- Le débat sur la taxation des grosses fortunes revient encore sur le devant de la scène. Le ministre des Finances, Karim Djoudi, a annoncé, dans les coulisses de l'APN, un projet de créer une brigade spéciale pour traquer les grosses fortunes qui fuient le fisc. Quelle lecture pouvez-vous en faire ? Comme l'ont déclaré le ministre des Finances et le président de la commission des finances de l'APN, M. Mahi, l'impôt sur le patrimoine existe déjà en Algérie. Ce qui pose problème, c'est son application et son rendement, et c'est dans ce cadre qu'il faut placer la déclaration de M. Djoudi. La richesse et le patrimoine, ce ne sont pas uniquement les constructions, ce sont surtout les sommes colossales qui circulent dans les circuits formel et informel et qui ne sont pas toujours correctement appréhendées par le fisc ; la brigade prévue viendrait donc renforcer les moyens d'investigation actuels de l'administration fiscale. - Certains experts que nous avons pu contacter se disent sceptiques quant à l'utilité et au bien-fondé d'un tel projet qui, autrement, risque d'entrer en concurrence avec d'autres organismes existants comportant quasiment les mêmes attributions. Le projet de Djoudi ne se traduit-il pas par une sorte de duplication qui ne servira, tout compte fait, qu'à alourdir le système de contrôle sans grand résultat ?
Je ne pense pas que le projet de M. Djoudi constitue une duplication de l'existant : le ministre a parlé d'un service «d'investigation» qui aura pour objectif de «jouer le rôle de déclencheur d'un meilleur contrôle des fortunes», ce qui, à mon sens, peut parfaitement s'imbriquer dans l'organisation actuelle de la lutte contre la fraude, la compléter et la renforcer. Du reste, il revient à la Direction générale des impôts d'éviter les lourdeurs et chevauchements d'attribution à travers sa mission générale d'organisation, d'animation et de contrôle de l'ensemble de ses services. - Outre la faiblesse des organismes déjà existants faute de méthode, voire faute de compétence et de responsabilité, pensez-vous que, juridiquement, la taxation actuelle manque de pertinence et de rigueur ? Autrement, faut-il revoir la réglementation actuelle en la matière ?
En ce qui concerne le système fiscal algérien actuel et là, je n'engage que ma seule personne, je ne cesse depuis plus de 10 ans de dire et de considérer que pour lutter contre la fraude fiscale, ramener l'informel à un niveau acceptable, rendre transparente notre économie, permettre à tous les agents économiques de travailler dans la sérénité et stabiliser puis améliorer durablement la recette fiscale, le gouvernement devrait faire une véritable révolution fiscale à travers la révision de la tarification actuelle, notamment : - ramener les taux de la TVA de 17 et 7% à respectivement 15 et 5% ; - dispenser de l'IRG tout revenu déjà soumis à l'lBS ; - surtout ramener la TAP à 1% pour les détaillants et 0,5% pour les grossistes ; la supprimer, si possible, si on pouvait financer les communes par une autre taxe ; - réduire les droits d'enregistrement et de publicité foncière sur les transactions immobilières et revoir totalement les droits d'enregistrement sur les sociétés (création, prorogation, cession, partage, dissolution, augmentation ou diminution de capital) et les remplacer par des droits fixes ; - revoir et réduire les droits de douane et surtout la parafiscalité (revoir le système de taxation actuel qui favorise l'importation des produits finis et taxe les matières premières et les demi-produits, à l'exemple de l'huile brute, du sucre et des aliments du bétail). Concernant la parafiscalité, il faut arrêter d'exiger un tiers des salaires déclarés au profit de la Sécurité sociale, si l'on veut que les employeurs jouent le jeu de la transparence. Pourquoi ces réductions de taux, diriez-vous ? C'est pour rapprocher notre système des standards internationaux, améliorer le développement et la compétitivité de notre économie, lutter contre la fraude et l'informel ; les moins-values conjoncturelles seraient vite absorbées par l'élargissement de l'assiette tant il est vrai que «trop d'impôt tue l'impôt» et que les «taux tuent les totaux». Un prélèvement raisonnable facilite l'intégration des paramètres fiscaux dans les opérations commerciales. - Si les textes actuels sur la taxation des grosses fortunes venaient à être appliqués, quel serait leur effet sur le terrain ? Avons-nous une estimation sur le manque à gagner pour le Trésor ?
Comme déjà indiqué plus haut, l'impôt sur le patrimoine existe déjà depuis plusieurs années ; l'assiette déjà fixée démarre à partir de 30 millions de dinars. Les taux, comparativement à ce qui existe ailleurs, sont corrects et s'établissent de 0,25 à 1,5%, selon un barème institué par la loi. Ainsi, si vous possédez un appartement d'une valeur de 31 millions de dinars (ce qui est courant actuellement, vu l'inflation), vous payez tous les ans 775,00 DA ; pour un bien de 60 millions, vous payez 900,00 DA tous les ans. La généralisation de la taxation renvoie d'ailleurs à l'insuffisance des moyens humains et matériels de l'administration des impôts ; elle exige également que l'on institue le «cadastre fiscal» et que l'on revienne aux anciennes «tournées de recensement». Ceci étant, il faudrait être réaliste. De par le monde, ce n'est pas l'impôt sur le patrimoine qui constitue la principale ressource fiscale, loin s'en faut. Et au final, une bonne gestion de l'impôt sur le revenu (personnes morales et physiques) permettrait même de se passer de l'impôt sur le patrimoine, qui est une technique de taxation chargée de sous-entendus plus idéologiques que techniques.