Dalila Iamarene Djerbal est sociologue et féministe, membre du réseau Wassila/ Avife (Association contre les violences faites aux femmes et aux enfants). Elle revient, dans cet entretien sur la place de la femme dans la société algérienne et le rôle de certains médias algériens dans la montée de la violence. - Même si la loi accorde certains droits à la femme, les institutions entravent leur application. Peut-on expliquer ces pratiques comme étant une forme de résistance de certaines mentalités hostiles à l'émancipation de la femme ? Ce ne sont pas tant les «mentalités» qui entravent l'application des lois que la loi elle-même. La loi n'accorde pas de droit spécial à la femme, elle bénéficie en tant que citoyenne de l'égalité formelle inscrite dans la Constitution, mais égalité toute formelle, puisque le code de la famille vient remettre en question la réalisation de ses droits. Quel que soit leur statut social, elles sont des mineures dans l'espace privé, et demeurent sous autorité masculine, ce qui empêche la jouissance de tous les droits réels. Néanmoins des changements notables de leur condition ont eu lieu grâce à l'école, la santé et particulièrement la contraception, l'emploi, l'occupation de l'espace public. Mais mille et une formes de discrimination et de ségrégation et d'inégalités sont toujours à l'œuvre dans le fonctionnement social, que ce soit sur le plan institutionnel ou dans les pratiques des administrations, comme celles que vous citez. La loi sur les violences faites aux femmes, résultat d'une longue lutte des femmes, a posé le problème de la violence comme traduction concrète de «l'autorité» des hommes sur les femmes dans la vie quotidienne. Ce «droit de correction» que l'on nous sert aussi bien sur le plan religieux que juridique de «l'homme pourvoyeur de biens», ou «tuteur», est absolument inacceptable pour les citoyennes. Le contexte dans lequel a été prise cette loi doit être aussi précisé. La violence contre les femmes a pris des proportions terrifiantes sous le terrorisme islamiste. Le rapt et le viol collectif, la réduction en esclavage ne sont pas nés de nulle part, mais bien des pratiques sociales violentes et de leur banalisation, ce que reconnaît en fait cette loi. Pire, on avait justifié ces rapts et ces viols par des textes religieux, comme durant le débat sur la loi, nous avons eu et continuons d'avoir droit aux arguments religieux ou «culturels spécifiques» du respect de «l'autorité de l'homme» et de la «protection de la famille», de la «liberté des citoyens», hommes bien sûr, d'user de leur «droit de correction» sans immixtion de l'Etat. Les institutions et les personnes qui appliquent la loi appartiennent à cette société et cela est particulièrement vrai pour le secteur de la justice qui n'a jamais été ouvert aux changements sociaux ni brillé par son avant-gardisme. La loi vient seulement entériner des changements déjà en cours dans la société et difficilement réfutables. Et effectivement, les résistances sont fortes à la reconnaissance du rôle social et politique des femmes et à l'égalité en droit et en dignité. Ces résistances ont des relais de propagande dans les médias liés aux intérêts économiques et politiques. L'égalité entre femmes et hommes risque de remettre en question les inégalités sociales, alors que le discours dominant est qu'on doit accepter les différences de statut économique, social et donc de sexe comme quelque chose de donné, tout est affaire de «mektoub», d'inégalité naturelle, il faut donc accepter les dirigeants, l'imam, le père, l'époux. Les femmes doivent rester essentiellement des consommatrices de téléphonie, et autres produits abondamment exposés dans les chaînes de TV privées. Des religieux se font les chantres des pires inepties et insultes envers les femmes et leur dignité, et des programmes appellent à la violence. Que faire alors si ce n'est poursuivre la lutte pour l'égalité et la dignité ? - La discrimination envers la femme se manifeste aussi par le refus à cette dernière d'entreprendre un simple acte tel que la signature d'une autorisation à son enfant afin de pratiquer un sport. Ne s'agit-il pas là d'une ségrégation institutionnalisée ? Nous avons déjà une expérience de la justice dans l'accompagnement des femmes victimes (et des enfants) et nous avons souvent été absolument scandalisées par certaines décisions des tribunaux, où les victimes étaient malmenées et devenaient des coupables. La victime de violences conjugales était déboutée de sa plainte pour CBV ou de sa demande de divorce car : «Qu'est ce que tu crois ? une femme n'est pas battable ?» dixit une femme juge. Des hommes d'une institution judiciaire ont conseillé à une femme, à qui l'époux avait imposé, par la force, d'avoir une relation sexuelle avec un autre homme, de retourner chez elle. Elle ne devait pas abandonner ses enfants… Le harceleur sexuel était relaxé, la victime vivait alors un nouvel harcèlement et on lâchait sur elle la «meute» des copains et des coquins, y compris avocats. Une jeune fille mineure au moment des faits, enlevée, placée dans un réseau de prostitution, violée pendant 3 mois, droguée, brûlée à la cigarette, a vu une complice mineure du crime condamnée à quelques mois de prison, deux autres petits comparses condamnés à 45 000 DA de dommages et intérêts et les responsables et les bénéficiaires du crime n'ont jamais été inquiétés. Autant chercher la justice avec une bougie. - Depuis l'adoption de la loi incriminant toutes les formes de violence à l'égard des femmes, cette dernière a-t-elle connu une tendance baissière ? Ces amendements au code pénal sur les violences faites aux femmes sont une étape nécessaire, mais nous savons que notre attention doit se porter aujourd'hui sur leur mise en œuvre. C'est le rôle de chaque citoyenne, de chaque citoyen, de chaque association, de chaque femme et homme de loi qui croit en la s, d'être vigilant devant la manière dont ces affaires vont être traitées et les victimes et les criminels considérés.