Fini l'époque où le Premier ministre sillonnait le pays et distribuait des enveloppes supplémentaires dans chaque wilaya. Crise oblige, les collectivités locales se trouvent dos au mur et le développement local, déjà parent pauvre des politiques économiques, est plus que jamais compromis. Les dépenses publiques ayant baissé, les dotations au profit des collectivités locales ont sensiblement été réduites et des projets ayant un impact direct sur les citoyens ont été annulés ou reportés au niveau local. Le budget de fonctionnement du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales a baissé de près d'un quart depuis 2013 et de plus de 30% depuis 2012. Dans les communes, les maires affichent leur désarroi et s'inquiètent de l'avenir. «Nous sommes sous la pression de la société qui attend les projets à réaliser», confie Abdelaziz Djaoui, vice-président de l'APC de Bouzeguene. Pieds et poings liés par des prérogatives réduites, une fiscalité insuffisante et des investisseurs absents, ils n'ont pas beaucoup de solutions pour répondre aux attentes de leurs électeurs, surtout quand l'Etat leur signifie clairement qu'ils devront se débrouiller seuls. «Avant, les collectivités recevaient beaucoup d'argent, mais depuis deux mois, le ministère de l'Intérieur nous a instruits pour que désormais nous ne comptions que sur nous-mêmes», explique Bayzid Benlarbi, élu à l'Assemblée populaire de wilaya de Djelfa. La crise a sérieusement mis à mal les finances de l'Etat et cela s'est répercuté sur le plan local. Au niveau de certaines communes, on parle d'une baisse de plus de moitié du budget 2016 par rapport à 2015. En matière de Programmes communaux de développement (PCD) qui portent sur des projets aussi importants que l'assainissement ou l'ouverture de routes, les enveloppes allouées (en autorisation de programme) ont baissé de 40% entre 2015 et 2016, alors qu'elles avaient augmenté de 150% entre 2013 et 2015 (voir graphe). A Djelfa, l'élu local parle d'une baisse de 50% en matière de PCD. Ailleurs, ce n'est guère mieux. «Jusqu'en 2015, nous avions une cagnotte ordinaire de 40 à 50 millions de dinars, cette année nous n'avons eu que 22 millions. Nous avons subi un baisse de 60%», témoigne Mohand Boukhtouche, P/APC de Souama (daïra de Mekla, wilaya de Tizi Ouzou. «Nous rencontrons des difficultés pour élaborer notre budget supplémentaire. Nous n'avons pas assez de recettes pour payer les dépenses obligatoires (salaires, eau, électricité, téléphone, etc.). Si nous pouvons payer les salaires, nous ne pourrons pas assurer le reste». Dans la commune de Bouzeguene, les PCD ont été réduis de 80% par rapport à 2016 pour atteindre une enveloppe de 35 millions de dinars. «Avec ces restrictions, on aura du mal à réaliser certaines opérations touchant les citoyens», reconnaît Abdelaziz Djaoui. Selon Mohand Achir, président de la commission financière de l'APW de Tizi Ouzou, les PCD dans la wilaya ont baissé de 60% en 2016. Or, cette dernière compte 67 communes, dont 50 sont pauvres et vivent grâce aux subvenions de l'Etat, nous dit-on. Conséquence directe de ces restrictions de budgets, des chantiers sont en souffrance, pendant que d'autres risquent de ne jamais aller au-delà de la phase d'étude. Des secteurs névralgiques ont été touchés. Dans la wilaya de Tizi Ouzou, on parle de gel de projets dans la santé (un CHU et 5 hôpitaux de proximité), dans l'enseignement supérieur, dans les travaux publics (route express Aïn El Hammam-Draâ El Mizan, dans l'hydraulique (barrage de Sidi Khelifa), etc. Du côté de Djelfa, on évoque le gel du projet de tramway, d'infrastructures scolaires (4 CEM et 2 lycées), de santé (un centre pour le traitement du cancer et 2 à 3 projets d'hôpitaux à Aïn Oussera, etc. Le gouvernement a clairement fait savoir que les projets qui n'ont pas encore été lancés devront attendre. «Nous gérons ce qui est en cours, mais nous restons prudents pour les projets qui n'ont pas eu de dotations budgétaires», déplore Abdelaziz Djaoui. Pourtant, certains projets mériteraient de faire l'objet d'exception, selon notre interlocuteur, à l'image de celui portant sur la réalisation d'une zone d'activité industrielle du côté de Bouzeguène. En phase d'étude, il n'a pas encore été présenté aux pouvoirs publics, mais ce serait «un investissement générateur d'emplois et de gains économiques», soutient l'élu local. Fiscalité S'ils sont appelés à se débrouiller seuls, les maires affirment pourtant ne pas avoir les coudées franches pour le faire au vu des contraintes financières et administratives qui inhibent toute initiative, selon eux. Volonté de tout centraliser, manque de réactivité, méconnaissance du terrain, l'administration centrale est pointée du doigt. «L'administration gère des dossiers, alors que nous gérons des réalités», explique Mohand Boukhtouche. «Quand nous avons un projet, elle ne suit pas». Mais ce n'est pas tout, car l'un des gros problèmes réside dans une fiscalité locale inadaptée et rigide, nous dit-on. «La collectivité ne peut pas voter une taxe locale. Elle ne peut ni créer ni fixer le montant des taxes. Tout est géré par une loi nationale», déplore le maire de Souama. Pour Mohand Achir, «il est impossible pour les communes de s'autofinancer, surtout avec la baisse très sensible de la Taxe sur l'activité professionnelle (TAP) dans la dernière loi de finances passée de 2% à 1% et la baisse de l'activité économique en raison de la crise». Car, il faut savoir que 65% du produit de la TAP va à la commune, le reste étant réparti entre la wilaya (29,5%) et le fonds commun des collectivités locales (5%). Diviser le taux de la TAP par deux c'est 50% de recettes en moins pour les communes. Initiative Face à la crise, certaines communes ont pourtant choisi de ne pas rester les bras croisés. C'est notamment le cas dans la wilaya de Tizi Ouzou à travers le projet «Ayla Tmurt», littéralement «richesse du pays». Ce projet consiste en une convention intercommunale pour le développement local touchant 7 communes, réparties sur 4 daïras et lancée officiellement à la fin du mois de mai. Il a été conçu et sera mis en œuvre par une équipe de chercheurs de l'université de Tizi Ouzou. Son but est de susciter une dynamique de développement à travers la conception et la mise en œuvre de chantiers définis à partir des spécificités sociales et économiques de chaque territoire et avec l'implication de tous des acteurs locaux sous forme de partenariats, explique-t-on. Les communes en questions sont limitrophes et partagent le même environnement et les mêmes contraintes. Il s'agit de leur permettre de créer des EPIC qui vont gérer des services en commun qu'il serait difficile de prendre en charge par une seule commune. Ce sont des communes «qui n'ont pas beaucoup de moyens, le but est donc de mutualiser leurs efforts et leurs atouts pour améliorer les prestations au profit de leur population ou pour mener des projets en commun», explique Mohand Boukhtouche. Cela peut concerner, l'aménagement de chemins inter-communaux, de ramassage des ordures, de prestations de services, de développement du tourisme de montagne ou de l'agriculture artisanale. Pour l'heure, il n'y a pas encore d'idée précise sur ce qui sera réalisé sur le terrain. Le projet en est encore à sa phase de démarrage et doit concrètement commencer à la prochaine rentrée. Mais son ambition est claire : «construire un cadre de développement local participatif et valoriser les spécificités économiques locales», précise Mohand Achir. La wilaya apportera son soutien en «subventionnant certains projets ou à travers un accompagnement logistique. » La convention signée entre les 7 communes porte sur une durée de deux ans, mais rien ne l'empêche d'être renouvelée, comme rien n'empêcherait qu'une telle initiative fasse des émules à travers d'autres régions du pays.