Le président du Conseil de la nation s'est fâché, a vu rouge, a tracé la ligne rouge qu'il ne faut pas dépasser, a menacé toute voix discordante condamnée soit au silence soit à la répression. Il est grave qu'un homme politique de son niveau ne réagisse que de façon épidermique et mette tant de choses en jeu, en confondant agitation et action. Le cynisme n'est jamais une vertu même pour un homme qui a la prétention de s'élever au niveau d'un homme d'Etat. Le sang-froid est censé être une vertu politique, et ce n'est pas en se mettant en colère qu'il peut combler de vide politique, la perte de crédit du pouvoir dans le pays. Il n'a pas changé de nature, d'objectif, d'ambition. Il s'efforce de démontrer que ce pouvoir doit rester en place, mais le reproche d'immaturité qu'il lance à l'opposition peut facilement lui être retourné. Il n'a pas fait une analyse solide, un diagnostic sérieux de la situation réelle du pays pour dire : «L'Algérie se porte bien et avance dans ses projets.» L'Algérie se porte bien pour lui et les clans du pouvoir. Il y a actuellement en Algérie, chez de nombreuses familles et personnes, une souffrance à peine visible parfois, mais grave, qui touche à l'essentiel : l'espérance. Le bilan de 17 années de pouvoir exercé par le président Bouteflika est désastreux. Le coût de la vie est élevé et le pouvoir d'achat des salariés est bas. Soutenir un pouvoir qui instaure la misère avec des riches toujours plus riches et des pauvres toujours plus nombreux, c'est favoriser la misère elle-même. Que de cris entendus de nombreuses personnes que je connais et estime, dont je voudrais me faire l'écho. Le président du Conseil de la nation fait partie des hommes qui doivent tout au pouvoir actuel et qui font tout pour le conserver. Sa position est à nouveau le quitus pour le passé, le blanc-seing pour l'avenir qui renforce un pouvoir personnel en un sens de plus en plus totalitaire, alors que le peuple algérien vit une crise sans précédent dont le Président est responsable. Il a fait un éclat inutile, s'est mis au service de l'Etat conformiste qu'il confond avec le peuple et la patrie. L'Algérie a besoin et aspire à la relève de son personnel politique, à renouveler profondément les équipes dirigeantes. Le cri de «sortez les sortants» trouve sa résonnance particulière et s'entend même dans la dictature, où la force de la voix des constestataires est telle qu'elle ne peut être étouffée. Une petite coterie dont fait partie Bensalah, règne sans partage à la tête de l'Etat. Je réponds à Bensalah parce que sa menace me concerne, je n'aime pas parler de moi, d'autres le feront après ma mort, mais nécessité oblige. J'exclus catégoriquement les atteintes aux droits et aux libertés individuelles et collectives. Je suis cohérent avec les exigences de ma conscience qui me dicte de m'engager contre la dictature, contre le colonialisme interne après le colonialisme externe, contre la sacralisation du pouvoir, pour l'instauration de la démocratie dans tous ses aspects, la liberté, la justice, les droits de l'homme, la non-violence, ce qui implique la confrontation d'opinions contradictoires, la contestation, le combat d'idées, que je défendrai jusqu'au dernier souffle. Les motivations qui m'animent ne sont pas une attitude négative et sont dignes du plus grand respect. Je ne suis ni muet ni docile et quand j'ai pris une décision, je l'assume. Je suis solidaire de la collectivité nationale, assume mes propos et mes écrits et veux rendre possible un avenir où la violence n'apparaîtra plus comme une fatalité et où il sera possible de résoudre, par la voie de la paix, les inévitables conflits humains issus de notre histoire. La répression persiste comme en témoignent les arrestations qui ont atteint les militants des droits de l'homme de la culture, les symboles , les militants politiques du M'zab et du MAK. Jamais l'exercice du pouvoir n'a été aussi totalitaire Rien n'a été épargné pour la mise en place d'un pouvoir totalitaire. Le pouvoir personnel heurte les Algériens qui se croient responsables de leur destin. Il est désireux de tout contrôler. La preuve est administrée à Bouteflika par les Présidents qui l'ont précédé et qu'il considère comme des présidents stagiaires lorsqu'on dispose de la totalité du pouvoir, il faut l'exercer sans partage. Tout dépend du chef de l'Etat et de lui seul qui a sombré dans l'aveuglement de César et l'orgueil de Louis XIV. La concentration du pouvoir entre ses mains comporte des risques dangereux pour la nation. Les problèmes — qu'il s'agisse de politique, d'économie, de culture, d'armement, de commerce, de chômage — sont trop compliqués pour être résolus par l'action charismatique, l'éloquence ou le magnétisme d'un homme. Le pouvoir n'est pas un fin en soi, il constitue une fonction au service du peuple, qui doit conserver sa liberté politique. Le président Bouteflika a assumé le pouvoir total en écartant, les uns après les autres, ceux qui l'ont porté au pouvoir et hissé au sommet de l'Etat. Lorsqu'on est au pouvoir depuis 17 ans et que l'on peut prétendre le confier à ses clans pour une durée de 20 à 30 ans encore, on prend le risque de devenir sourd et aveugle aux besoins pressants du peuple et à l'évolution régionale ou mondiale. Les présidents du Conseil de la nation et de l'APN ont tiré «un bilan des plus positifs de l'institution législative» qui, selon eux, «a accompli pleinement sa mission de contrôle de l'Exécutif». Le pouvoir repose sur l'idée que le Parlement doit seulement lui obéir, aduler le chef de l'Etat par des manifestations d'allégeance et que seul l'Exécutif stable et fort dirige et crée. Il y a crise des institutions et le processus ne peut s'ouvrir que si les deux conditions de fonctionnement de ces deux institutions sont remises en question. La première est l'autorité du président de la République, clé de voûte des institutions. La seconde est ces institutions «élues» par des élections massivement truquées. Les parlementaires, dans leur grande majorité, ne sont pas d'authentiques représentants du peuple. Faire voter le peuple et trafiquer les élections, c'est consacrer, au nom de la souveraineté populaire, l'injustice et l'immoralité. Des hommes et des femmes ne peuvent assurer une responsabilité ou gérer s'ils ne sont pas légitimes, c'est-à-dire élus par des élections propres et honnêtes. Il y a de vraies contestations sur la légitimité des parlementaires. Une question fondamentale demeure sans réponse. Si le président de la République a le double droit de répudier le Premier ministre et dissoudre l'APN, devant qui est-il responsable et quelles sont les limites de son pouvoir ? Qu'est-ce qu'un Parlement sinon, étymologiquement, un lieu de parole, une instance de débat institutionnalisé. Débat sur les fins et débat sur les moyens, débat quantitatif ensuite sur les voies et moyens de la gestion pour ajuster les procédures de constat qui informent le gouvernement des fautes et erreurs commises et l'engagent à infléchir son action. Le président Bouteflika a entravé cette fonction de législation et de contrôle. Le Parlement ne fait plus la loi : il vote des textes rédigés par une techno-structure conformiste. Le pouvoir de légiférer passe par l'administration, qui a priorité pour les projets de loi. Les parlementaires se contentent de l'amendement. Le pouvoir exécutif dessaisit le Parlement de la fonction législative en entravant l'inscription à l'ordre du jour des propositions de loi. Bien plus, le Président attend le premier jour des vacances du Parlement pour légiférer par ordonnance. Le débat s'éteint au Parlement. Le pouvoir personnel Il paralyse toute initiative aux échelons inférieurs de la hiérarchie. Le président Boutefika a régné en monarque de droit divin, divisant même les partis qui le soutiennent, privilégiant tantôt le FLN, tantôt le RND, distribuant ses faveurs un jour à celui-ci, le lendemain à celui-là. Il a une conception trop personnelle, trop pragmatique du pouvoir, pour laisser se développer un parti comme le FLN qui, certes, l'appuie mais peut aussi lui demander des comptes, lui recommander une politique, susciter des leaders et peut-être finir par lui échapper. Le FLN actuel est un pouvoir qui s'est imposé au peuple. La politique est contraire aux idéaux pour qui il s'est magnifiquement battu durant la Guerre de Libération nationale. Les partis du pouvoir, eux aussi totalitaires, ne supportent ni dans leur sein ni en dehors des oppositions qui contredisent leur ligne de conduite, contestent leur action et limitent ainsi leur efficacité. Le seul dénominateur commun entre eux est le partage du pouvoir. Le même dogme a conduit le président Bouteflika à une conception dirigiste de l'UGTA «comme courroie de transmission». Sa mainmise sur l'armée, qui doit être au service de la nation, seulement de la nation, était son rêve secret. Le vrai danger pour le pouvoir naîtra en son sein si l'évolution exigée par les circonstances n'a pas lieu en son temps. La crise politique est grave et peut déboucher ou conduire à la prise du pouvoir par l'armée ou à une guerre civile. Une tragédie où nous conduit l'oppression qui recouvre le pays nous attend s'il n'y a pas de sursaut révolutionnaire. Le pouvoir est vulnérable par sa non-représentativité. La longévité a fini par créer une saturation, trop de pouvoir pendant trop longtemps. Personne n'échappe à l'usure du pouvoir. Le peuple algérien est confronté à de nombreux excès de pouvoir La répression concerne toute activité politique démocratique : contrôle de la presse, du système éducatif, des activités politiques, syndicales, culturelles et religieuses. La vie politique envahit l'information écrite, mais surtout parlée ou télévisée ; elle est présente dans la vie culturelle et intellectuelle et même dans la vie sportive. L'autoritarisme politique, militaire, administratif, détenteur de la vérité et jaloux de son pouvoir, tuteur des citoyens, qui a recours, sous les rites de la démocratie, a un appareil qui entend maintenir contre le peuple l'ordre social hérité du système politique fait de privilèges, gardien de l'injustice, est à condamner. Le gouvernement a été remanié, replâtré, purgé, restauré, mais il n'a rien rénové. Cette opération téléguidée par l'armée et mise en œuvre par le FLN et le Premier ministre à qui il a donné une dimension considérable. Il y a longtemps que Montesquieu est mort et nous vivons sur la fiction, d'après le ministre de la Justice, de la séparation et de l'indépendance des pouvoirs, de l'indépendance de la justice. La justice, comme la police, est un instrument du pouvoir politique. Le peuple algérien baigne dans un climat de corruption généralisée. Les corrupteurs et les corrompus ne peuvent rester impunis. Ils doivent être jugés par des tribunaux compétents, garants de l'équité des verdicts. Pour que la liberté existe dans le pays, où elle est agressée par le pouvoir et par les institutions, pour qu'elle soit protégée, il faut qu'il y ait un pluralisme, c'est-à-dire une possibilité de choix et d'expression de la liberté. Pour s'exercer, la liberté a besoin de moyens, car une liberté sans moyens ne peut libérer les forces de proposition, d'expression, de représentation. La relève se fera le jour où le pouvoir de décision ne sera plus centralisé entre les mains d'hommes et de femmes surmenés par l'excès de pouvoir et qui, à cause de cela, laissent les décisions se prendre de manière anarchique. Le pouvoir et l'opposition L'Algérie a vécu durant 17 ans dans un pouvoir dont le soleil était le président de la République, qui ne brille plus parce qu'il est à son crépuscule. La confiance, celle que le pouvoir n'a pas, est celle que seul le peuple peut donner. Elle ne se décrète pas, ne sort pas d'un vote, monte du peuple. L'Algérie a une forte diversité géographique, politique, culturelle, de traditions. Ce que la dictature a fait de notre pays, commande de l'éliminer à jamais de la vie nationale. Tant que le pouvoir ne respectera pas les droits de l'opposition, c'est lui et lui seul qui prend la grave responsabilité de diviser le peuple. Gouverner sans la participation de tous les Algériens prépare avec certitude une désaffection croissante, un isolement et peut-être même un effondrement des institutions. Le peuple entend penser par lui-même et pour lui-même. L'opposition a les pieds solidement posés sur le sol de la patrie. Sa réponse au pouvoir qui avait pour objet de la réduire, de la disloquer, de la démanteler, a été plus de cohésion, plus de solidarité, plus d'unité. La meilleure manière de se battre est de rester présent dans les rangs de la CLTD et de l'ICSO. Il faut rassembler tous ceux qui, malgré la diversité de leurs opinions, veulent s'associer pour redresser le pays par la redistribution des responsabilités, la redistribution du pouvoir. Le devoir de l'ICSO est de réaffirmer le programme de Mazafran, de renforcer l'unité de ses rangs en demandant à chacun des participants de ne prendre aucune décision sur la participation ou non aux prochaines élections qui sont le problème majeur. Les querelles d'hommes et les ambitions personnelles n'ont pas de place dans l'opposition, qui barre la route au pouvoir qui cherche à diviser en proposant des sucettes.