Comment finir en beauté, mourir de faim aux portes de la délivrance ? Ou au contraire, succomber à une indigestion royale aux crevettes du même nom, accompagnées d'une autre royale et gigantesque purée de pommes de terre étant donné le prix record de ce vulgaire tubercule qui va bientôt supplanter le pétrole, à la vitesse où ce dernier descend. Mais bon. Si Chaâbane n'a pas réellement envie de vivre, surtout sans sa femme Sheila, il n'a pas non plus envie de mourir. En attendant des jours meilleurs au pays de la contre-réforme et du désespoir collectif, Chaâbane est dans l'entre-deux, dans la marge étroite qui sépare le monde -vivant - des vivants, du territoire - si triste - des ombres. La mort ? Pour Chaâbane, elle viendra d'un accident. De l'explosion d'un gazoduc par exemple qui sera sûrement suivie d'une explosion de colère. Ce n'est pas l'avis de Laïd, opposant à voix de plus en plus basse, qui n'a dans son champ de vision que la mort violente politique. Avant-hier encore, a-t-il murmuré à Chaâbane, le GSPC a attaqué une patrouille de gendarmes à Jijel. Ce n'est à première vue plus une stratégie défensive des derniers groupes acculés, obstinés et aveugles à la réconciliation, mais certainement autre chose, même si ce n'est pas défini dans le journal. Mais bref, mais bof, a fait remarquer Chaâbane, après avoir lu une information dans le même journal. On assassine aussi des arbitres, à l'image de ce jeune et pauvre arbitre bénévole de Blida, tué par un coup à la poitrine de la part d'un mauvais joueur. Tout ce qui porte l'uniforme devient suspect, du facteur au garde communal, de l'agent de Sonelgaz au général, donc cible à abattre. Chaâbane est à Sonatrach et ne porte jamais sa tenue orange. Sheila n'aime pas l'orange. Sheila ? Elle va revenir demain. C'est l'Aïd. Elle ne peut pas rater l'Aïd. Chaâbane a subitement faim. Et c'est l'heure. Saha ftoro.