La sixième édition du festival national dédié à la passion du livre chez les enfants, intitulé Lire en fête, se déroule cette semaine à Bouira. Les murs de la maison de la culture Ali Zaamoum et de la bibliothèque principale de Bouira ont accueilli une pléiade d'activités et d'ateliers dédiés à cet événement qui se veut promoteur de la lecture chez les enfants et les adolescents, afin d'encourager l'attrait de ce qui devient un passe-temps dépassé en raison du développement de l'informatique et ce qu'il offre en facilité d'accès à des informations prêtes à l'emploi. Ainsi, le festival Lire en fête, pour attirer le maximum de visiteurs, s'est déroulé sous forme d'ateliers proposés par les responsables du secteur culturel de la wilaya et qui ont touché les différents aspects du livre. Des ateliers de lecture, de contes et de langues étrangères pour la dimension littéraire, des ateliers de dessin et de travaux manuels pour traduire les multiples formes d'illustration et, enfin, des ateliers d'arts multimédia et d'informatique comme un clin d'œil aux nouvelles technologies et à la nouvelle mode de lecture numérique. Seule ombre au tableau : les participants ont été sélectionnés parmi les adhérents de la maison de la culture et de la bibliothèque communale, ce qui a réduit les chances du grand public de bénéficier de ces ateliers et a limité les activités aux seuls habitués des lieux. Malgré l'intérêt porté par les responsables locaux à cet événement qui coïncide avec les vacances de printemps — ils ont organisé un programme riche en animations et spectacles pour enfants — certains organisateurs et animateurs d'ateliers ont regretté la quasi-absence du public. «Comme le budget a été considérablement réduit cette année, nous n'avons pas beaucoup investi dans la médiatisation du festival. Nous avons invité les écoliers et collégiens via les directions d'établissement mais comme vous voyez, les visiteurs sont rares. Espérons qu'ils viendront nombreux pour les spectacles de l'après-midi», nous confie-t-on. Il faut noter que la communication est le maillon faible non seulement de la direction de la culture, mais touche aussi tous les secteurs de la wilaya. En dehors du carcan officiel Comme la lecture est une passion qui s'évanouit dans nos sociétés modernes avides d'informations prêtes à l'intégration, et en raison d'une crise qui touche le secteur du livre, un tour des librairies de Bouira en dit long sur l'état des lecteurs et le devenir du livre. En effet, au fil des mois d'observation, les rayons des livres de distraction — en opposition au livre didactique — se réduisent comme peau de chagrin, laissant place aux seuls livres religieux, guides scolaires et livres de cuisine. Les romans, récits et nouvelles en français, arabe, berbère ou anglais ne sont quasiment plus disponibles dans la majorité des librairies, converties par la force des choses en simples papeteries. Seuls deux libraires passionnés et chevronnés tiennent bon dans la ville de Bouira. Ils proposent à une clientèle rare mais fidèle des romans, des ouvrages classiques de la littérature et les nouveautés des auteurs d'ici et d'ailleurs. Leurs confessions empreintes d'inquiétude ne laissent aucun doute sur leur amour pour le livre et leur intention évidente de lutter pour sa sauvegarde. M. Oulmi, gérant de la librairie Iqraa, nous livre son avis et ses appréhensions : «Les livres qui marchent sont les manuels et autres guides scolaires et pédagogiques ainsi que les livres religieux. Les lecteurs se font rares et nos clients se désintéressent complètement des livres. Même les étudiants qui devraient dévorer tout ce qu'ils trouvent ne viennent chez nous que lorsque leurs professeurs les obligent à feuilleter l'œuvre d'un romancier ou un classique. Du point de vue business, on arrive difficilement à joindre les deux bouts ; si ce n'étaient les conventions signées avec les établissements scolaires qui s'approvisionnent dans nos rayons, cela fait longtemps qu'on aurait baissé rideau. A part cela, nous avons une petite poignée de clients fidèles qui nous font confiance pour le choix des livres et que l'on gratifie à notre tour par des prix concurrentiels, qui respectent la réglementation actuelle. Notre métier nous tient vraiment à cœur, nous veillons à connaître chacun des ouvrages que nous proposons à nos clients afin de les conseiller et les orienter selon leurs attentes et leurs besoins.» Le vrai métier de libraire tend à disparaître devant celui de commerçant. Pour M. Zenatit, un autre libraire installée au centre-ville de Bouira, «ce n'est visiblement pas en raison des prix que les gens désertent les librairies. Certains étudiants ou même universitaires qui rentrent dans mon magasin ignorent qui sont Ferhat Abbas et Mouloud Feraoun, sans parler des grands auteurs français ou anglais. Et quand j'entends que la wilaya abrite un festival national de la lecture, je me dis que c'est sûrement un de ces événements carnavalesques, faits seulement pour épater la galerie sans pour autant améliorer les choses». Les institutions publiques, temples du livre en libre accès Côté institutions dédiées à la lecture, sur les deux bibliothèques que compte la ville de Bouira, une seule demeure opérationnelle ; la seconde, la bibliothèque communale, est fermée depuis quelque temps pour des raisons obscures. Un responsable nous a déclaré que la bibliothèque principale de Bouira a été inaugurée en juin 2015 : «C'est notre première année en tant qu'espace dédié à la lecture dans la wilaya et nous œuvrons chaque jour pour améliorer nos prestations envers le citoyen en quête de livres. Pour le moment, l'adhésion est gratuite, nous comptons près de 5000 inscrits. Enfants, étudiants et adultes sont admis chez nous afin de profiter de nos nombreux ouvrages de spécialités multiples et en différentes langues. Nous disposons d'une importante salle de lecture, de salles individuelles pour ceux qui recherchent le calme ainsi qu'une salle de lecture pour enfants. Notre institution a pour objectif premier la promotion de la lecture et du livre.» Une chose est certaine, que ce soit chez le privé que dans le secteur public, le livre n'a pas fini de poser ses questions, gardant néanmoins ses fidèles qui luttent pour sa pérennité et son essor. Un livre qui s'affaiblit face à l'expansion d'internet, à l'accès à l'information prédigérée, à l'afflux audiovisuel qui limite de plus en plus la curiosité intellectuelle, pas seulement chez les jeunes mais dans la communauté toute entière. Reste juste à espérer que la bonne odeur des pages vieillies et jaunies par le temps et le feuilletage garde son lustre et son charme que nul support ne peut offrir.