Après une période de dynamisme, la croissance du secteur privé stagne à 1,4% depuis 2005. Quelles sont les raisons de ce ralentissement ? Il est curieux de noter qu'en période de relance économique, le secteur privé ralentit sa croissance. Si les statistiques sont bonnes -l'on sait qu'il y a un problème de statistiques en Algérie- la situation est très mauvaise. Les pays qui ont réussi leur transition ont tous constitué un secteur privé dynamique et efficace, capable de tirer l'économie nationale vers le haut. Si la tendance à la baisse se confirme, les choses sont graves. Les raisons sont multiples. Nous avons une politique économique centralisée. Or, le secteur privé se développe très peu avec des politiques économiques étatiquement centralisées. L'on veut apparemment impulser une dynamique de développement par les grands projets. Dans ce contexte, on favorise les entreprises publiques. L'on octroie des projets et des ressources qu'aux grandes entreprises étatiques. Il y a d'ores et déjà un effet d'éviction. Le développement du secteur privé n'est pas compatible avec le type de politique qu'on est en train de mener. Mais il faut dire qu'il y a aussi d'autres contraintes qui minent le secteur privé à l'exemple mauvais ciblage du crédit, (ce ne sont pas les meilleures entreprises qui obtiennent un crédit bancaire), les ressources ne sont pas orientées vers la création d'entreprises, le marché du foncier pose problème, les cotisations sociales et la lourde imposition. Vu toutes ces contraintes, la plupart des activités fuient vers le secteur informel. C''est ce qui explique qu'elles n'apparaissent pas dans les statistiques. L'Etat a certes essayé d'impulser une dynamique du secteur privé à travers, le fonds de garantie, la diminution de l'IBS, mais tout cela reste insuffisant au regard des exigences et des contraintes de ce secteur. Cette situation est-elle, d'après vous, une tendance ou est-ce juste conjoncturel ? Si les politiques économiques ne changent pas, la dégringolade se poursuivra. D'autant que notre pays tend à s'ouvrir davantage à l'économie internationale. Ces entreprises vont perdre des parts de marché. Le plan de mise à niveau lancé par le programme Meda n'ont pas encore donné de bons résultats. Le fonds de la PME devrait être élargi et géré efficacement. Il faut s'attaquer aux racines du mal (crédit, foncier, marché informel, politique de création d'entreprises, participation des entreprises privées dans les projets nationaux…). L'Etat devrait également revoir sa politique de centralisation afin de créer toutes les conditions pour le développement du secteur privé. Le plan Meda est bon mais il est trop insuffisant pour remédier aux problèmes. Le ministre de la Participation a fait remarquer que le privé est pratiquement absent dans les "industries nobles". Est-ce que nos entreprises privées sont capables de s'y investir ? En premier lieu, il faut que l'Etat ait une politique industrielle. Il doit mettre en place les mécanismes pour privilégier certains segments de l'industrie ainsi que de garantir l'accès au terrain, la bonification des taux d'intérêts, le système de taxation…A ce moment là, les entreprises privées s'orienteront vers ces industries. Mais là, nous avons un Etat qui n'a pas de stratégie, aucune politique sectorielle. Il veut que ce soit le secteur privé qui le fasse pour lui. Il faut s'orienter également vers la professionnalisation des branches. Aujourd'hui, n'importe qui fait n'importe quoi. Qu'adviendra-t-il des entreprises privées après la deuxième étape de l'accord d'association avec l'Union européenne ? On est sûrs que des dizaines de milliers d'entreprises privées sont appelées à disparaître. C'est inévitable. Cela s'est passé dans pas mal de pays. Et toutes les conditions sont réunies pour que cela se fasse de cette manière en Algérie. Si on a des politiques décentralisées et efficaces, nous allons gagner des parts de marché dans certains secteurs comme l'agroalimentaire, tourisme, industries dérivés des hydrocarbures. Si l'on oriente le secteur privé vers ces activités et qu'on a des avantages compétitifs, on peut compenser la production et les emplois perdus. Nous pouvons même gagner beaucoup plus que ce que nous avons perdu. Mais si les conditions du développement des entreprises privées ne sont pas requises, ce secteur sera totalement laminé. Est-ce que l'appel aux investissements directs étrangers (IDE) est une solution ou est-ce qu'il ne ferait qu'étouffer les entreprises algériennes ? Les investissements directs étrangers doivent être orienté pour développer un partenariat public mais surtout privé. Les IDE ne sont pas une solution à eux seuls, sans le développement du secteur privé. Le fait que le secteur privé ne se développe pas est une indication que les IDE vont être faibles par rapport aux potentialités du pays. Il y a un effet de complémentarité. Le recentrage sur l'industrie publique décidé par les pouvoirs publics est-il une bonne idée ? C'est une grossière erreur. L'économie de marché doit être à dominante privé. Il faut créer les conditions favorables pour développer un privé harmonieux. A l'étape où l'on en est, personne n'a jamais réussi à rendre l'industrie publique efficace. On ne sait pas comment le faire. La meilleure solution serait de le privatiser ou d'investir en partenariat. L'Etat doit certes garder les entreprises stratégiques telles que Sonatrach, Sonelgaz…Mais le'économie de marché veut que les entreprises privées réalisent des schémas industriels développés par l'Etat. L'Etat veut être tout à la fois stratège, gestionnaire….. Moins de 400 entreprises ont été privatisées sur les 1200 qui étaient mises en vente. A quoi imputez-vous ces résultats ? Les résultats du processus de privatisation sont maigres parce qu'il a trop traîné. Les investisseurs internationaux se sont orientés vers d'autres cieux. Le fait est que les entreprises internationales s'intéressent seulement à 100 ou 200 entreprises algériennes. La plupart des autres entreprises trouvent difficilement des acquéreurs. Les repreneurs nationaux n'ont pas suffisamment de ressources pour reprendre ces entreprises. Il faudrait donc instaurer des systèmes de crédits les entrepreneurs privées et les cadres compétents afin d'accélérer ce processus. Mais force est de constater que ces trois dernières années, les choses ont bougé. La machine commence à se huiler. Le gouvernement a inscrit dans son programme la lutte contre le secteur informel. Qu'en pensez-vous ? Pour le moment, la mission s'avère difficile. C'est une stratégie qu'il faut enclencher. Il faut mettre en place les mécanismes nécessaires pour les réintégrer dans le secteur formel à travers l'amélioration du climat des affaires, le règlement du problème du foncier, l'assainissement de l'administration, . En puisant tous ces éléments, en accordant des crédits bancaires pour qu'ils puissent se développer et en baissant les taxes, on pourrait absorber une grande partie de l'activité informelle. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que cette activité emploie beaucoup de personnes. Lorsque le taux de chômage sera suffisamment bas, quand on sera à même de créer près de 100.000 entreprises par an, il sera plus facile de lutter contre l'informel puisqu'il n'aura plus sa raison d'être. Pour le moment, il n'est pas possible de s'y attaquer de manière frontale car il représente aux yeux des jeunes qui y travaillent, une soupape de sécurité. Et pour ce qui est du foncier industriel… Cela pose le problème de toute la politique de gestion de l'urbanisme. 85% de la population vit sur 5% du territoire qui sont, soit dit en passant, les plus exposées aux séismes. Il important qu'il y ait une politique de décentralisation et de créer des villes et des activités. Le plan de 100 milliards de dollars aurait pu servir à une meilleure implantation de l'urbanisme. L'on développerait ainsi des dizaines de zones industrielles. Plusieurs pays ont développé le système des démolitions- reconstructions. L'on cherche toujours de nouvelles terres alors que certaines sont mal utilisées, mal équipées...Il serait plus judicieux de créer des entreprises spécialisées en démolition et reconstruction.