Les derniers jours sont toujours les plus durs. On croit que c'est fini mais non. C'est pour cette raison que Chaâbane a acheté trois journaux aujourd'hui, dans l'espoir de trouver une date fixe pour l'Aïd puisque la lune n'est qu'un corps céleste comme les autres. Rien. Que des titres. Depuis le début du Ramadhan, des dizaines de gardes communaux sont morts, des militaires, des civils et des bombes ont explosé un peu partout. Bref, de tout, comme si de rien n'était. Chaâbane n'est pas concerné, de toute façon, il faut bien que les Algériens meurent de quelque chose depuis que l'espérance de vie, comme la croissance, a été annoncée officiellement en hausse. Grâce au Président, toujours selon les même sources. Mais pour Laïd, toujours chuchotant surtout que les écoutes téléphoniques ont pris un caractère légal, la situation est inquiétante. Surtout aussi que le FFS ne croit pas réellement au meurtre par le GSPC de son élu de l'APW, assassiné dans un café. Bref, la réconciliation, si elle a permis à quelques repentis de descendre toucher une prime de match, a aussi permis à l'Etat de banaliser une fois de plus les morts violentes qui s'entassent dans le listing additif de l'après-guerre. Bien sûr, Chaâbane est entièrement pour la réconciliation, mais avec sa femme Sheila qui n'est toujours pas revenue à une foulée de l'Aïd. Devant le nombre de morts, Chaâbane s'est d'ailleurs demandé si Sheila n'avait pas été tuée par le terrorisme, en tant qu'Américaine. Laïd, en tant que fin analyste à voix basse, a argué qu'un Américain n'est pas un Algérien anonyme. Quand on le tue, on exhibe le cadavre et on revendique. Ce qui n'a pas été le cas. Cela a suffi à rassurer Chaâbane et le temps qu'il réalise que la pression qu'il avait dans le ventre n'était pas due à l'inquiétude pour sa femme mais à la faim qui le tenaille et c'est déjà l'heure. Saha ftoro.