Le « ciel » de la bipartite aurait pu être radieux sans le vent de la protestation des Fédérations de l'industrie agroalimentaire et des retraités, affiliées à l'UGTA. La première s'élève contre le processus de privatisation du secteur de l'agroalimentaire qui compte près de 90 000 ouvriers. La seconde conteste la décision du chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia - prise le 4 août dernier -, exhortant les Caisses de retraite, de sécurité sociale, d'assurance contre le chômage ainsi que les mutuelles à déposer leurs avoirs auprès du Trésor public. Les deux Fédérations, chacune à sa manière, chauffent le « bendir » dans le sillage de la bipartite. Kamel Benabbou, secrétaire général de la Fédération nationale de l'industrie agroalimentaire, a une nouvelle fois annoncé hier la couleur : « Nous allons obliger le gouvernement à entendre notre voix. Nous connaissons assez bien son fonctionnement. Rien ne se donne en Algérie. Tout s'arrache et souvent par le prix le plus cher. Nous sommes armés pour défendre notre gagne-pain. » M. Benabbou relève avec regret que les revendications des travailleurs de l'agroalimentaire n'ont pas été incluses dans l'ordre du jour de la bipartite. « Le gouvernement fait semblant de nous ignorer et le secrétaire général de l'UGTA n'a pas apprécié nos méthodes choisies pour revendiquer nos droits », souligne-t-il. A ses yeux, Abdelmadjid Sidi-Saïd est hésitant : « Il est d'accord sur le fond, mais non sur la forme. Il a une nouvelle perception de la contestation qui n'est pas celle du recours à la rue et aux grèves. » La Fédération de l'agroalimentaire devance ainsi sa tutelle pour occuper le devant de la scène sociale. Pour ce faire, la fédération organisera un meeting à la Maison du peuple (siège national de l'UGTA) le 20 septembre, quelques jours seulement avant la tenue de la bipartite, prévue la fin de ce mois. Dans le cas où cela n'aurait pas d'influence sur les discussions bilatérales (UGTA-gouvernement), il faudrait s'attendre à une vague de protestation plus large dans les mois à venir. DÉTERMINATION C'est du moins ce que promet M. Benabbou. Même son de cloche chez les retraités, qui, par la voix de leur fédération, sortent de leur réserve pour se révolter contre Ouyahia. M. Azzi, secrétaire général, se dit « ahuri » par la décision unilatérale du gouvernement. Il considère que cette décision est « grave » dans la mesure où elle « remet en cause le principe sacro-saint disant que les caisses de la Sécurité sociale sont le patrimoine des travailleurs et des employés parce que ce sont eux qui les alimentent et non pas l'Etat ». Ainsi, à ses yeux, cette question est primordiale et devra être prioritaire lors de la bipartite. « Nous avons interpellé la centrale syndicale afin de prendre ses responsabilités », indique-t-il, avant de brandir la menace : « Si la centrale se tait sur cette question, nous prendrons nos distances et nous poursuivrons notre lutte par tous les moyens, y compris en optant pour le recours à la grève générale. » M. Azzi ira plus loin en qualifiant la décision du gouvernement de « hold-up ». Pourquoi ? Selon lui, la CNAC, à titre d'exemple, perdra, suite à l'application de la décision d'Ouyahia, près de 2 milliards de dinars. Cet argent représente les intérêts de son placement à long terme dans une banque. Devant de telles mesures, les deux fédérations se déclarent solidaires pour faire aboutir leurs « doléances ». Elles affichent leur détermination à aller jusqu'au bout. Arriveront-elles à faire pression sur la centrale syndicale pour qu'elle prenne sérieusement leurs plateformes de revendications ? Abdelkader Malki, secrétaire national chargé des relations publiques à l'UGTA, tente de tempérer les ardeurs. Selon lui, le secrétaire général, Abdelmadjid Sidi-Saïd, « essaiera de trouver une solution dans le cadre de la bipartite, voire en dehors de cela ». Le discours nuancé tenu par M. Malki concernant les problèmes soulevés par les deux fédérations peut laisser à penser que la marge de manœuvre est réduite. Car bien que reconnaissant la légitimité des revendications des travailleurs du secteur agroalimentaire ainsi que celles de la Fédération des retraités, il soulignera que « l'Algérie est condamnée à mener ces réformes pour s'accrocher au train de l'économie de marché ». Une manière pour lui de renvoyer, de manière très diplomatique, les « exigences » de la Fédération de l'agroalimentaire à l'épineux registre lié à la grande problématique des privatisations. Quid du problème des retraités ? M. Malki a adopté la même attitude. Il a estimé que la réforme du système de la retraite « déjà amorcée » fait également partie du processus de modernisation engagé par le pays. En revanche, M. Malki rassure que les travailleurs y seront associés. Néanmoins, il annoncera que la décision du gouvernement relative aux Caisses de retraite sera abordée lors de la bipartite, même si elle ne figure pas à l'ordre du jour, et ce, du fait de sa prépondérance.