Alors que la puissante onde de choc provoquée par le séisme financier du Panama Papers ayant frappé la planète toute entière ne s'est pas encore dissipée, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) vient de jeter un pavé dans une mare qui est toujours aussi agitée. En effet, dans un n ouveau rapport sur la tendance de l'investissement mondial, publié le 3 mai dernier, l'Agence onusienne a, depuis son siège à Genève, projeté sur la scène internationale la cartographie quantitative des investissements offshore et fait ressortir le rôle des centres financiers extraterritoriaux à la fiscalité avantageuse (paradis fiscaux et entités ad hoc situées dans des papys tiers) qui les abritent. En 2015, pas moins de 221 milliards de dollars ont, ainsi, été injectés par les entreprises multinationales vers des sociétés écrans aux fins de l'optimisation fiscale. Bien qu'ils aient reculé, constatent les experts de la Cnuced, les fonds acheminés vers des centres financiers - à la fiscalité intéressante - demeurent tout de même conséquents. Les volumes vers les centres offshore sont donc loin des 132 milliards de dollars enregistrés en 2013. Mais ils sont stables et ont atteint malgré tout en 2015 plus de 70 milliards. Et si les deux paradis fiscaux des îles Vierges britanniques et îles Caïmans ont, à eux seuls, absorbé 72 milliards de dollars du total des investissements offshore, le Luxembourg et les Pays-Bas en sont les principaux destinataires. Mais, apprend encore le rapport onusien, «en raison de nouvelles règles européennes destinées à combattre les pratiques abusives d'évasion fiscale, des milliards de dollars ont été sortis de ces pays du Benelux au dernier trimestre 2015». S'agissant de l'origine, l'agence onusienne fera remarquer que les fonds offshore versés dans des paradis fiscaux proviennent désormais des pays en développement ou émergents vu que les investissements depuis ces régions sont en augmentation. «Substantielles pertes fiscales» A titre d'exemple, argumente-t-elle, le trio Russie-Chine-Brésil a représenté plus des 3/4 des capitaux offshore investis dans les îles Vierges et les îles Caïmans, entre 2010 et 2014. Néanmoins, au cours de cette dernière année, des entreprises basées dans près d'une vingtaine de pays développés ont enregistré plus de profits aux Bermudes (43 milliards de dollars) qu'en Chine (26 milliards). Devant l'ampleur inouïe prise ces dernières années par les investissements offshore, la Cnuced qui «examine les grands enjeux de la protection et de la promotion de l'investissement international analyse le traitement fiscal de l'investissement international, notamment la contribution des sociétés multinationales au budget des pays en développement», tire la sonnette d'alarme sur les «substantielles pertes fiscales» auxquelles doivent faire face les gouvernements et qui sont imputables à l'évasion fiscale. D'où son plaidoyer pour la prise de mesures urgentes et son appel à davantage de coordination internationale en matière d'investissements et de politique fiscale. D'autant que les enjeux sont loin, bien loin, d'être négligeables : le volume, la direction des flux et l'infrastructure mondiale de financement de l'Investissement direct étranger (IDE) sur lesquels agissent de manière systémique les paradis fiscaux en sont tributaires. En effet, comme l'explique la Cnuced dans son 25e rapport sur l'investissement mondial, plus d'une analyse de l'évasion fiscale, sous l'angle de l'investissement, ont permis d'établir que pas moins de 30 % du stock mondial d'IDE sont passés par des centres extraterritoriaux avant d'atteindre leur destination en tant qu'actifs productifs. «Bien que d'autres facteurs peuvent aussi entrer en jeu, le rôle des centres extraterritoriaux dans l'investissement des entreprises multinationales s'explique largement par la planification fiscale», estiment les experts de l'agence des Nations unies. A leurs yeux, ces multinationales «actionnent plusieurs leviers pour échapper à l'impôt, notamment les écarts de taux d'imposition entre pays, les différences de législation entre Etats et les conventions fiscales. Leur planification fiscale repose sur des montages complexes à plusieurs strates». Mais, est-il relevé dans le volumineux document onusien, les deux principaux mécanismes consistent surtout en l'optimisation par manipulation des prix de transfert des actifs incorporels et l'optimisation par le financement. A la base de la majeure partie des pratiques d'évasion fiscale, «ces deux mécanismes font appel à des structures d'investissement impliquant des entités sises dans des centres extraterritoriaux». Pays en développement : 100 milliards de dollars/an de pertes L'évasion fiscale à laquelle ont recours les entreprises multinationales est un phénomène dont aucun n'est à l'abri : «L'exposition aux investissements provenant de centres financiers extraterritoriaux est à peu près équivalente dans les pays développés et dans les pays en développement». Toutefois, met en garde la Cnuced, «le transfert de bénéfices hors des pays en développement peut avoir de graves répercussions sur leurs perspectives de développement durable. Faute de compétences et de ressources techniques suffisantes, ces pays sont souvent mal armés pour surmonter la complexité des pratiques d'évasion fiscale». Pour mieux mettre en relief l'étendue des effets pervers du phénomène sur la santé de l'économie mondiale, le rapport livre un chiffre accablant : l'évasion fiscale prive le développement d'importants moyens de financement. Sur le stock intérieur d'investissements directs via les centres extraterritoriaux, elle prive les pays en développement de quelque 100 milliards de dollars/an en termes de recettes fiscales. Pour la Cnuced, le rapport entre la part d'investissements provenant de centres extraterritoriaux dans le stock intérieur d'IDE des pays d'accueil et le taux de rendement déclaré (imposable) de l'IDE est bien réel. Raison pour laquelle «des mesures s'imposent pour lutter contre l'évasion fiscale. Mais leurs effets sur l'investissement international doivent être soigneusement évalués en général et l'IDE en particulier», recommandent les experts de la Cnuced. Aujourd'hui, faut-il le souligner, les IDE représentent plus de 40% du financement extérieur du développement des pays en développement. Estimés à 1230 milliards de dollars en 2014 contre 1400 en 2015, les entrées mondiales d'IDE devraient atteindre 1500 milliards de dollars en 2016 et 1700 en 2017. Les premiers pays bénéficiaires au monde sont les pays en développement d'Asie avec près de 500 milliards de dollars. Par contre, en Afrique où les multinationales engrangent de substantielles plus-values, souvent transférées vers les paradis fiscaux, autrement dit investies en terres moins «hostiles», le volume d'IDE stagne autour de…10 fois moins. Tout y est dit !