Mohamed Laksaci, qui occupait depuis 15 ans le poste de gouverneur de la Banque d'Algérie, a été démis de ses fonctions à l'occasion du Conseil des ministres du 31 mai dernier. Ce n'est pas un événement qui bouleversera le fonctionnement de la Banque centrale algérienne, qui a, comme on le sait, perdu son autonomie à l'arrivée du président Abdelaziz Bouteflika, qui avait, on s'en souvient, promulgué une ordonnance modifiant certaines dispositions de la loi sur la monnaie et le crédit régissant cette institution. Une institution censée avoir toute l'autonomie nécessaire pour concevoir et appliquer des politiques monétaires indépendamment de toute influence extérieure, y compris celles, qui proviendraient de l'exécutif en place. La situation n'est à l'évidence pas la même que celle du début des années 1990, époque à laquelle la Banque d'Algérie, dirigée par Abderrahmane Hadj Nacer, avait une réelle souveraineté et pesait de tout son poids sur le cours des réformes monétaires qui avançaient à grands pas avant d'être stoppées net par son limogeage et son remplacement par des gouverneurs de moindre envergure et, de plus en plus, soumis aux ordres du président de la République et du ministre des Finances. Avec l'arrivée de Abdelaziz Bouteflika en 1999, la fin de l'autonomie de la Banque d'Algérie allait être définitivement consommée pour n'être désormais plus qu'un appendice du pouvoir, avec à sa tête un gouverneur chargé uniquement d'exécuter les ordres en provenance des divers cercles du pouvoir. Tant que Mohamed Laksasi exécutait convenablement ces ordres, il n'avait absolument rien à craindre pour sa carrière, qui, du reste, a duré une quinzaine d'années, soit plus de deux mandats légaux fixés à 6 années chacun. On peut même affirmer que les 3 années supplémentaires qu'il a passées à la tête de cette institution sans mandat officiel que seul le président de la République est habilité à délivrer, n'avaient aucune couverture légale. Bien qu'on ne sache pas ce qui lui est précisément reproché, on est par contre sûr que l'ordre violemment relayé par le secrétaire général du FLN, Amar Saadani, a dû venir des plus hautes sphère du pouvoir, à savoir, le Président en personne, ou son frère, qui fait office de puissant conseiller. Tout peut alors être reproché à ce fonctionnaire, qui, selon ses proches collaborateurs, était pourtant réputé pour son zèle à exécuter les instructions venues d'en haut : la dérive du dinar, l'absence de guichets de change, la gestion des réserves de change, l'impact de la chute des prix du pétrole sur les finances publiques, sont les reproches les plus médiatisés, mais il y a sans doute d'autres. Des critiques auxquelles l'opinion publique refuse évidemment de croire, sachant que depuis la refonte de la loi sur la monnaie et le crédit, le gouverneur de la Banque d'Algérie n'est plus qu'un simple exécutant du pouvoir exécutif. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, toutes les décisions récemment prises par le gouverneur de la Banque d'Algérie pour juguler quelque peu les risques de dérapages monétaires (refinancement des banques pour éviter l'assèchement de leurs liquidités, cadrage des importations, etc.), n'ont pu être prises que sur injonction de la Présidence et, sans doute aussi, du ministre des Finances. L'affirmation est d'autant plus sûre que les instances de supervision et de contrôle que sont le Conseil de la monnaie et du crédit et la Commission du Contrôle Bancaire n'ont jamais pu fonctionner correctement, les administrateurs de ces instances étant souvent à court de mandats que le président de la République a très fréquemment omis de leur délivrer ou procéder à leur remplacement, comme l'exige la loi sur la monnaie et le crédit. Bien que bardé de diplômes et d'une longue expérience dans la gestion des banques publiques, son remplaçant Mohamed Loukal a, on le comprend, peu de chances d'échapper à ce rôle d'exécutant que la loi sur la monnaie et le crédit, modifiée précisément à cet effet lui assigne expressément. Il pourra dans le meilleur des cas mettre à contribution son génie de manager d'établissements bancaires pour mieux gérer les affaires courantes sans grands effets sur la politique monétaire du pays. Il pourra, comme il l'a si bien fait à la BEA durant son long mandat de PDG, faire d'heureuses transformations, comme par exemple moderniser l'unité de production de billets de banque, procéder à l'ouverture de nombreux guichets de change rattachés aux banques publiques, mettre fin à la pénurie de billets de banque dont souffrent périodiquement les agences postales, mais il ne pourra jamais s'opposer aux grandes décisions politiques, à l'instar des trop généreux transferts sociaux et des assainissements financiers pour le compte d'entreprises publiques en faillite, qui génèrent de l'inflation, si le gouvernement décide de poursuivre cette politique ruineuse génératrice de tensions monétaires.. En Algérie un gouverneur de Banque centrale n'a pas la souveraineté qu'ont ceux des pays occidentaux. En bon fonctionnaire, le gouverneur de la Banque d'Algérie n'a d'autre choix que de se soumettre ou se démettre.