Le Pr Charles-Robert Ageron, savant historien, spécialiste de l'Algérie coloniale nous a quittés tout récemment. Né en 1923 à Lyon, il est nommé au lycée Bugeaud (actuellement Emir Abdelkader) comme professeur d'histoire, en 1945. Son arrivée en Algérie coïncide avec les sanglants événements du 8 Mai 1945, qui le marquent profondément et l'amènent par la suite à dénoncer vigoureusement le système colonial. Deux ans après, il quitte l'Algérie pour reprendre ses études d'histoire en France, puis il revient après avoir obtenu une agrégation. La bataille d'Alger le trouve de nouveau professeur d'histoire au lycée Bugeaud. Il se joint au petit cercle des libéraux, composé de quelques intellectuels français de tendance chrétienne libérale, opposés au colonialisme. Le regretté Pr Mahfoud Kaddache en est un membre actif. Charles-Robert Ageron est très proche du professeur H.I. Marrou, du collège de France, dont il a été étudiant sous l'occupation allemande. Ce professeur éminent fait partie des intellectuels français qui, comme Pierre Vidal-Naquet, Charles Favrod, Louis Massignon, Régis Blachère, Jean-Paul Sartre et d'autres dénoncent très tôt la torture en Algérie. Charles-Robert Ageron est aussi lié avec le professeur André Mandouze, dont l'action anti-coloniale est bien connue. Les libéraux d'Alger sont conscients que le système colonial approche de sa fin. Ils veulent faire comprendre aux autorités de leur pays qu'il faut trouver un chemin vers la paix. Dans ce but, ils publient une revue l'Espoir qui leur sert de tribune pour faire avancer leurs idées. L'historien lui donne de nombreux articles. La revue est bientôt interdite par Lacoste en 1957. Le groupe se disperse, tant le système colonial reste fermé et répressif. Charles-Robert Ageron quitte l'Algérie pour Paris. Il est nommé professeur au lycée Lakanal de Sceaux, puis assistant d'histoire contemporaine à la Sorbonne. En 1968, il soutient une thèse remarquable de doctorat d'Etat intitulée «Les Algériens musulmans et la France: 1871-1919» sous la direction du professeur Charles-André Julien, pionnier de l'histoire anticoloniale dans son pays. Cette thèse en 2 volumes est une source que tout chercheur dans l'histoire du système colonial en Algérie doit consulter. C'est une somme d'érudition dans laquelle l'auteur analyse les faits et les événements importants à partir des documents les plus significatifs. Il ne laisse rien dans l'ombre et ne ménage personne, à tel point qu'il suscite des réactions plus ou moins négatives dans les milieux de droite, partisans de «l'Algérie française». Mais personne ne peut sérieusement contester la valeur de l'homme et de l'oeuvre. De 1959 à 1962, il est membre du Centre national de la recherche scientifique (Cnrs). Maître de conférences, puis professeur à l'Université de Tours de 1961 à 1981, il revient à l'Université de Paris XII où il exerce longtemps comme professeur émérite. Il publie alors une série d'ouvrages sur l'histoire de la colonisation française en Algérie dont nous citerons notamment Politiques coloniales au Maghreb, Histoire de l'Algérie contemporaine (1871-1954), l'Algérie algérienne de Napoléon III à De Gaulle, Histoire de l'Algérie contemporaine, Collection Que-sais-je? édit. P.U.F, France coloniale ou parti colonial? La plupart de ces livres ont été publiés aux Presses universitaires de France (PUF). Dans son oeuvre, Charles-Robert Ageron souligne les aspects négatifs de la colonisation, en mettant l'accent sur la destruction de la culture algérienne, l'élimination de l'enseignement de la langue arabe, les tentatives de christianisation, l'expropriation des terres, le code de l'indigénat, la répression des tribunaux... Avec le professeur Charles-Robert Ageron disparaît un grand historien doublé d'un humaniste dont l'engagement suscite notre respect et notre reconnaissance. Ses écrits méritent d'être connus de nos concitoyens et faire partie de nos bibliothèques universitaires et autres, tant ils reflètent l'exigence de vérité dans la recherche comme dans la critique. Ils démontrent les méfaits du système colonial et ses crimes, auquel il trouve surtout des aspects négatifs, contrairement à ceux qui veulent souligner ses qualités positives. Cependant, il s'efforce de rester objectif et impartial dans toute la mesure du possible. Il lui arrive parfois de se tromper et n'hésite pas à corriger son erreur. Pendant longtemps, il estime, par exemple, que l'émir Khaled n'est pas nationaliste, jusqu'au jour où il découvre dans la bibliothèque du Congrès américain la pétition que l'émir a fait parvenir au président Wilson, dans laquelle il demande le droit du peuple algérien à disposer de sa liberté. Charles-Robert Ageron adresse ce document à l'hebdomadaire Algérie-actualité et fait son mea-culpa. Un tel geste honore le savant historien et témoigne de sa probité intellectuelle. (*) Président du Haut Conseil islamique.