Les récits de voyage sur Constantine sont abondants, riches et étalés sur plusieurs périodes historiques, depuis la présence romaine en Afrique du Nord. Beaucoup parmi ces textes sont devenus célèbres de nos jours, repris çà et là, dans des ouvrages de vulgarisation consacrés à la ville millénaire ou dans les échanges sociaux à travers les différents réseaux. Mais sous la plume de Nedjma Benachour-Tebbouche, ces récits sont soumis à l'analyse rigoureuse de l'académicienne qu'elle est. Dans sa thèse de doctorat d'abord et ensuite dans son premier ouvrage Constantine et ses romanciers, l'auteure met en exergue le récit de voyage comme genre littéraire ayant contribué fortement à fournir les témoignages historiques qui dépeignent cette cité deux fois millénaires. Dans ce nouvel ouvrage intitulé Constantine et ses écrivains-voyageurs*, elle en exhume des perles pour asseoir une thèse qui fait d'un nombre d'illustres voyageurs (et autres moins connus) des témoins privilégiés ayant légué à la postériorité des outils précieux et une matière inestimable pour l'étude. L'auteur du récit de voyage peut être romancier, simple géographe ou religieux, d'où la pluralité des récits et la diversité narrative, mais tous les voyages n'ont pas la même intention. Cette tendance est accentuée au XIXe siècle marqué par l'expansionnisme colonialiste. Le roman d'aventure, rendu célèbre par Jules Verne, inscrit son projet idéologique dans le sillage de cet expansionnisme. Le récit de voyage, dans lequel cohabitent l'imaginaire et le réel, est une porte ouverte sur le monde inconnu, nous dit l'auteure. Dans le texte littéraire Les Mille et une nuits, les contes de Sindbad le marin relatent, en effet, les sept voyages du personnage légendaire. Voyage et littérature entretiennent désormais une relation privilégiée, un lieu «congénital, une relation homologique», selon J.-C. Berchet. Le voyage offre au roman la magie spatiale. Il est «le génie de Dieu», selon Michel Butor. Benachour-Tebbouche construit ainsi sa thèse en étudiant l'évolution de ce genre et aussi ses diverses formes, en soutenant ses idées avec force exemples. Pour Constantine, en tout cas, le récit est prétexte à des romans comme pour Flaubert et son Salammbô. Depuis les Romains, en passant par les dynasties arabes et les Turcs ottomans et enfin les Français, Constantine a fait l'objet de textes descriptifs, souvent porteurs d'une grande charge esthétique, exaltant la beauté exceptionnelle du site et l'originalité de la cité. Des textes qui forment aujourd'hui un corpus dense. Salluste, Ibn Battouta, Léon l'Africain, Thomas Shaw, Guy de Maupassant, Théophile Gautier, Alexandre Dumas (père), Gustave Flaubert et Nedim Gürsell font partie d'une longue liste de voyageurs auteurs de textes sur Constantine. Des textes qui offrent une source documentaire pour la recherche en histoire comme en littérature. Pour Nedjma Benachour-Tebbouche, il mène aussi vers un autre voyage, en ce qui concerne certains auteurs, à l'image du peintre Eugène Fromentin, «celui dont la découverte de soi face à l'autre n'emprunte pas les sentiers battus de l'exotisme». Dans cet essai sans fioriture, l'auteure démontre comment ces écrivains posent leurs regards sur la population de la ville et s'intéressent aux détails qui forment la splendeur du site. Elle réussit à démontrer que le voyage constantinois est à la source d'une riche production de récits et d'un fonds documentaire inestimable pour qui veut se servir dans des recherches aussi bien en littérature qu'en sciences sociales.Nouri Nesrouche * Nedjma Benachour-Tebbouche, Constantine et ses écrivains-voyageurs». Ed. Chihab, Alger, 2015.