L'affaire Robert Redeker tient toujours en haleine les milieux intellectuels français et européens. Ce professeur de philosophie, exerçant dans un lycée de la banlieue toulousaine, continue de vivre caché et coupé du monde depuis qu'il a publié une tribune enflammée sur l'Islam le 21 septembre dernier dans les colonnes du journal conservateur Le Figaro. Il a, entre autres, écrit que le prophète Mohammed était décrit par le Coran comme « un chef de guerre impitoyable, un pillard, un massacreur de juifs et un polygame ». Des mots de trop qui lui ont valu de recevoir des centaines de menaces de mort de la part d'extrémistes. La police française ainsi que l'écrivain lui-même prennent très au sérieux ces menaces. Depuis le 19 septembre dernier, date de la publication de son brûlot intitulé Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ?, Robert Redeker n'a d'autre choix que de se terrer dans un endroit inconnu, de peur d'être tué. Troublé dans sa vie sociale et familiale qu'il menait jusque-là d'une façon normale, le philosophe et intellectuel, issu de l'extrême-gauche, n'est relié au monde que par le fil de l'Internet. Il ne voit personne et ne répond à personne. Sa famille est contrainte de déménager tous les deux jours d'un endroit à un autre, sous haute surveillance policière. Intellectuel cultivant la différence, provocateur et toujours à la marge de ses confrères, Robert Redeker est membre du comité de rédaction de la revue Les temps modernes fondée en 1945 par Jean-Paul Sartre. Il a apporté de nombreuses contributions à des sujets de société aussi éclectiques que le révisionnisme, la judéophobie, le sport, la République et la laïcité. Dans les milieux intellectuels arabes parisiens, la sortie médiatique de Redeker est vue comme une provocation supplémentaire à l'égard de la communauté musulmane, après, notamment, le scandale des caricatures et les propos offensants du pape Benoît XVI sur l'Islam. Pour Mezri Haddad, philosophe tunisien et auteur de l'essai sur La réforme de l'Islam, « l'appel au meurtre de Robert Redeker apporte, si besoin est, la preuve supplémentaire que l'ennemi mortel de l'Islam est bel et bien l'intégrisme ». Ce philosophe estime que jeter l'anathème sur l'ensemble des musulmans est une faute, comme l'est aussi l'attitude obscurantiste des islamistes qui répondent à ce genre de provocation avec des fatwas et des violences. « Comme la religion se défend beaucoup plus par elle-même, elle perd plus lorsqu'elle est mal défendue que lorsqu'elle n'est pas défendue », écrit-il. Une manière claire de dire que les extrémistes musulmans sont les premiers à ne pas respecter la religion musulmane et à la malmener. Allant plus loin dans son analyse, l'écrivain tunisien reconnaît que la liberté d'expression est un droit absolu que nul ne peut remettre en cause. « Au pays de la liberté et du respect des droits de l'homme, nul ne doit être inquiété pour ses opinions si contestables soient-elles et si légitime soit la révolte qui les inspire ». Mais il tempère : « Il n'y a pas que les fatwas à menacer la liberté d'expression, il y a aussi cette autre épée de Damoclès que certains apôtres du droit de l'hommisme maintiennent à tort et à raison, à savoir l'islamophobie. » Tout en se proclamant solidaire de Redeker, le ministre français de l'Education nationale a indiqué qu'« un fonctionnaire doit se montrer prudent et modéré en toutes circonstances ». Une déclaration qui n'a pas été du goût d'un autre philosophe connu, André Glucksmann qui s'est posé la question de savoir si un « fonctionnaire serait moins libre de sa plume qu'un journaliste, un homme d'affaires ou un sans domicile fixe ? » Mais force est de constater que Glucksmann semble être parmi les rares à soutenir ouvertement l'écrivain Redeker. La classe politique française, dans sa majorité, et les intellectuels en général, gardent pour le moment un silence prudent. Probablement, ne veulent-ils pas envenimer davantage la situation, déjà très explosive après les propos du Pape Benoît XVI sur l'Islam et l'annulation d'un concert de Mozart dans un opéra de Berlin. Par ailleurs, les autorités religieuses musulmanes de France observent un silence radio. La spiritualité qu'impose le mois de Ramadhan semble l'emporter sur les polémiques…