Bel éloge du livre que celui de Jahidh : « Plus tu plonges dans la lecture d'un livre, plus ton plaisir augmente, plus ta nature s'affine, plus ta langue se délie, plus ton doigté se perfectionne, plus ton vocabulaire s'enrichit, plus ton âme est gagnée par l'enthousiasme et le ravissement… ». C'est sans doute ce qui précipitait des légions de lecteurs aux portes de la première Foire d'Alger quand les livres, importés par bateaux entiers et subventionnés, étaient vendus parfois au dixième de leur valeur réelle. Il se trouva, dit-on, des malins pour recycler en devises à Paris des encyclopédies, des nouveaux riches qui achetaient selon la longueur de leurs bibliothèques… Mais que représentaient-ils par rapport aux amoureux sincères du livre, heureux de cette immense respiration de sciences et de littératures ? En dépit de tout, l'immense soif de lire demeure vivace tout au long de l'année et, de manière manifeste, pendant le Salon international du livre d'Alger (Sila). Et tandis qu'il s'apprête à rouvrir, il y a lieu de croire qu'il sera encore dominé par la sempiternelle question de l'inaccessibilité financière du livre aux catégories les plus attachées à son acquisition, affectées généralement d'un pouvoir d'achat aussi rétrécissant que La peau de chagrin de Balzac. Le drame est que, dans l'esprit immuable de la première et providentielle foire, nous confondons l'acte de lire à celui d'acheter des livres. Nous devons être le seul pays au monde où la question se pose en ces termes. Partout ailleurs, dans les contrées faméliques ou survitaminées, chez les golden boys ou les bolcheviks, le débat tourne autour de la lecture publique qui relève de la responsabilité de l'Etat. Bien sûr, il faut tout entreprendre pour que le livre devienne plus accessible à l'achat. Mais cessons de nous fourvoyer. Les espaces de lecture ne couvrent qu'un tiers des communes d'Algérie ! L'ensemble des fonds publics nous donne ce chiffre accablant d'un livre pour deux Algériens, soit la moitié de la norme Unesco de deux livres par habitant pour les pays en voie de développement et de quatre et plus pour les autres ! La première tranche du programme « Une commune, une biblio » comprend la construction de 339 bibliothèques et 33 annexes de la Bibliothèque nationale. Où en est-on ? C'est lui qu'il faut suivre, en revendiquant son accélération et son extension pour que le livre devienne réellement accessible aux Algériens, lesquels n'ont pas vocation à subir, dans leurs demeures exiguës et dans un pays sismique, le sort de Jahidh que la légende dit avoir succombé sous l'écroulement de sa bibliothèque.