Le Libanais Rani Bitar se pose beaucoup de questions sur le cinéma algérien. Il a chargé un comédien algérien, natif d'Oran et qui n'aime pas la grisaille de Paris où il vit, pour rencontrer des gens du septième art dans son documentaire Un film algérien, présenté samedi soir à la Cinémathèque algérienne à l'occasion des 6es Journées cinématographiques d'Alger (JCA). Face à une caméra fixe et dans un univers noir et blanc, les intervenants répondent le plus correctement possible à des interrogations provocantes du genre : «Etes-vous cinéaste algérien ou français ?» ; «C'est quoi un film algérien ? ou encore : «Qu'est-ce qu'on appelle le cinéma algérien ?» Le jeune comédien, qui se revendique de «la génération de l'image manquante» et qui veut devenir cinéaste, aspire à créer sa propre image mais en avançant dans les territoires du doute. «M'est-il encore possible, moi jeune cinéaste, de faire un jour un film algérien ? Et d'ailleurs, qu'est-ce qu'un film algérien ? Le cinéma algérien a-t-il jamais existé ?» se demande-t-il. Pour lui, le cinéma algérien est passé de l'industrie quasi clef en main au désert cinématographique. Il fait parler l'universitaire française Meriem Chetouane, qui soutient que le cinéma algérien était «guerrier» à sa naissance pour «honorer les heures de gloire». «Il est devenu un cinéma d'auteur avec un sens de la dramaturgie et de la narration particulier. Il se rapproche beaucoup du cinéma néoréaliste italien»,note-t-elle. Selon elle, le cinéma algérien est né en 1962, à l'indépendance du pays. Une théorie fausse puisque les caméras et les micros ont accompagné le mouvement libérateur national dès sa naissance au début des années 1950. «Le cinéma algérien est passé du ‘‘Nous'' au ‘‘Je'', du réalisme critique, exprimé par des films comme Omar Gatlato (de Merzak Allouache), au réalisme poétique comme Tahya ya Didou (de Mohamed Zinet) au naturalisme documentaire comme Nahla (de Farouk Beloufa). Après ces périodes est apparu un cinéma social», dit-elle. Karim Moussaoui évoque, pour sa part, les difficultés d'avoir des financements pour la production des films en Algérie et le manque de distributeurs de films. «Je n'ai jamais réussi à comprendre c'est quoi un film algérien. Peut-être que c'est le film qui traite de sujets algériens. Moi, je passe par Paris. C'est là que l'on trouve les producteurs, de l'argent, un réseau, un tas de choses. C'est un peu normal qu'on passe par Paris», confie-t-il. Celui qui veut réaliser un film algérien continue le propos de Karim Moussaoui en répondant à sa question : «Les films algériens, on les voit où ? A Paris. Paris pour l'argent. Paris pour les réseaux. Paris pour le cinéma». D'où l'autre question : quel est l'intérêt d'un documentaire lorsque le réalisateur a un tas de questions confuses et un tas de réponses tranchées livrées en vrac et sans retenue ? Le jeune Parisien qui veut devenir cinéaste parle d'Oran en citant Camus, avant d'ajouter : «Là-bas, le ciel est toujours bleu». Un nostalgique ? Mais de quoi au juste ? Lyès Salem soutient, de son côté, que les films «100% algériens» sont ceux qui se font «à la gloire des martyrs». «Des films financés par le ministère des Moudjahidine et la Présidence» , appuie-t-il. Lyès Salem confie qu'il ne sait pas ce que c'est qu'être algérien. Délire identitaire ? Possible. «Peu importe que le film soit tourné par des équipes étrangères et financé par des étrangers, l'essentiel est que les artistes expriment leur vérité ou ce qu'ils ont à dire sur cet endroit», proclame-t-il. Il regrette l'inexistence en Algérie de studios de mixage et de laboratoires d'images. Et il décide : «On aura un cinéma 100% algérien que lorsqu'on aura une médecine ou une éducation 100% algériennes, quand ce pays fonctionnera normalement». Abdelkrim Bahloul, lui, dit qu'il est français et algérien à la fois. «Il faut que l'Algérie soit un pays de liberté, que chacun ait son passeport, qu'il puisse aller où il veut et revenir en Algérie quand il veut. Faire du cinéma, c'est être un artiste, pas être au service du gouvernement», conseille-t-il. D'après lui, l'Etat ne veut pas d'un cinéma algérien. «Comme si les Algériens n'avaient pas besoin de leurs propres images, de leurs propres films. Il n'y a pas de volonté politique pour développer l'industrie du cinéma», relève-t-il. Sur la même lancée, Merzak Allouache pense qu'actuellement on fait du «cinéma officiel» en Algérie. «Mes problèmes ont commencé dès que j'ai décidé de tourner mes films en Algérie. Lorsque je le faisais en France, il n'y avait aucun problème, j'étais même considéré comme l'ambassadeur du cinéma algérien. On m'a dit qu'il ne faut pas faire des films sur la société algérienne», dit-il expliquant avoir fait face à des blocages bureaucratiques et des complications financières. Merzak Allouache, qui est établi en France depuis les années 1980, croit qu'il n'existe pas de public pour le cinéma en Algérie. «Nous faisons nos films pour personne. En Algérie, il n'y a plus de films, plus de salles», tranche-t-il. Sur ce même ton de pleurnicherie, de complainte et de critique approximative, le documentaire se poursuit et coule dans un magma d'ennui et de préjugés. Pour sa part, Farouk Beloufa, réalisateur d'un unique long métrage, Nahla, proclame : «On peut éventuellement faire des films en Algérie, mais on ne fait pas de cinéma national. Nous avons échoué. On disait que le cinéma algérien était spécifique. C'était de la bêtise». Et le commentateur de reprendre pour montrer ses muscles : «Est-ce que le rêve d'un cinéma national en Algérie est mort ?». A quoi donc bon continuer de voir ce documentaire puisque tout est dit, étalé et mis en paquet ? «Finalement, pour vouloir faire un film en Algérie, il faut être accro à l'adrénaline, aimer la souffrance, l'angoisse et le suspense. Le cinéma algérien a bougé au même rythme que le pays en une sorte de danse boiteuse, se noie dans le silence et renaît dans l'indifférence», conclut le jeune cinéaste.