Par Faouzia Belkichi A l'ère des places financières "propres", le vocabulaire financier mondial n'a jamais été aussi "compliant", ou "conforme aux réglementations" (pour plus de crédibilité, préférer l'anglais). Certains mots sont bannis par les régulateurs, les banques, et jusque par les médias financiers: "paradis fiscal", "argent sale", "évader le fisc" sont obsolètes. Tout un lexique réglementaire et commercial s'y est substitué. L'argent hors de portée du fisc s'appelle "offshore", le paradis zéro impôt se dit "fiscalement neutre", l'évasion se traduit par "optimisation", "minimisation", "économie" d'impôt. La "due diligence" et le "KYC" (Know Your Customer) s'érigent en barrières fiables face à la clientèle "sensible" ou "à risque accru". Et la réalité, dans tout cela? Le monde "compliant" a blanchi 460 milliards de dollars dans les banques de par le monde en 2007, selon Celent Communications, un montant en progression constante. De puissantes places financières comme le Delaware doivent leur gloire à une fiscalité dérogatoire pour les holdings des multinationales et pour les revenus des CEO. Les îles Caïmans sont le domicile de choix permettant aux gérants de hedge funds d'"offshoriser" des centaines de millions de profits chaque année au lieu de les rapatrier, et donc de les empocher hors taxe. Les protagonistes ont changé: à la place des fortunes de l'aristocratie européenne du XXe siècle, ceux qui s'extraient du fisc sont aujourd'hui les fortunes entrepreneuriales, politico-affairistes, artistiques et sportives. Les relocalisations physiques remplacent les valises de billets de style "après-guerre". Et à la place des potentats du Sud façon années 80, ceux qui blanchissent de l'argent aujourd'hui sont d'obscures organisations para-étatiques, est-européennes, ou encore chinoises, aux moyens considérables et aux montages financiers rigoureusement intraçables. Comment expliquer ce décalage entre mots et réalité? Par l'interdépendance totale entre places financières. Si les îles anglo-normandes venaient à subir les attaques de l'OCDE, UBS et Crédit Suisse seraient les premières contrariées pour leurs opérations de trusts à Guernesey et Jersey. Et quelle grande banque supporterait aujourd'hui que Dubaï soit inquiétée? Banques et multinationales ont investi dans les places qui comptent, "délocalisant" opportunément le risque de blanchiment et d'évasion. Les gros intérêts financiers ont un rôle pour chaque juridiction. Et l'arsenal réglementaire tant vanté? Une façade marketing idéale pour les places financières.