En exigeant de la Turquie la reconnaissance du génocide arménien, le président Chirac se conforme aux traditions des valeurs républicaines françaises, celles des droits de l'homme en particulier. L'exigence française se veut un impératif de justice et d'équité envers un peuple opprimé. Mais ne serait-il pas aussi du devoir du chef de l'Etat français de se montrer aussi soucieux de reconnaissance pour ce qui est de l'histoire coloniale de son propre pays ? Le devoir de mémoire ne s'impose-t-il pas à l'Etat français, un demi-siècle depuis la fin des colonies ? Faut-il rappeler — les historiens l'ont montré — que l'empire colonial français s'est édifié par la force des armes et la répression contre des millions d'indigènes dépossédés de leurs biens, réduits au statut de sous-citoyen. Nous sommes loin des « bienfaits de la colonisation », lesquels, soulignons-le, ont, d'abord et avant tout, profité aux populations européennes des colonies, laissant à la marge la masse des colonisés. A deux jours de la commémoration des événements du 17 octobre 1961, des milliers d'Algériens, rescapés de cette journée « portée disparue », et les familles des victimes attendent que l'Etat français reconnaisse qu'en ce 17 octobre 1961 fut perpétré en son nom un massacre de manifestants pacifiques. Il en est de même pour le massacre de milliers d'Algériens le 8 mai 1945. La mobilisation d'un large pan de la société française, à sa tête des historiens, a eu raison de la codification des « bienfaits de la colonisation ». Il reste la reconnaissance officielle du passé colonial que l'Etat français ne peut indéfiniment occulter. En effet, la France n'a toujours pas reconnu ses responsabilités coloniales, notamment en Algérie. N'est-ce pas de l'honneur d'une nation de reconnaître ses erreurs, les crimes commis en son nom ? Cela s'appelle un devoir de mémoire. Et ce devoir ne s'impose-t-il pas comme il s'est imposé pour la période de la collaboration vichyste avec l'Allemagne nazie ? Ne serait-ce pas un devoir de justice et d'équité envers les descendants des victimes de la colonisation, de manière générale, et ceux qui sont citoyens français, en particulier ?