Dans cet entretien, l'expert analyse la situation de l'offre algérienne en gaz face à la concurrence internationale et les évolutions sur les marchés du GNL. Liberté : Pensez-vous que nos recettes en gaz sont menacées dès 2016 avec le bradage du gaz qatari sur le marché asiatique, la problématique de rentabilité du GNL algérien et les probables difficultés de renouvellement de nos contrats gaziers à court et moyen terme ? Abdelwahid Henni : Tout d'abord, permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel se trouve actuellement le marché pétrolier où le prix du Brent pour livraison en février 2016 est inférieur à 30 dollars. En effet, les données fondamentales justifient toujours la tendance baissière dans le sens où le marché est accablé par les niveaux élevés de l'offre, en particulier, des Etats-Unis, des pays membres de l'Opep et de la Russie, sachant que cette offre excessive est couplée non seulement au ralentissement de la deuxième économie mondiale, en l'occurrence la Chine mais aussi à la force du dollar, ce qui complique davantage la donne. Pour revenir à votre question, il est vrai que le plus grand importateur de GNL indien, en l'occurrence Petronet a réussi à faire réviser les prix du contrat signé avec RasGas en 1999 pour une durée de 25 ans, et ce, à partir de janvier 2016 où le prix est passé de 13dollars/Mbtu à 7 dollars/Mbtu (importation de 7,5 millions de tonnes par an), un deal qui aura un poids non négligeable dans le futur du marché mondial du GNL, notamment avec l'arrivée massive du GNL en provenance de l'Australie et des Etats-Unis. Pour rappel, l'Australie deviendra l'épicentre du marché mondial du GNL à partir de 2018, devenant ainsi le 1er exportateur de GNL à cette échéance. Pour notre pays, l'enjeu est capital, cela poussera les clients de Sonatrach à mettre en exercice plus de pression pour réviser leurs contrats, d'une part, pour diversifier leurs sources d'approvisionnement et d'autre part pour profiter de la baisse actuelle des cours du pétrole. Pour le moment, on ne peut pas encore annoncer que notre GNL n'est pas rentable en Europe mais plutôt qu'on constate des difficultés à maintenir nos parts de marchés. Les recettes en matière de gaz seront forcément impactées cette année, non seulement du fait de la baisse des prix au niveau mondial comme expliqué précédemment mais aussi par rapport à d'autres paramètres dont la baisse des exportations, du fait de la baisse de la production, dû notamment aux retards de certains projets stratégiques, de la hausse de la consommation interne, qui devient de plus en plus importante (+15%) et pouvant doubler au bout de 10 ans et enfin de la production à un rythme rapide des gaz et pétrole non conventionnels aux Etats-Unis. Quel est l'avenir des contrats à long terme sur les marchés internationaux du gaz ? Le gaz naturel n'a pas de marché dédié, son prix est indexé sur le pétrole avec un décalage de 3 à 6 mois dans le cadre des contrats à long terme, dû à un lissage des formules d'indexation. Cette indexation historique remonte aux années soixante, lorsque les producteurs et les fournisseurs ont adopté cette formule dans la mesure où le gaz constituait une énergie de substitution par rapport au pétrole et provenait des mêmes sources de production. L'intérêt pour des contrats à long terme entre les producteurs et les consommateurs est complémentaire, les pays importateurs recherchent une stabilité et une diversification à long terme de leurs flux énergétiques alors que pour les pays producteurs, cela permet de garantir le financement des investissements dans le domaine gazier et de répartir les risques entre producteurs et consommateurs, ce type de contrat est nécessaire. Cependant, la problématique de savoir avec précision ce que sera la demande sur le long terme a eu comme conséquence directe l'émergence du marché spot qui reflète l'équilibre réel offre/demande du marché, donc, il y a lieu d'adapter sa stratégie, en permanence, sur la réalité du marché, entre contrats à long terme et marché spot. Actuellement, les marchés du gaz sont cloisonnés dans 3 zones distinctes, les Etats-Unis, l'Europe, et l'Asie avec des prix très différents mais compte tenu des nouvelles productions de GNL à venir, notamment en provenance de l'Australie et des Etats-Unis, les différences de prix entre les trois grands marchés auront tendance à s'estomper à l'horizon 2020, aujourd'hui, ces prix sont encore éloignés, le gaz vaut 2,4 dollars/Mbtu aux Etats-Unis, 4,7 dollars/Mbtu en Europe et 6,5 dollars/Mbtu en Asie. Quelles sont les adaptations aux contrats à long terme à opérer pour pouvoir aisément renouveler ou conclure ce type d'arrangement ? L'Algérie devrait réagir d'une manière objective et structurée afin d'adapter sa stratégie en matière de politique gazière vis-à-vis de l'Europe et de l'Asie, car les contrats à long terme évoluent dans un environnement politique et économique en mutation constante. Il y a lieu par conséquent de s'adapter en permanence aux conditions et à la réalité du marché où deux paramètres sont à prendre en considération. Le premier est d'ordre juridique, il faut inclure des clauses relatives aux changements des conditions et circonstances du marché, notamment la clause de sauvegarde dite hardship, qui doit être distinguée de celle de force majeure. Cette clause devra être rédigée minutieusement en précisant les différents événements imprévisibles aux parties contractantes et les énumérer afin de prévenir toute difficulté lors de sa mise en œuvre. Le deuxième paramètre est lié aux formules de calculs utilisées, il faut absolument introduire la part des prix du marché spot dans ce type de contrat. L'Algérie a-t-elle les capacités d'être plus agressive sur les marchés spot en cas de difficultés à renouveler les contrats long terme ? Les ventes au niveau du marché spot doivent être considérées comme étant complémentaires aux contrats à long terme et non pas comme une alternative à ceux-ci. Notre pays a pris du retard, car ne s'étant pas préparé à exercer une présence plus active sur les marchés spot internationaux, y compris ceux du GNL où le Qatar et le Nigeria, à eux seuls, comptabilisent près de la moitié de la totalité du GNL échangé dans ce marché et où la part de notre pays n'est que de 5%. On remarque aussi que le marché spot commence à être influencé par le prix du charbon et le contexte du marché du GNL, qui, lui-même est en pleine mutation, en ajoutant à tout cela l'apparition d'une bulle gazière, résultant de la baisse de la demande et de la production des schistes aux Etats-Unis et entraînant une chute des prix du marché du gaz, créant ainsi un décalage croissant avec ceux du pétrole, où, à mon avis, toutes ces nouvelles tendances sont en train de remettre en cause le lien historique entre le pétrole et le gaz. Comment voyez-vous la stratégie gazière de l'Algérie, notamment le redéploiement des exportations vers le marché asiatique, avec l'évolution en cours sur les marchés internationaux ? L'Algérie, cinquième exportateur mondial de gaz naturel, devrait absolument initier de grands projets et adapter sa philosophie de commercialisation aux nouvelles conditions du marché en vue de diversifier son portefeuille, préserver ses parts de marché afin de consolider son cash-flow et surtout faire face à la concurrence qui sera désormais plus féroce. Il est impératif de lancer les travaux du gazoduc Galsi (8 milliards de mètres cubes de gaz), un accord intergouvernemental relatif à ce projet a été conclu en 2007 entre l'Algérie et l'Italie pour une mise en production en 2012. Or nous sommes en 2016 et le projet n'a pas encore été lancé. De même, il est urgent de revoir l'utilité et la rentabilité du projet TSGP (Trans Saharan Gas Pipeline), estimé actuellement entre 13 et 15 milliards de dollars pour la construction du gazoduc de 4300 km devant alimenter l'Europe en gaz puisé dans le delta du Niger. L'Algérie devrait aussi baser sa stratégie sur le marché asiatique, qui ne peut être atteint par les gazoducs et qui reste un marché très prometteur en terme de GNL (75% de la demande totale, soit 180 millions de tonnes), d'autant plus qu'il y a une certaine instabilité dans le marché européen du gaz et qu'il faut diversifier ses marchés. Actuellement, la part de marché de Sonatrach est très minime (2 millions de tonnes). La croissance des marchés du gaz, en Asie, est portée essentiellement par trois facteurs : la croissance démographique, le développement de la production d'électricité et les préoccupations liées à l'environnement. Cette croissance, de l'ordre de plus de 500 milliards de mètres cubes d'ici à 2030, sera alimentée, en grande partie, par le GNL. Par ailleurs, il faut acheter des actifs dans des entreprises de distribution et de vente, ceci passe impérativement par une stratégie de ventes basée sur des investissements (participations) en terminaux de regazéification en Europe mais beaucoup plus en Asie, et ce, dans le but de vendre du gaz directement aux clients, à l'image de Sonatrach Gas Marketing UK Ltd. Il est bien entendu que ces investissements doivent être accompagnés par une stratégie basée sur la construction de nouveaux méthaniers pour le shipping du GNL. En conclusion, il faudrait conjuguer contrats à long terme avec le principe du take or pay et marchés spot en privilégiant une coopération gagnant-gagnant avec ses partenaires basée sur des engagements clairs et avec une continuité absolue. Cette dernière peut se concrétiser à nouveau, car notre pays l'avait déjà montré par le passé, à condition qu'un travail solide en amont soit mené dans les trois domaines suivants : économique, politique et diplomatique. K. R.