Le 8 mai dernier, le mausolée royal de Syphax (v 250-v 202 av. J,-C.), situé à 12 km de Béni-Saf, a été classé patrimoine national. Mieux, le ministère de la Culture a finalisé un dossier pour son classement au titre de patrimoine mondial par l'Unesco. Quelle est l'histoire de cet édifice auquel la croyance populaire prêtait des vertus magico-religieuses jusqu'il y a à peine quelques décennies ? Syphax, aguellid de la Numidie massaessyle, avait érigé ce monument dynastique sur un belvédère, à 221 m d'altitude sur le mont Skhouna, avec vue sur sa capitale Siga depuis le versant Est de la Tafna. Imposant, par ce que laissent croire l'examen de ses ruines extérieures et ses caveaux souterrains, il devait être la preuve tangible de la gloire de Syphax. Ce dernier, ne régnait-il pas sur l'essentiel de l'actuel territoire national plus le Maroc oriental et n'est-il pas le créateur de la première monnaie numide, indice de la puissance de son Etat ? Mais l'histoire a fait un autre sort à ce mausolée, Syphax n'y fut pas enterré puisqu'il est mort en captivité à Rome à l'issue (-203) de la 2e guerre punique ayant mis aux prises Romains, Carthaginois et Numides. Après la chute de son fils Vermina qui l'avait remplacé et l'extinction de la Massaessylie, le tombeau est aussitôt victime de destruction. C'est ce que révélèrent en 1961 et 1962 les premières fouilles qu'y a opérées Gustave Vuillemot. Il avait découvert le monument enfoui sous un amas de blocs de pierre d'où le nom de Karkour que lui ont donné les habitants des alentours. Cet amas, selon une légende locale, se serait formé alors que des noces étaient célébrées sur le site. Pour une mystérieuse raison, ce qui était au-dessus du sol - femmes, hommes et enfants- a brusquement basculé sous terre, alors que ce qui était en dessous occupa la surface, d'où l'amas de pierres tel qu'on le voyait avant les travaux de déblayage de Vuillemot. La légende a été confortée par le fait que, par ouï-dire, Vuillemot aurait découvert les squelettes des noceurs avec les bijoux qu'ils portaient le jour des funestes épousailles. On imagine bien que l'époque troublée de veille d'indépendance n'avait pas permis de démentir cette rumeur. Dans l'esprit des petites gens, le lieu continuait à revêtir une sacralité certaine. D'ailleurs dénommé depuis des temps immémoriaux karkour laâraïss, toutes les jeunes filles y venaient en ziara, en faire le tour le jour de leurs noces, à la tête de leur cortège nuptial afin de conforter l'harmonie dans leur vie conjugale, cela avant que l'anathème ne soit jeté sur cette pratique par les prêcheurs salafistes. Cependant, jusqu'à aujourd'hui, la légende perdure. Ainsi, ce fellah de Béni-Ghenam, un village en contrebas, qui nous affirmait il n'y a pas longtemps en présence de Rachid Hamatou, notre confrère de Liberté : «Une nuit, en passant par là pour débusquer du gibier, j'ai entendu des youyous et des chants et même le son du pilon qui moulait le café !» Pour les historiens, par contre, ce tumulus est l'un des plus importants monuments de l'histoire antique de l'Afrique du Nord dont Imedrassen (Batna), les mausolées du Khroub, de Maurétanie (Tipasa), de Dougga (Tunisie) et de Sabratha (Libye). Il est composé de deux parties distinctes, une structure aérienne en pierre de taille et un souterrain. Si ce qui reste de la structure aérienne s'élève à 5 m du sol, lors d'une mission algéro-allemande l'été 1976 dirigée par Mounir Bouchenaki et Friedrich Rakob, l'appréciation de Vuillemot a été confirmée quant à sa hauteur initiale, soit une tour de 17 à 18 m qui coiffait le mausolée. Deux autres campagnes de fouilles effectuées en 1977 et 1978 ont achevé le dégagement des hypogées du mausolée et mis au jour la façade orientale devant laquelle s'étale une esplanade dallée. Les spécialistes ont relevé deux particularités qui le distinguent des autres mausolées numides. Tumulus en forme de tour, sa base n'est ni carrée ni circulaire mais curvi-rectiligne, occupant ainsi une place intermédiaire entre les monuments circulaires et les monuments à étages. En outre, son souterrain ne comprend pas qu'une seule chambre funéraire. Sa galerie, sur 45 m, aligne une succession de dix chambres et dispose non pas d'un seul accès mais de trois. Elles étaient réparties entre trois compartiments cloisonnés auxquels on accédait séparément par l'intermédiaire d'un puits donnant sur une porte à herse. Des profanateurs et des pillards ont pratiqué des ouvertures dans les cloisons entre les compartiments, ce qui permet depuis de parcourir la galerie d'un bout à l'autre. Malheureusement, des malfaiteurs n'ont cessé comme jusqu'à récemment de mettre à jour une hypothétique chambre contenant un trésor, ce qui a pour résultat de déstabiliser la structure de ce témoin de l'histoire et de le menacer d'effondrement.