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Les aveux déconcertants de Bakhti Belaïb
Industrie et exportations hors hydrocarbures
Publié dans El Watan le 02 - 05 - 2016

Promouvoir et diversifier les exportations hors hydrocarbures est la seule clé en mesure de libérer l'économie nationale de la trappe de l'or noir. Ce discours, décliné par nos officiels à toutes les sauces et tous les refrains, vire à une bien lassante rengaine.
Voilà des années et des années que ces mêmes officiels sont à la recherche de la formule magique susceptible d'aider nos PME/PMI à exporter, exporter plus et à mieux exporter.
Et, le ministre du Commerce, Bakhti Belaïb, à l'instar de ceux qui l'ont précédé, l'a laissé implicitement entendre lorsque, face à un parterre composé de quelque 200 opérateurs économiques, transitaires, représentants des administrations douanière et fiscales, banques, chambres de commerce et d'industrie, d'organisations patronales et autres de la région Est, il a reconnu, avec dépit : «Je ne veux pas m'illusionner ni vous illusionner : les services censés accompagner nos PME à l'export sont absents.»
Et, d'ajouter : «Même si on libère l'acte d'exporter de toutes les contraintes, l'environnement ne s'y prête pas. Il n'est pas coopératif. Nous avons une culture plutôt orientée vers l'importation : les 2/3 des calories alimentaires sont importées». Au complexe hôtelier Sabri où ils ont été rassemblés il y a quelques jours à l'initiative de la dynamique équipe de la CCI Seybouse Annaba, les patrons, venus en nombre, s'attendaient à une ou des annonces majeures de la part de l'illustre hôte.
Or, ils avaient beaucoup plus eu droit à un quasi-aveu, frappant, sur l'échec de la politique visant à faire du commerce extérieur Hors hydrocarbures (HH) une alternative au tout-pétrole, irréversible aujourd'hui plus que jamais, vu que la conjoncture financière du pays est à la morosité. Pis, nombre d'opérateurs se demandaient, en aparté, si le ministre ne serait pas, en réalité, venu dire qu'«il avait les mains liées, que ses marges de manœuvre sont limitées face à un lobby de l'import/import, de plus en plus puissant, qui l'empêche de mener librement et efficacement son plan d'action en vue d'inverser la courbe de import/export» ? Interrogation que pourrait tolérer un simple décryptage des propos de M Belaïb : «Je ne connais pas un pays au monde qui accorde des facilités déconcertantes pour les commerçants étrangers, lesquels (commerçants) sont devenus des relais pour les exportations de leur pays d'origine.
Dans les deux engagements commerciaux, l'accord d'association avec l'UE et l'adhésion à la Grande Zone arabe de libre échange (GZALE), des facilités inouïes sont offertes aux pays des deux ensembles régionaux pour placer leurs produits alors qu'on nous refuse la réciprocité», s'emportait-il. Pour ce qui est des pays de la Zone arabe, a-t-il renchéri, «nous avons arrêté une liste négative de 400 produits qui nous accable et nous avons maintenu cette liste négative. Je ne connais pas un pays au monde qui sacrifie son industrie. Le basculement vers l'universalité est un exercice extrêmement difficile».
Désequilibre des relations commerciales
Dans les différentes réponses de «Monsieur OMC» aux interpellations des patrons de PME exportatrices de Annaba, Souk Ahras, El Tarf et Skikda au sujet des innombrables contraintes bureaucratiques, bancaires et surtout logistiques auxquelles ils se heurtent pour exporter, ce non moins difficile exercice était perceptible, une exaspération envers certaines instituions du pays. Mais son mécontentement était plus marqué lorsqu'il parlera du déséquilibre profond par lequel se distinguent les relations commerciales avec les partenaires du Vieux Continent : «Il n'y a pas si longtemps, j'ai rencontré, à sa demande, le chef de la délégation de l'UE à Alger. Il était censé venir seul. Or, à ma grande surprise, le diplomate s'était présenté en compagnie de pas moins d'une dizaine d'ambassadeurs. L'objet de l'entrevue : s'enquérir des dispositions relatives à la répartition des quotas que prévoit le nouveau dispositif des licences d'importation des véhicules. En d'autres termes, ils revendiquaient leurs parts de marché et défendaient, de manière bilatérale, leurs intérêts. Et je me demande pourquoi nous on nous récuse le droit de défendre nos intérêts ?» s'offusque Belaïd Bakhti.
Ce dernier n'a, au passage, pas ménagé les siens, décochant une flèche acerbe en direction de ceux, sans les nommer, qui étaient à l'origine de la suppression de la Valeur administrée (VA) : «Tous les pays recourent aux mesures de protection de la production nationale alors que nous, nous avions renoncé, en 2001, à la valeur administrée», s'indigne M. Belaïb. Instituée cinq ans auparavant, cette disposition douanière avait pour finalité de mettre la production nationale à l'abri de la concurrence déloyale induite par les importations anarchiques ayant envahi le marché local.
A l'époque, la remise en cause de cette décision «périlleuse», prise dans la foulée de la refonte des tarifs douaniers en prévision de l'adhésion de notre pays à l'OMC et la zone de libre échange avec l'UE, était perçue par les fortunes alors émergentes ainsi que par certains ministres qui les protégeaient comme une aberration, pour ne pas dire un non-sens. Et ils n'avaient peut-être pas tort : fermer le robinet aux bénéfices substantiels à l'import qui coulaient à flots était «antiéconomique». Justement, un des participants, exerçant dans la filière de la tomate industrielle, y a fait allusion lorsque, en marge de la rencontre, il nous interpella : «Jusqu'à aujourd'hui, nous subissons les conséquences de telles décisions qui vont à l'encontre du discours officiel prônant la protection de la production nationale.
Sinon, comment peut être interprété le fait que l'on continue d'autoriser les importations massives de Triple concentré de tomate (TCT) étranger ? Plus d'une centaine de containers en provenance de Chine viennent d'être débarqués, tout récemment, dans un port de la région Est. Le comble, cet arrivage de TCT intervient à quelques semaines du lancement de la campagne 2015-2016 et au moment où les conserveries traînent des stocks d'invendus de l'ordre de 30 000 à 40 000 tonnes. La campagne dernière, nous avons réalisé 120 000 tonnes pour des besoins nationaux de consommation d'environ 80 000 tonnes. La mévente chronique de notre produit - essentiellement due aux importations inexpliquées de TCT chinois - dans laquelle s'enlise la filière, nous met dans l'incapacité d'honorer nos engagements vis-à-vis des banques», s'indigne notre conserveur.
Exporter : un parcour de combattant
D'après lui, M. Alioui, patron de l'Union nationale des paysans algériens (UNPA), en sait quelque chose et s'y est longuement étalé, lors de son passage à Annaba, la semaine dernière. Et la même source d'ajouter : «En évoquant la VA, presque 15 ans près sa disparition, le ministre du Commerce a laissé entendre que tout a été fait pour transformer notre pays, qui ne manque pas de potentiel à l'export, en un grand bazar, joyeusement ouvert aux produits européens, arabes, asiatiques…, le plus souvent de qualité douteuse».
Serait-ce donc son opposition, éventuelle, à l'annulation de cette VA qui aurait valu à M. Belaïb son départ du département du Commerce dont il fut le locataire de 1996 à 1999 ? En tout cas, une chose est sûre : depuis sa reprise des rênes de la maison (mi-2015), il est résolument déterminé à accompagner dans leur combat les industriels nationaux, notamment ceux versés dans l'activité export. Leur étant exclusivement dédié, un numéro vert devrait être déployé dans les tout prochains jours «aux fins de remédier à vos préoccupations en temps réel, celles afférentes aux procédures bancaires», a-t-il, depuis Annaba, annoncé aux chefs d'entreprise, les exhortant, en revanche, à améliorer leurs performances industrielles en faisant expertiser leurs atouts et faiblesses. Comme il les appellera à s'informer et se rapprocher davantage des organismes d'accompagnement (CACI, Cagex, Promex, Algex et Cncpe). A ses yeux, «s'initier à certains aspects techniques : aspects réglementaires, juridiques, logistiques, financiers et définition des prix à l'export vers le ou les marchés convoités à des coûts maîtrisables est plus que nécessaire.
De même que l'adhésion impérative à la démarche qualité afin de rendre plus attractifs les produits nationaux et l'élaboration de stratégies de marketing adaptées aux fins d'une meilleure visibilité». Ce dernier objectif, au même titre que la contribution à l'épanouissement des PME exportatrices, et plus généralement au développement du réflexe de l'international, n'est-il pas aussi du ressort de nos officiels en poste à l'étranger ? D'autant que, comme nous l'a si bien souligné un exportateur des produits du terroir basé à Annaba, «beaucoup de pays du bassin méditerranéen dont nous sommes culturellement proches et tant d'autres voisins d'Afrique font bénéficier leurs PME, dans le cadre de transactions commerciales ou projets de développement à l'international, du soutien du réseau diplomatique».
Comment ? «En mettant face à face, en interaction et de manière cyclique, le monde des affaires et la diplomatie. Ce qui permet aux patrons, le temps d'un dialogue direct et personnalisé, d'échanger et de faire le point sur leurs projets d'exportation/expansion avec leurs représentants dans les pays abritant les marchés convoités», explique-t-il. Tout cela est certes bien beau, mais qu'en est-il des pratiques commerciales frauduleuses, des transferts illicites de capitaux et blanchiment d'argent auxquelles ont recours plus d'un industriel et importateur ?
«Ces pratiques sont loin d'être une particularité algérienne. De grands exportateurs européens et asiatiques sont à ce jour bloqués à Dubaï, car traqués par les services de répression des fraudes de leur pays d'origine», répliquera notre interlocuteur. Tout en rappelant que la liberté de commercer était un principe universel, le ministre, quant à lui, bien qu'il ait admis que «dans la sphère marchande, le taux de délinquance est très élevé et nous en sommes conscients», se réjouira, néanmoins, «de l'efficacité des mesures anti-fraude déjà en vigueur et qui sont très importantes (fichier national des fraudeurs). Le dispositif de lutte devrait être appuyé par d'autres mesures encore plus coercitives».


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