L'Algérie dispose-t-elle d'un cadre juridique et réglementaire suffisamment efficace pour lutter contre la contrefaçon ? C'est cette question qu'ont débattue 13 spécialistes, dont des chercheurs universitaires, des avocats algériens et étrangers, le chef d'inspection régionale du Centre algérien de contrôle de la qualité et de l'emballage (CACQE) et un représentant des Douanes algériennes. Et ce, au cours d'un séminaire international portant sur «La lutte contre la contrefaçon : réalité et perspectives» organisé par l'ordre régional des avocats de Béjaïa au campus d'Aboudaou. Le choix du thème, selon les organisateurs, «est dicté par l'impérieuse nécessité de lutter contre le phénomène de la contrefaçon par une connaissance théorique exhaustive de ce fléau, ainsi que par une sensibilisation sur le péril qu'il représente et qu'il fait courir à l'économie nationale». Ce fléau est devenu plus inquiétant lorsque les produits contrefaits prennent les sentiers de la contrebande et sa connexion avec le terrorisme. Les participants à ce séminaire que nous avons interrogés s'accordent à dire que «l'arsenal juridique algérien comporte des vides et des brèches qui le rendent inefficace et loin de faire face à l'ampleur du phénomène». Pour eux, il est nécessaire d'actualiser et de mettre à jour le cadre législatif et réglementaire, de renforcer les moyens humains et de contrôle ainsi que de durcir les sanctions civiles et pénales pour assurer un dédommagement consistant aux victimes. Le Dr Djallal Messaâd de l'université de Tizi Ouzou, qui a développé le thème de la «Pénalisation du phénomène de la contrefaçon des marques commerciales : causes et dangers», pense que «malgré le durcissement des peines qu'a opéré le législateur algérien à l'encontre des contrefacteurs, cela n'a rien changé à l'ampleur du marché des produits contrefaits». Pour elle, l'ouverture de l'Algérie sur le marché mondial, le développement des technologies de la communication, du transport et bien d'autres facteurs d'ordre social ont favorisé la propagation de la contrefaçon. Elle a regretté, en outre, qu' «en face, nous avons des lois qui sont restées inchangées depuis 1997 et qui se sont avérées inefficaces, dépassées et qu'il faudt actualiser». D'après les statistiques de la direction générale des Douanes, plus de 1,151 million d'articles contrefaits ont été saisis au cours des neuf premiers mois de l'année 2015, contre 586 750 en 2014. Le total des produits retenus pour suspicion de contrefaçon depuis 2007 jusqu'à l'année 2015 est de 9,5 millions d'unités, selon la même source. Les produits récupérés concernent à 64,41% de produits alimentaires, 29,40% de produits cosmétiques (29,40%), 3,37% d'équipements électriques, et 2,61% d'articles sportifs. Et, jusqu'à avril 2016, près de 800 000 CD piratés ont été saisis et détruits. Contrairement aux années 2000-2005, le bilan établi en 2015 par l'inspection divisionnaire des Douanes mentionne que l'Espagne occupe désormais la première place des pays d'origine de produits contrefaits avec plus de 50% des produits, suivi par la Chine avec 32%, puis la Turquie et l'Inde qui viennent, respectivement, en troisième et quatrième positions. Dans sa communication intitulée «La Contrefaçon, un phénomène d'ampleur internationale qui se hisse au rang du terrorisme», le chef d'inspection régionale du CACQE Constantine, Karim Krid, dira que «les liens entre la contrefaçon, la criminalité organisée et le terrorisme sont bien prouvés», avant de paraphraser Ronald K. Noble, secrétaire général d'Interpol en 2003, qui soulignait que «le lien entre les groupes du crime organisé et les produits de contrefaçon est bien établi. Mais nous tirons la sonnette d'alarme, car l'atteinte à la propriété intellectuelle est devenue la méthode de financement préférée des terroristes». Des aveux qui ont été appuyés dix ans plus tard par le sénateur Richard Yung, auteur d'une proposition de loi de lutte contre la contrefaçon, qui rappelait que «le commerce de marchandises contrefaisantes participe au financement de nombreuses organisations maffieuses et terroristes, qui pratiquent la contrefaçon pour blanchir de l'argent sale». Ainsi, tout le monde s'accorde à dire que «la contrefaçon est également une manière pour des groupes terroristes ou maffieux de diversifier leurs sources de revenus dans le cadre de sanctions pénales plus faibles par rapport au trafic de stupéfiants». La preuve : un autre rapport de Transcrime a clairement établi qu'au «sein de l'Union européenne, la contrefaçon s'élèverait à près de 43 milliards d'euros par an contre environ 28 milliards pour le trafic de stupéfiants dans son intégralité».