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«L'appareil judiciaire doit s'impliquer dans la lutte contre la fraude fiscale» Hayet Bouilef. Doctorante à l'université Paris Dauphine, inspecteur central des impôts (DGI- Algérie)
Quelles seraient, selon vous, les conditions d'un bon fonctionnement et d'une efficience d'un système fiscal tel que le nôtre ? L'honnêteté scientifique voudrait que l'on reconnaisse la mise en œuvre effective de certaines mesures permettant l'amélioration de l'efficacité de notre système fiscal, suite aux différentes adaptations introduites à partir de la principale réforme fiscale de 1992. Les différents aménagements introduits ont opéré de réels progrès sur la gestion fiscale et sur la réorganisation administrative. Ainsi, il convient d'observer la réalisation de résultats positifs en termes de mobilisation des recettes fiscales et parafiscales et l'introduction d'améliorations progressives dans le dispositif procédural, essentiellement du point de vue de la simplification des procédures, aussi bien en matière du recouvrement que du contentieux fiscal. Sur le plan administratif et structurel, d'importants chantiers de rénovation des locaux ont été entamés, accompagnés des sommes conséquentes allouées à l'acquisition de nouveaux immeubles, ainsi qu'au matériel (véhicules, mobilier…). Toutefois, ces relatives performances n'occultent pas les limites du système actuel à réaliser le niveau souhaité des recettes fiscales nécessaire au financement public, tout en conciliant justice fiscale et efficacité économico-financière. En effet, les avancées de la réforme fiscale en matière d'établissement de l'assiette et la base imposable sont timides et modestes - hormis l'instauration du dossier unique qui a largement contribué à l'harmonisation de certaines procédures d'imposition et la suppression de l'enrôlement de certains impôts). Il en est de même pour l'aspect technologique et juridique, où les réalisations demeurent largement insuffisantes. Nous attribuons l'élévation de ce taux de pression fiscale à l'étroitesse de la base imposable, effritée, d'une part, par la largesse du dispositif dérogatoire, et les carences liées à une parfaite maîtrise de l'assiette fiscale à défaut notamment d'outil technologique et informatique et, d'autre part, par la prolifération de l'économie informelle, se traduisant ainsi par une concentration des prélèvements sur une population et assiette fiscales réduites. Pensez-vous que les conditions sont réunies pour que la fiscalité ordinaire puisse jouer pleinement son rôle dans la conjoncture actuelle ? Une bonne efficience d'un système fiscal nécessite l'instauration des conditions de fond et de forme de nature technique, juridique et notamment politique. Du fait qu'en dépit de son importance, la fiscalité ordinaire seule n'est pas la panacée dans le contexte socio-politico-économique algérien de 2016. D'autres déterminants sont nécessaires à introduire et concevoir, sans quoi un système fiscal ordinaire demeure incomplet et insuffisant. En effet, l'efficience de toute politique publique (fiscale, financière, économique, sociale…) est tributaire de la disponibilité de certaines conditions favorisant sa réalisation et de l'élimination de celles entravant son aboutissement. Ainsi, une dimension politique fondée sur une réelle volonté d'éradiquer les facteurs contraignants et d'assurer les facteurs incitateurs à l'activité économique créatrice de richesses et attrayants pour les investissements productifs, notamment les IDE non spéculateurs, est nécessaire. C'est dans ce cadre que la détermination politique de lutte contre l'économie informelle, qui soustrait d'énormes recettes fiscales en toute impunité, peut être édifiée. Ainsi, une conceptualisation favorisant l'intégration du secteur informel dans l'activité officielle peut se réaliser à travers une stratégie de soutien intensif à l'activité formelle. Ce faisant, par l'introduction de mesures adaptées à chaque secteur d'activité de nature à consolider le respect de la légalité par les entreprises du secteur formel — par exemple, la réduction ou le remboursement une partie des pénalités dès lors que la dette fiscale principale est acquittée ; l'indulgence vis-à-vis des échéances déclaratives non respectées pour des motifs dûment objectifs et justifiables ; envisager l'instauration d'un intérêt moratoire adapté aux contribuables de bonne foi, essentiellement pour les sociétés productives, etc. A travers une stratégie de lutte contre l'évasion et la fraude, en diversifiant et en intensifiant des actions de sensibilisation citoyenne. Ainsi que par l'adaptation de l'encadrement juridique et législatif à la réalité de l'activité économique sur fond de crise que rencontrent les opérateurs économiques. Parallèlement à la lutte contre la corruption privée et publique. Cette dernière est réalisable par le biais de la nomination de compétences avérées, en les soutenant par la disponibilité des moyens légaux, adaptés et corrélés à la réalisation des objectifs envisagés et clairement définis. Mais aussi à travers l'ancrage et l'imbrication de la culture du contrôle (horizontal et vertical) à tous les niveaux de gestion (centrale, décentralisée, de proximité), qui doit être enracinée et admise comme impératif de fonctionnement de la gouvernance. Simultanément à la mise en œuvre d'une politique de sanction efficace, essentiellement sur le plan pénal, où des mesures coercitives et dissuasives peuvent être engagées et être élargies à des ayants droit dans le cadre de la corruption privée. Vous plaidez clairement pour la mise en place d'une politique de sanctions contre les mauvais contribuables, alors que l'impôt est déjà perçu comme un outil de pression. Que faut-il faire pour changer cette image ? Il y a une dimension culturelle à donner au système fiscal, qui doit intégrer la fiscalité ordinaire comme levier d'orientation de la politique de développement économique et sociétal, afin de limiter le prélèvement de la rente pétrolière. Elle doit favoriser la perception de l'impôt comme un outil juridique permettant d'assurer le processus de démocratie économique et sociale de la nation. Ce faisant, par le renforcement du sentiment de consentement (à l'impôt et au paiement de l'impôt), du civisme fiscal (privé et administratif) et de la notion de la citoyenneté. Quant à l'incitation de la moralité fiscale des entreprises exerçant dans le secteur formel, elle peut être promue à travers des incitations psychologiques démunies de l'aspect punitif, tel que les remises et réductions sur les droits dus et effectivement versés, l'établissement des échéanciers non contraignants, priorité en matière d'accès aux marchés publics, etc. La dimension juridique est à solliciter, outre le cadre législatif, à travers l'implication massive de l'appareil judiciaire dans la lutte contre la fraude. Ce faisant, par la création d'une brigade ou d'un service «sécurité (police)-impôts- douanes» sous la direction d'un magistrat. De ce fait, l'optimisation de l'efficacité de l'action judiciaire s'obtiendra par la création de tribunaux fiscaux spéciaux et la formation de «magistrats fiscalistes» compétents en matière de juridiction fiscale. La création de la compétence juridique du juge en matière de visite domiciliaire fiscale, qui n'existe pas en Algérie, car le juge compétent en matière de visite domiciliaire fiscale est, depuis 2002, le juge des libertés et de la détention du tribunal. Et la réintroduction de l'interdiction à titre conservatoire, la sortie du territoire national, jusqu'à la régularisation ou le règlement de la dette fiscale ou la présentation des garanties par le contribuable. Cette mesure, initialement prévue en 1996, est tombée en désuétude à défaut de communication et de collaboration entre les différentes administrations. Concrètement, sur le plan purement administratif, ne pensez-vous pas qu'il y a des contraintes à lever pour une collecte efficace et une meilleure contribution à l'impôt ? La dimension technique et administrative est traduite notamment par une bonne gouvernance au sein de l'administration financière et fiscale ; l'accélération de l'informatisation des services et la conception des solutions fiscales informatisées ; la création des organismes spécialisés et indépendants en mesure d'effectuer des enquêtes crédibles permettant la consolidation et l'orientation efficace de l'action de l'administration ; quant à l'amélioration et l'accroissement de la capacité contributive de l'ensemble des impôts et taxes, qui constitue une vulnérabilité du système fiscal algérien, peut être envisagée à travers une réelle conception de la structure fiscale, notamment celle de l'IBS, envisagée dans la perspective d'une organisation des sociétés, d'une manière plus adaptées à l'économie de marché et à l'émergence de nouvelles formes juridiques des sociétés. L'examen doit également porter sur l'aspect comptable des produits retenus pour la détermination du bénéfice, les produits accessoires d'exploitation et les charges déductibles. Ce qui permet une réelle appréciation de la base imposable, tout en palliant les faiblesses actuelles du rendement de la fiscalité ordinaire. En outre, le développement de nouveaux procédés de communication de l'information et de renseignement nécessaires à la fois à l'assiette fiscale et au recouvrement des impôts à travers l'informatisation des services, le développement des solutions et logiciels informatiques, notamment la nécessité de développement des applications informatiques adaptées à l'analyse de la situation des recettes ainsi qu'à leur comptabilité. En matière de recouvrement, la nouvelle gestion de l'impôt nécessite aussi la modernisation des procédures de perception et leur adaptation au contexte économique de l'économie de marché par le biais de l'introduction de nouveaux modes de paiement tels que le télépaiement, la généralisation de l'acquittement à travers le virement bancaire, l'introduction du paiement mensuel aussi bien pour les personnes morales privées et publiques que pour les personnes physiques. Cependant, le succès de ces dernières mesures est tributaire de l'avancement et la poursuite des réformes, si nécessaire, du système financier et bancaire. Ainsi que d'autres facteurs macro et microéconomiques, tels que l'assainissement du climat et l'environnement des affaires, une transparence de la gouvernance, etc. Le défaut de cet ensemble empêche les réformes fiscales d'atteindre leurs objectifs, ne serait-ce que financiers.