Jadis charmante et hospitalière, la ville de Médéa est désormais méconnaissable ! Elle est si triste que même ses saints marabouts d'autrefois — dont les plus populaires Sidi Sahraoui, Sidi El Berkani et Cheikh El Ahmar — semblent lui tourner le dos. Elle s'est urbanisée d'une façon anarchique dans tous les sens durant la décennie noire, piétinant ainsi les valeurs fondatrices de la ville ancestrale qui a été réédifiée par Bologhine Ibn Ziri au 10e siècle. Les vieux Médéens, de retour de temps à autre dans la ville qui les a vu naître, aiment, par nostalgie, visiter leur ancienne maison d'enfance, mais ils repartent à chaque fois avec un arrière-goût amer et une gorge nouée d'avoir constaté à quel niveau de dégradation a été reléguée aujourd'hui l'ancienne cité millénaire d'antan. Leur pèlerinage sur ces lieux est désormais impossible, car les anciennes demeures d'enfance ont été rachetées par de riches ruraux et reconstruites grotesquement en forme de cubes à étages. Car ces autochtones gardent à ce jour des souvenirs impérissables des maisons mauresques qui comprenaient, en général, une dizaine de chambres destinées à autant de familles qui se partageaient un seul robinet d'eau potable, un «ouest edar» (une courette) et un seul petit lieu d'aisance. Ces nostalgiques poussent un grand soupir en se remémorant profondément cette belle époque lointaine du vieux bon temps de leur tendre enfance vécue dans la pauvreté, mais surtout dans la dignité empreinte d'un esprit de fraternité, de partage et de solidarité qui régnait entre voisins. Le respect était de rigueur pour chaque membre de la famille, en particulier pour les plus âgés. Les enfants du voisinage, qui étaient obéissants à l'entourage, s'entendaient à merveille et s'adonnaient dans le calme absolu à des jeux palpitants. La maîtresse de maison cuisinait au seuil de sa porte ses repas sur un «kanoun» garni de charbon de bois et en signe de solidarité partageait en toute modestie avec ses voisins le maigre repas, où la viande durant ces temps difficiles n'était consommée que par les riches. L'entraide et le partage n'étaient pas de vains mots. Les commerçants, à cette époque, se souvient-on, aux heures des prières, mettaient un simple manche à balai en travers de la porte du magasin en signe de fermeture et allaient tranquillement accomplir leur devoir religieux à la mosquée. Nos interlocuteurs, qui ont connu Médéa sous de meilleurs atours — une cité historique vraiment sympathique, accueillante et propre —, sont aujourd'hui surpris par cette déferlante ruralisation à outrance de la capitale du Titteri, où tout est chambardé sans cesse par un exode rural massif. Le directeur de l'urbanisme, de l'architecture et de la construction de la wilaya, qui a été l'invité récemment de l'émission «Forum du Titteri» de la radio locale, a reconnu à demi-mot le laisser-faire de cette absurdité d'urbanisme, tout en essayant d'esquiver la question de la responsabilité de ce phénomène en rejetant la balle aux collectivités locales qui n'interviennent pas, dit-on, au moment opportun pour stopper l'aménagement anarchique urbain. La cabale des constructions illicites de taudis continue de nos jours de se hasarder dans les quartiers périphériques de la ville en utilisant toutes les astuces pour tromper la vigilance de l'administration dans l'espoir de décrocher un jour un logement social avec l'usure du temps. Enfin, les pouvoirs publics doivent intervenir avec plus de rigueur pour mieux maîtriser ce fléau de l'urbanisation anarchique qui continue d'enquiquiner toute la société médéenne. C'est un véritable problème empoisonnant aujourd'hui la situation socio-environnementale dans laquelle se débattent au quotidien tous les habitants de l'agglomération de Médéa sur tous les plans : concentration humaine et tout ce qui découle de celle-ci ; l'insalubrité, la surcharge des transports, les embouteillages, la pollution atmosphérique et sonore, etc. C'est l'asphyxie !