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«Ramener graduellement l'informel vers le secteur déclaré»
Abderrazak Naili Douaouda . Président du Conseil National de la Fiscalité et ancien DG des Impôts
Publié dans El Watan le 18 - 04 - 2016

Face à la baisse de la fiscalité pétrolière, comment élargir la fiscalité ordinaire sans imposer sévèrement les citoyens moyens ?
En réalité, pour répondre à votre question sur l'élargissement de la fiscalité ordinaire, je vous dirais que ce ne sont pas des niches par définition étroites qu'il faudrait aller rechercher, si tant est qu'elles existent. Mais qu'il s'agirait plutôt d'une véritable mobilisation de l'appareil fiscal et même de l'appareil de l'Etat en direction de certaines problématiques pour préparer l'après-pétrole.
D'abord, l'informel omniprésent, notamment dans le secteur de la distribution et qui d'après des estimations probables représenterait environ 40% du PIB (cf enquête ONS sur l'emploi).
Il conviendrait donc de ramener graduellement ce secteur vers le secteur déclaré en mettant en place un système plus attractif que les incertitudes de l'informel. Comme préalables à la mise en place de ce cercle vertueux, en plus des aspects liés au climat des affaires et à la mise en confiance des gens, certains dispositifs doivent être examinés.
Exemple : la réforme de la TAP (Taxe sur l'activité professionnelle) dont le produit est affecté aux collectivités locales et qui n'existe pratiquement plus dans aucun pays. Un pas important a été fait dans la loi de finances 2015 par la réduction significative du taux, mais ceci reste insuffisant. L'éventuelle suppression de cette taxe poserait la question de la moins-value qui en découlerait, question à 100 milliards de dinars environ.
Le gouvernement, en contrepartie de cette suppression, pourrait envisager à défaut de ressources étatiques à affecter aux collectivités locales la mise en place immédiate d'une autre fiscalité communale plus simple à asseoir et à recouvrer. Par exemple, à l'instar de nos voisins maghrébins une «patente» (batinta dans le langage populaire) peut être instituée au niveau de chaque commune et établie non sur le chiffre d'affaires, mais sur d'autres paramètres plus stables tels que la nature de l'activité et la valeur des actifs. En France, la «Taxe professionnelle» était, jusqu'à très récemment, calculée selon un barème prenant en compte la valeur locative des immobilisations.
Cette «patente» (ou taxe professionnelle) couplée à un impôt foncier rénové pourrait constituer l'ossature véritable d'une fiscalité communale.
Ensuite, il faut une lutte plus affirmée contre la fraude dans le secteur déclaré (qui semble a priori importante bien que difficilement appréhendable) par l'octroi à l'administration de plusieurs moyens toujours insuffisants, notamment en matière d'information et de formation.
Il faut aussi un encadrement et un contrôle plus efficaces des «dépenses fiscales» allouées dans le cadre de l'encouragement public à l'investissement et à l'emploi (CNI, ANDI, Ansej, Cnaat…).
Aussi, un meilleur ciblage des dépenses sociales de l'Etat en vue d'éviter les gaspillages et l'allocation indue de ressources à des catégories de citoyens non concernés, avec également une maîtrise plus accentuée des différents budgets publics. L'impact financier de l'ensemble de ces mesures sera de plus en plus significatif au fur et à mesure de leur mise en place nécessairement graduelle et donnerait un signal clair à tous les acteurs du pays sur la direction suivie.
Vous avez toujours plaidé pour un élargissement de l'assiette fiscale au lieu d'une hausse des taux d'imposition. Dans quelle mesure est-ce possible ?
Dans tous les pays, les réformes fiscales mises en place tendent, en plus de la simplification du système, à l'élargissement de l'assiette et l'harmonisation des taux d'imposition. Ceci est aussi un des aspects de l'attractivité des pays. Chez nous, l'élargissement de l'assiette fiscale est encore à approfondir dans trois ou quatre directions.
1- L'élargissement de l'assiette de l'impôt foncier qui est d'un rendement si bas que les frais d'administration, d'assiette et de recouvrement semble dépasser le produit escompté. Cette situation est due, d'une part, à ce que les valeurs des actifs immobiliers sont toujours calculées sur la base de valeurs administratives, système injuste et contreproductif et non sur les prix d'un marché immobilier transparent qu'il conviendrait de faire émerger et généraliser, et, d'autre part, à l'inexistence chez nous d'un «Cadastre fiscal» identifiant avec précision les biens, les personnes, les occupants et la nature des occupations.
2- L'élargissement de l'assiette de la fiscalité immobilière (fiscalité des ventes des biens immobiliers) par la réduction du taux en contrepartie de la prise en compte des valeurs du marché.
Par ailleurs, en ce qui concerne cette fiscalité, il conviendrait de signaler que le pays a connu depuis les années 1970 un véritable bouleversement dans le domaine de la transmission des droits de propriété pouvant être à l'avenir la source des problèmes juridiques insolubles : vente des biens de l'Etat, vente des terrains au nom des personnes autres que les occupants ou laissés en indivision, des réserves foncières communales, constructions immobilières sans acte authentique, vente, partage d'héritages effectués verbalement ou par actes sous seing privé, toutes opérations familiales réalisées entre frères et sœurs n'ayant pas pris en compte le facteur temps et la sécurité juridique de biens transmissibles.
Dans ce cadre, une importante régularisation a été effectuée sur les terres agricoles privées avec la mise en place du Cadastre foncier. Peut-être conviendrait-il de compléter cette action par l'organisation d'une autre campagne de régularisation sous la forme d'une exonération fiscale limitée dans le temps (par exemple 5 à 10 ans) et pour les seules régularisations entre parents et entre frères et sœurs, donc sans but spéculatif.
3- L'élargissement de l'assiette de la fiscalité des transactions commerciales. Ceci pour atteindre l'objectif de la création annuelle de 50 000 entreprises souhaitée par les pouvoirs publics et favoriser le développement de celles qui activent. Là également, il me semble opportun de remplacer les droits proportionnels par les droits fixes sur tous les actes touchant à la vie de ces entreprises : création, prorogation, cession, partage, dissolution, augmentation ou diminution du capital, etc.
En effet, les droits proportionnels calculés en pourcentage sont d'un montant exorbitant et bloquent de ce fait les efforts des entreprises en vue de leur transformation, modernisation, réorganisation, constitution en holding, entrée en Bourse, etc.
4- L'élargissement de l'assiette de la parafiscalité (sécurité sociale) par la réduction des taux actuellement de 35% sur les salaires qui poussent presque la moitié des entreprises à ne pas déclarer leurs employés (enquête ONS sus-citée) (sans compter la taxe de 2% sur les salaires dont le produit est affecté pour la formation professionnelle) couplée à un encadrement des dépenses de prestations sociales.
On parle souvent des riches.
Pensez-vous que les grosses fortunes sont suffisamment mises à contribution dans le système fiscal actuel ?
Concernant la question de la taxation des «riches», des «grosses fortunes», fortunes difficilement appréhendables d'ailleurs du fait de l'absence de transparence, de l'existence d'un secteur informel puissant et de la faible bancarisation de l'économie, peut-être conviendrait-il de faire la distinction suivante : s'agissant du cas des contribuables du secteur formel, d'après les textes la matière imposable est correctement appréhendable : IRG et/ou IBS et impôt sur le patrimoine dont les taux récemment révisés sont aux normes internationales.
Si le rendement semble faible, ceci renvoie, d'une part, à une assiette encore étriquée du fait de la situation économique du pays et, d'autre part, à l'existence d'une fraude fiscale qu'il faudrait enrayer par l'octroi de plus de moyens à l'outil de contrôle. Quant au cas des «fortunes» issues du secteur informel, il s'agit de fortunes qui échappent totalement au fisc.
L'administration peut bien sûr utiliser les «signes de richesse» pour la taxation, mais comme je l'ai toujours dit, la fortune ne se situe pas toujours uniquement là où on le pense, dans l'immobilier et les achats de luxe. L'objectif est, comme dit plus haut, de ramener graduellement le secteur informel par des moyens multiples vers le secteur déclaré et le limiter à un seuil acceptable, ce qui conséquemment entraînerait une meilleure connaissance de la richesse et sa taxation.
En tout état de cause, le problème du rendement de l'impôt sur le patrimoine renvoie à la capacité de l'administration à s'organiser sur les plans technique, organisationnel et fonctionnel pour rechercher, trouver, suivre et taxer ces revenus et patrimoines. Un ancien ministre des Finances avait annoncé la création d'un service spécial à cet effet. D'après mes informations, ce service n'est toujours pas en place.


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