de projets, alors que l'agriculture n'a bénéficié que de 2% des projets et seulement 1% pour le tourisme. La tendance semble pourtant s'inverser quelque peu depuis 2014 avec des déclarations d'investissements au niveau de l'ANDI dans laquelle les secteurs du tourisme, des services et surtout de l'industrie gagnent un peu de terrain (graphe 2 et 3). Le salut viendra du privé Il semble y avoir un consensus sur le fait que c'est au privé de prendre le relais. L'Etat a mis les bases à travers la mise en place d'un cadre allant dans le sens du développement de l'entrepreneuriat et l'effort consentis en matière d'infrastructures. «Il faut maintenant que le privé prenne la suite», estime Mohamed Skander. Tout cela avec un accompagnement de l'Etat en matière de «facilitations administratives, de charges sociales et de financement», par exemple. Pour Abdelmalek Rahmani, coordinateur du CNES, «l'entrepreneuriat est la seule solution pour absorber toutes les énergies nouvelles qui viendront s'ajouter au marché du travail et cela doit se faire notamment à travers la multiplication d'incubateurs afin de permettre aux jeunes diplômés d'apprendre à créer leurs propres entreprises». Il faut, dit-il, «sortir du schéma traditionnel» qui veut qu'un diplômé en sortant de l'université aille travailler dans son domaine. Avec un taux de création d'entreprises inférieur à la moyenne mondiale (moins de 20 PME par 1000 habitants contre 50 à 80 au niveau mondial), le potentiel à développer est donc considérable. Mohamed Skander se dit persuadé que la réponse au chômage viendra «du secteur privé». Le projet de création par le FCE d'un fonds de 1 milliard de dinars destiné à accompagner les jeunes investisseurs s'inscrit d'ailleurs dans cette optique. Le projet est actuellement en phase d'étude juridique. Une fois terminé, il s'agira de mettre en place les experts en gestion de portefeuille afin de déterminer les entreprises et les secteurs éligibles. Il n'est pas exclu que des investisseurs étrangers apportent leur contribution financière. Cet outil permettra peut-être de convaincre les plus réticents à l'entrepreneuriat parmi les porteurs d'idées et de projets. Selon l'ONS, une minorité de chômeurs parmi les diplômés de l'enseignement supérieurs (27%) et de la formation professionnelle (35%) chercherait à s'installer à son compte.