Comment tuer le destin ? Lui tordre le cou ? Elle a craqué. Sheila est partie. D'une dernière colère sur la nécessité de mettre un voile pour aller acheter des diouls, la femme de Chaâbane a explosé et décidé de recouvrer son identité. Elle est partie. Fatigué, Chaâbane n'a même pas essayé de protester. Epuisé, Laïd a évoqué Hugtington et le choc des civilisations. Ce n'est qu'une heure plus tard que Chaâbane a réalisé l'ampleur du drame ; Sheila partie, c'est tout le dispositif du f'tour qui est remis en question. Dans l'urgence, Chaâbane a demandé la main (en fait les deux) de la cousine de Laïd, promettant sans pléonasme à Laïd de la relâcher après l'Aïd. Puis Chaâbane a erré, l'âme et l'estomac en peine. N'a rien acheté, à part un journal d'occasion. Les événements se précipitent. Si d'habitude, le mois sacré est un peu mou en infos, il semble que pour la première fois depuis 14 siècles, les Algériens se soient enfin habitués au Ramadhan. Le SNMG va passer à 12 000 dinars, 3 amendements contre la corruption vont passer, ce qui n'a même pas fait rire Chaâbane. Ce qui n'a pas changé ? Le 5 octobre, à propos duquel on ne sait toujours pas ce qui s'est passé, autour duquel personne n'a été jugé. Dans un moment de lucidité, Laïd a expliqué que c'était logique. Le 5 octobre a consacré des avancées démocratiques. Le régime actuel n'aime pas les avancées démocratiques. Pourquoi parlerait-il du 5 octobre ? De toutes façons, Chaâbane n'est pas concerné. En 1988, il était aux USA, pour un stage de Sonatrach. Et Sheila était hôtesse d'accueil dans un séminaire sur les chameaux et le pétrole. Pour elle, l'Algérie n'existait pas, Chaâbane si. Elle l'a aimé. Elle est venue. Elle est partie. Chaâbane aurait bien voulu pleurer, mais il a trop faim. En plus, c'est l'heure. Heureusement, il est chez Laïd. Et heureusement, Laïd a encore une femme.