Dans le tumulte des fluctuations des cours du pétrole, beaucoup d'experts rappellent que l'Algérie est aussi et surtout un pays gazier. Selon le bilan énergétique de 2014, plus de 50% de l'énergie primaire produite sont du gaz naturel qui est aussi à l'instar du pétrole brut à l'origine de près de 40% de nos exportations d'énergie primaire (en volume et 30% en recettes). Il représente près des trois quarts de l'énergie consommée par l'industrie, le BTP et le transport, et plus d'un tiers de la consommation nationale d'énergie. Le gaz est non seulement important pour son usage, mais aussi parce qu'on lui prête une durée de vie plus longue que le pétrole (2037 contre 2025) et des réserves plus importantes. Le pays disposerait d'un potentiel de 16 000 milliards de m3 de gaz conventionnel et de 20 000 milliards de m3 de gaz non conventionnel. Mais toutes les réserves ne sont pas récupérables. L'Algérie possède les dixièmes réserves mondiales de gaz et les troisièmes en gaz de schiste, selon l'Agence américaine de l'Energie. Entre 2015 et 2019, on estime que 70% de la production d'hydrocarbures générés par les nouveaux projets seront du gaz naturel. Sa part dans l'augmentation de la production à l'horizon 2019 serait de 60%, selon des statistiques du ministère de l'Energie. Mais le rôle du gaz est aujourd'hui challengé aussi bien par la remise en cause par l'Europe des contrats à long terme, pilier de la politique de commercialisation de l'Algérie, que par la concurrence sur le marché international, ou encore par la baisse des prix. Trend baissier Indexé sur les prix du pétrole, le prix du gaz subit donc aussi les évolutions à la baisse des cours. L'explosion du gaz de schiste aux Etats-Unis depuis 2008 a creusé l'écart avec l'Europe où le prix du gaz (provenant à plus de 40% de la Russie et indexé sur le pétrole) est plus de deux fois plus cher. Ainsi, en 2014 le prix du gaz sur le terminal américain de Louisiane Henry Hub (4,35 dollars par million de BTU) représentait jusqu'à 50% du prix du gaz à l'importation en Allemagne, représentatif des contrats à long terme (9,11 dollars). En 2007, l'écart n'était que de 13%. Par ailleurs, à Londres le prix de référence NBP représentatif du marché spot, l'écart était supérieur de 47% aux prix sur le marché américain en 2014, alors qu'il lui était encore inférieur en 2007. Beaucoup d'experts estiment que le schiste américain impactera le marché. En janvier, on annonçait déjà les premières exportations du gaz liquéfié américain vers l'Europe. Pour l'Algérie, «le prix du gaz naturel importé en Europe se négocie actuellement à 5,35 dollars le Mbtu (Million British Thermal Unit) et pour l´année 2015 il a été en moyenne de 6,4 dollars le Mbtu, le niveau le plus bas depuis l´année 2010», note Noureddine Leghliel, expert boursier dans le domaine de l'énergie. S'agissant du GNL, le prix du GNL algérien vendu sur les marchés asiatiques en 2015 a coté en moyenne 7,6 dollars le Mbtu. En comparaison, en 2015 «le prix du gaz naturel algérien livré via gazoducs vers l´Italie et l'Espagne était le plus cher d'Europe (à l'exception du prix du gaz naturel russe livré à la Lituanie), alors que le prix du gaz naturel russe livré via les pipelines vers l'Allemagne reste le moins cher d´Europe, suivi de celui des Norvégiens vers la Belgique», observe Noureddine Leghliel, se fondant sur les statistiques de la Commission européenne de l'Energie. Pression L'Algérie est pressée par ses partenaires et clients pour renégocier les contrats à long terme et aller davantage vers des marchés spot. «Je ne comprends pas le double jeu des clients européens de l'Algérie qui, d'une part, veulent développer leur marché, à l'image du marché américain, mais en même temps veulent abandonner l'idée des contrats à long terme et acheter sur la base du prix du spot», s'interroge l'expert. La dépendance de l'Union européenne aux importations pour ses consommations de gaz a augmenté de 43,3% à 65% entre 1995 et 2013, mais la part de l'Algérie dans ces approvisionnements a baissé. En 2012, la part de l'Algérie dans les importations européennes de gaz était autour de 10%. En 2014, elle est tombée à moins de 9%, selon la revue statistique annuelle publiée par BP. Les exportations algériennes via gazoduc auraient même reculé de 40% durant cette période, alors que les importations globales européennes de gaz naturel ont diminué d'un quart. Mais la tendance ne concerne pas que l'Algérie. Le commerce international du gaz par gazoduc a, dans son ensemble, reculé de 3,5% en 2014. Le GNL algérien s'en sort beaucoup mieux, puisque la part des exportations algériennes vers l'Europe est passée de 20% à 28% entre 2012 et 2014, bien que les importations européennes aient baissé en la matière et que le Qatar consolide toujours sa position de premier fournisseur avec plus de 45% de parts de marché. Un segment porteur pour l'Algérie, mais de plus en plus concurrentiel. Le nombre d'exportateurs de GNL a été multiplié par deux fois et demi depuis les années 1990. Si l'Europe a le choix des fournisseurs, pour l'Algérie, en revanche, le marché européen est prépondérant puisqu'il accueille plus de 80% de son gaz (gaz naturel et GNL). L'Algérie a-t-elle intérêt à jouer la flexibilité en allant vers des prix spot afin de garder des parts de marché ? «Le marché spot peut être un avantage, comme il peut être un inconvénient, tout dépend des structures du marché à terme (court et moyen termes)», explique Noureddine Leghliel. Si les structures sont «en contango (situation du marché dans laquelle le prix de la commodité à terme est supérieur au prix spot au moment où le contrat arrive à maturité), l'Algérie vendrait ses contrats futurs à perte, mais si les structures du marché sont en backwardation (situation dans laquelle le prix de la commodité à terme est inférieur au prix spot au moment où le contrat arrive à maturité), il en tirerait bénéfice.» Pour l'heure, l'Algérie, fournisseur régulier et constant de l'Europe qui n'a jamais failli à ses engagements, même en période de crise, maintient le cap. Récemment encore, le ministre de l'Energie réaffirmait l'attachement de l'Algérie au contrat de long terme et à l'indexation du pétrole, nécessaire au développement de l'industrie gazière.