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Ouargla : Pour se faire entendre, il faut se faire mal
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Publié dans El Watan le 12 - 02 - 2016

Cette semaine, un groupe de chômeurs se sont cousu les lèvres pour réclamer du travail. Trois ans après la grande marche de Ouargla, malgré des mesures pour l'emploi, les jeunes se sentent toujours marginalisés.
En sit-in devant le siège de la wilaya de Ouargla depuis trois semaines, les chômeurs qui ont protesté mardi en se cousant les lèvres ont décidé de lever leur camp de fortune après avoir rencontré le chef de la sûreté de la wilaya qui s'est engagé à leur assurer des postes d'emploi d'ici le 20 février prochain.
Rencontrés à la sortie de l'hôpital Mohamed Boudiaf où ils venaient de se faire enlever les fils qui tenaient leurs lèvres depuis 8 heures, Salah, Mohamed et Lamine affichaient leur optimisme. Comment expliquent-ils ce geste désespéré ? «Le chef d'agence de l'ANEM de Ouargla a osé me dire : ‘‘Va te suicider, je t'apporterai moi-même l'essence pour te brûler.'' C'est là que j'ai proposé à mes amis d'entamer une grève de la faim.
Au bout de deux jours, nous avons décidé d'aller au-delà et de coudre nos bouches pour ne plus avoir à parler», explique Salah Nemer. Contacté, le chef de la sûreté de la wilaya de Ouargla n'a pas souhaité s'exprimer à ce sujet, mais selon nos informations des instructions du ministère de l'Intérieur ont été données mardi soir pour qu'une réunion de la commission de sécurité de la wilaya se tienne au plus vite pour régler la situation. Après s'être entretenus avec les membres de la commission, les contestataires ont décidé de partir et balayer devant le portail de la wilaya avant de passer la nuit chez eux.
Mendier
Ce ne sont pas les services de l'emploi décriés depuis une quinzaine d'années par les chômeurs qui répondent aux demandeurs d'emploi, mais bien encore une fois les services de sécurité. Le représentant des chômeurs a exprimé son intention de renouveler son action de revendication si les engagements tenus par son interlocuteur, qu'il a refusé de désigner, «ne sont pas tenues dans 10 jours».
Salah Nemer, qui refuse «de dormir sur un pipeline et de mendier un misérable salaire chez un privé ou un propriétaire terrien», estime que les chômeurs de Ouargla ont le droit de revendiquer des postes de travail dans le secteur pétrolier et que les autorités «n'ont aucun conseil à leur donner tant que le clientélisme et les passe-droit sont la règle à l'Anem, dont les responsables sont au contraire gratifiés et promus pour avoir bien profité du système maffieux en place». Toufik Moqadem est du même avis : «Je refuse de travailler sans salaire fixe, sans assurance. Les Maliens sont des ressortissants étrangers qui fuient la guerre et la misère dans leur pays. Ils sont poussés à travailler dans des conditions d'esclavage. Nous sommes dans notre pays, ce n'est pas comparable.
Moi, je ne me compare pas au Subsaharien, je me compare à l'Algérien qui travaille à Hassi Messaoud selon le régime du 4 semaines de travail-4 semaines de repos et qui touche un salaire de 140 000 DA. C'est mon droit le plus absolu.» Depuis 3 ans, les arguments sont les mêmes. Ce sont en effet, pour la plupart, des jeunes diplômés des centres de formation de cette wilaya pétrolière qui se sont exprimés après 8 heures de silence : «Nous sommes les sans-voix que tout le monde oublie, une bouche cousue est encore plus éloquente qu'une bouche qui parle à des responsables aphones».
De sit-in en mouvements de protestation devant l'ANEM qui n'étonnent plus personne tant la banalisation de la protestation des chômeurs perdure, les seuls documents officiels reçus par ces derniers sont des convocations à comparaître devant le juge d'instruction après avoir séquestré des camions citernes d'hydrocarbures en 2012. Quatre mois plus tard, le verdict est tombé : 6 mois de prison avec sursis. «Vous restez chez vous et au moindre écart c'est la prison», aurait dit le juge.
Embauches
Lorsqu'en 2013 la manifestation de la CNDDC avait réuni 5000 personnes sur la place Tahrir, les jeunes de Ouargla réclamaient du travail. Depuis, des postes d'emploi il y en a eu. Les leaders du mouvement des chômeurs ont obtenu du travail, et fin 2013 le wali assurait que 8000 personnes avaient été embauchées par l'ANEM. «La situation s'est nettement améliorée», témoigne Saâd Agoudjil, le wali de Ouargla installé en juillet dernier après le départ sur Tébessa de Ali Bouguerra.
Le responsable estime que le dossier nécessite «un assainissement qui prendra plusieurs années et qui vise la mise en place d'un système transparent d'affichage électronique des offres d'emploi, du fichier des demandeurs d'emploi, des postes pourvus, des postes en instance de pourvoi en dehors de la wilaya, et surtout d'une blacklist des chômeurs ayant refusé de regagner des postes proposés par l'ANEM». Le système de recrutement est plus transparent, même si les chômeurs reprochent au bureau de main-d'œuvre de ne pas afficher toutes les offres transmises par les sociétés.
Promesses...
Hichem Zekhroufi, 32 ans, titulaire d'une licence en production pétrolière, a fini par obtenir un travail dans une société allemande. Son frère Missoum, qui avait tenté de se suicider à partir du toit de la wilaya en 2013, après avoir été licencié et observé une grève, a lui aussi retrouvé un emploi en tant qu'agent de sécurité. L'une des promesses de 2013 du Premier ministre Abdelmalek Sellal était d'améliorer la formation pour la rendre adéquate aux emplois disponibles dans la région. Le centre de formation des métiers pétroliers de Sonatrach a été créé pour donner de meilleures compétences aux chômeurs, mais ses diplômes ont une validité limite de six mois, ce qui atténue son efficacité.
La formation professionnelle a été redynamisée : 15 763 stagiaires sont inscrits pour la session qui débute le 28 février prochain. Les infrastructures de la wilaya sont également en train d'être développées. Un chantier de 2200 logements AADL doit débuter au mois de mars. La station de déminéralisation devrait être inaugurée d'ici quelques semaines, après deux ans de reports successifs et permettre aux habitants de boire de l'eau moins salée.
Les autorités locales se félicitent d'avoir placé tous les chômeurs qui arpentaient les rues en 2013. Sauf que le système n'ayant pas prévu une vraie transparence pour le moment, la loi de la nature a voulu que les rangs des contestataires grossissent quand même et qu'après les immolations et les tentatives de suicide, sont apparus ceux qui se mutilent la bouche. Le malaise est toujours présent. D'abord, parce que tout le monde n'a pas trouvé de travail. «Les militants parmis les chômeurs ont suscité beaucoup d'espoir pendant les manifestations. Ils ont mélangé politique et objectif principal, c'est-à-dire trouver du travail aux gens. Ceux qui n'ont toujours pas d'emploi sont désespérés», raconte Hicham.
Surtout, la ville se sent marginalisée : «quand on se déplace dans d'autres wilayas, on voit bien que les choses sont différentes, explique Hicham qui a dû prendre un rendez-vous médical à Alger cette semaine. On n'a pas de médecins, on n'a pas d'endroit où aller en sortant du travail, nos ingénieurs n'ont pas de travail, c'est l'environnement général qui est déprimant». Les infrastructures manquent encore et les priorités semblent être décidées par les autorités qui connaissent mal les spécificités de Ouargla.
Alors que la région est saharienne, la daïra de N'gouça n'a toujours pas de piscine, malgré un chantier lancé en 2006. Les écoles de la wilaya sont en queue de classement parce que l'organisation de l'année scolaire n'est pas adaptée au climat : résultat, les cours sautent. Les besoins exprimés par la population sont importants, or la baisse des revenus de l'Etat ne va pas aider à améliorer les choses. Le CHU de Ouargla fait partie des projets gelés pour cause d'austérité.
Mobilisation
Parallèlement, le mouvement de protestation des chômeurs a enclenché un processus de prise de parole. «Nous n'avons plus peur de sortir dans la rue et demander des comptes aux autorités», affirmait Mabrouk Daoui, chômeur, à El Watan Week-end en 2014. Après s'être mobilisée contre le gaz de schiste début 2015, la CNDDC avait organisé un rassemblement le 2 janvier pour protester contre la Loi de finances 2016.
Les agents de sécurité travaillant pour Sonatrach n'ont pas hésité non plus à manifester dans les champs pétroliers de Roud Nasr El Hamra et Tiafti (Illizi) au mois d'août pour réclamer l'égalité de traitement avec les autres employés de l'entreprise quant aux congés et les droits syndicaux. Salah Nemer explique : «Quand ils nous reçoivent, le ministre, le wali, le chef de cabinet nous appellent tous ‘‘ Ya wledi'' . Je ne veux pas être leur enfant, je veux juste être un citoyen normal avec un travail fixe, un foyer, un avenir.»


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